Quelques semaines après la publication du recensement national de 2020, Pékin a encore assoupli son dispositif de contrôle de la population, en autorisant les couples mariés à avoir trois enfants. Les dernières réformes concernant la politique de planification familiale et autorisant les chinois à avoir un deuxième enfant, remontent à 2016.
De nombreux Chinois se sont montrés indifférents à cette réforme, car élever un seul enfant s’avère déjà difficile en raison du contexte socio-culturel et politique du pays.
Dans le même temps, les observateurs ont relevé des divergences apparentes dans les données du récent recensement, indiquant que le Parti communiste chinois (PCC) pourrait avoir du mal à dissimuler une grave crise démographique.
Le septième recensement national de la population chinoise, publié tardivement (à la mi-mai) par le Bureau national des statistiques (BNS), montre que la population chinoise a connu une croissance modeste l’année dernière, avec une augmentation nette d’environ 10 millions de personnes. Selon les données, le nombre d’habitants a progressé de 72 millions en dix ans. Ning Jizhe, le directeur du BNS, a affirmé que la Chine avait enregistré 12 millions de naissances et un taux de fécondité de 1,3 enfant par femme, en 2020.
Un recensement retardé
Le septième recensement a débuté en novembre 2020 et, le 30 décembre, le BNS annonçait avoir terminé la collecte des données. En mars de cette année, Pékin a déclaré qu’il annoncerait les résultats début avril. Selon un article du Financial Times citant des sources bien informées, la Chine est sur le point d’annoncer son premier déclin démographique.
Plusieurs villes ont divulgué les chiffres de leur population de manière anticipée, et au moins 26 d’entre elles affichent un taux de croissance négatif.
Les statistiques officielles révèlent que la Chine souffre à la fois d’une réduction de sa main-d’œuvre et du vieillissement de la population. La tranche d’âge des 0-14 ans n’a augmenté que de 1,35 % au cours de la dernière décennie, tandis que la tranche des 15-59 ans, qui représente le gros de la population, avec environ 895 millions de personnes, a diminué de 6,79 %.
Les tranches de 60 ans ou plus, et de 65 ans ou plus, dont la première comprend près de 265 millions de personnes, ont augmenté respectivement de 5,44 % et de 4,63 %.
Selon le cabinet de conseil en risques politiques SinoInsider, un rapport publié en février par un organe du PCC s’appuyant sur les données du système chinois d’enregistrement des ménages « hukou », a montré que le nombre de nouveau-nés enregistrés en 2020 était le plus faible depuis la création de la République populaire en 1949, soit 10,035 millions. Ce nombre a diminué par rapport aux 11,79 millions enregistrés en 2019.
Dans un article du Financial Times d’avril, on peut lire cet avis de la Banque de Chine : « C’est presque un fait que la Chine a surestimé son taux de natalité. Les défis engendrés par le changement démographique de la Chine pourraient être plus importants (que prévu). »
Grand, glorieux, correct
La société de conseil en risques politiques SinoInsider explique pourquoi les données démographiques sont si essentielles à la psychologie des dirigeants et des cadres du Parti communiste, tant sur le plan intérieur que sur le plan diplomatique : « Le PCC a besoin de se projeter constamment, ainsi que son modèle autoritaire brutal, comme " grand, glorieux, correct " (偉光正) pour survivre et dominer. »
« À l’extérieur, rester " grand, glorieux, correct " à tout moment permet au Parti de vanter son soi-disant " modèle chinois " comme un système " supérieur " que les autres pays devraient suivre. Sur le plan intérieur, le fait d’être " grand, glorieux et correct " aide le Parti à résoudre ses problèmes de légitimité politique dans une certaine mesure. »
Les analystes postulent que la raison la plus probable du retard dans la publication des données du recensement serait due à « la possibilité très réelle que la population de la Chine ait en fait diminué d’une façon alarmante au cours de la dernière décennie, et surtout en 2020. »
« Et si le recensement montre que la population chinoise est passée sous la barre des 1,4 milliard d’habitants, comme le rapporte le Financial Times, alors le PCC doit " retoucher " les chiffres définitifs pour que le régime puisse toujours apparaître comme " grand, glorieux, correct. " ».
Le vieillissement de la population et le déclin démographique ne sont pas qu’une simple question de sauver la face pour le régime communiste. En effet, ces données portent un coup sérieux à l’ambition du Parti d’exporter ses méthodes autocratiques dans le reste du monde.
SinoInsider souligne aussi les statistiques de déclin de la population à la lumière de la pandémie mondiale de Covid-19 – dont l’épicentre se trouvait dans la ville de Wuhan – et fait allusion à des décès massifs et à une vaste dissimulation (données officielles frauduleuses) de la part du PCC mettant à mal le récit du PCC selon lequel il aurait « contrôlé » la Covid-19. Elle expose le régime comme étant terriblement corrompu et incompétent, et rend la RPC vulnérable aux appels à la responsabilité de la communauté internationale.
Yi Fuxian, chercheur à l’université du Wisconsin-Madison, a déclaré dans son livre Big Country With an Empty Nest (2007) (Grand Pays Avec un Nid Vide) : « Le plus gros problème des données de recensement de la Chine n’est pas la falsification des chiffres dans les données originales, mais les ajustements dans les données finales. Les données originales sont plus basses que prévu, et les autorités doivent faire un virage serré. »
Des statistiques suspectes concernant la Covid
Alors que, selon Pékin, le décompte officiel de décès liés à la Covid-19 serait d’environ 4 500 citoyens, se situant pour la plupart dans la province de Hubei, en particulier à Wuhan, ces chiffres contrastent avec ceux des États-Unis, qui, avec une population cinq fois moins élevée, compte plus de 590 000 décès liés à la Covid-19, ou de l’Inde, le deuxième pays le plus peuplé au monde, qui compte 329 000 décès.
Les données les plus préoccupantes, qui pourraient nous éclairer sur la réalité de la pandémie en Chine continentale, concernent le nombre mensuel de nouveaux utilisateurs de téléphones portables déclaré par les trois grands opérateurs de télécommunications chinois. En Chine continentale, payer avec son téléphone est un geste quotidien. Les gens utilisent leur téléphone portable pour payer des biens et des services et pour prouver leur identité aux différents points de contrôle mis en place par le PCC.
Les statistiques montrent que 3,9 millions de téléphones ont été mis hors ligne en novembre 2019, 2,9 millions en décembre, 1,6 million en janvier 2020 et un nombre stupéfiant de 19,4 millions en février.
Données à l’appui, les inscriptions au « hukou » dans la province du Hubei ont chuté de plus de 4,5 millions de personnes en 2020, atteignant leur plus bas niveau depuis 2000.
Selon SinoInsider, les deux seules raisons d’annulation dans le système Hukou « sont le résultat de la migration nationale et internationale, ou le décès. »
La migration n’est pas envisageable en raison à la fois des confinements et des contrôles gouvernementaux, ainsi que des préjugés sociaux et de la discrimination à l’encontre des migrants du Hubei et de Wuhan, les gens craignant la propagation du SRAS-CoV-2.
Les conséquences du contrôle de la population
Le PCC a mis en place sa fameuse politique de l’enfant unique et l’a strictement appliquée à partir des années 1970. La Chine se targuait d’avoir fait chuter le taux de fécondité de 6,71 dans les années 1950 à 1,70 en 2019.
Au cours de la même période, les concurrents de la Chine, tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont enregistré une baisse du taux de fécondité de 1,28 et 0,33, respectivement.
Suite aux campagnes de propagande menées par l’appareil médiatique à voix unique du régime communiste, avec des slogans tels que « moins d’enfants pour une vie meilleure », les conséquences ont été dramatiques. Selon les données du ministère de la santé, de 1971 à 2013, 336 millions d’avortements et 196 millions de stérilisations ont été pratiqués dans le pays.
Face à une crise qu’il a lui-même créée, le PCC a tenté d’assouplir sa politique de l’enfant unique, condamnée par la communauté internationale, en autorisant les familles à avoir un deuxième enfant, en 2016.
Ce qui a retenu les familles chinoises d’avoir plus d’enfants est le résultat des réalités économiques et sociales créées par le régime communiste au cours des décennies de son règne….
Un article du Wall Street Journal du 11 mai résume le sujet : « La politique de l’enfant unique a contribué à créer un état d’esprit consistant à concentrer toutes les ressources d’un couple sur un seul enfant et de nombreuses familles estiment qu’elles ne peuvent tout simplement pas se permettre d’en avoir un deuxième. »
Le journal cite l’exemple d’une ancienne employée du gouvernement, qui, à l’âge de 33 ans, a été licenciée après avoir eu un troisième enfant. Le conseil local de protection du travail s’est rangé du côté de son employeur parce qu’elle avait enfreint les politiques de planification familiale. L’employée licenciée a partagé sa frustration sur la plateforme de médias sociaux chinoise Weibo : « dans notre pays, donner naissance peut être un péché », exprimant la profonde amertume de toute une population face à l’intransigeance du Parti communiste en ce qui concerne la politique familiale.
Un chercheur basé à Pékin, Jiang Xueqin, a déclaré au journal canadien Globe and Mail que « les tendances démographiques annoncent la fin du rêve chinois ».
« Les jeunes, en particulier les jeunes femmes, ne veulent pas avoir d’enfants. D’un point de vue macroéconomique, c’est trop coûteux et punitif. »
L’article indique que les femmes ne bénéficient que de 14 semaines de congé de maternité, les pères n’en ayant généralement que deux au mieux, et que le coût moyen pour élever un enfant à Shanghai serait de 160 000 dollars.
Bao Hui, spécialiste du marketing à Pékin, a déclaré au Globe and Mail : « Élever ce seul enfant nous épuise, moi et mon mari… les ressources dont nous disposons suffisent à peine pour un seul enfant. »
« Si je gagnais à la loterie, j’en aurais plus tout de suite. Mais pour l’instant, notre situation économique a fait que j’y ai renoncé. Car dans cette situation, mettre des enfants au monde est irresponsable et peu judicieux. »
Rédacteur Fetty Adler
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