Les outils de la gestion ont été développés pour les entreprises commerciales. Mais quand il s’agit d’associations ou d’ONG, comment adapter la gestion à des organisations qui se donnent d’autres objectifs que le profit ?
Il y a plus de 2,2 millions associations actives en France, soit une pour 30 habitants. Le statut d’association sous la loi de 1901 implique, parmi les diverses exigences requises à leur création, qu’elles doivent fonctionner sur une base non lucrative. Cela signifie que tout profit réalisé doit être réinvesti dans la mission de l’association, directement ou indirectement. Cette exigence seule rend les associations fondamentalement différentes des autres organisations pour lesquelles la gestion a été créée, autrement dit les entreprises commerciales. Alors pourquoi utilisons-nous les mêmes théories et disciplines pour les gérer ?
Contrairement aux entreprises commerciales, qui sont guidées par des logiques d’intérêt personnel et de concurrence, la gestion des organisations à but non lucratif ne repose pas sur un cadre unique. En fait, le terme « non lucratif » est une définition par négation, et non une essence propre. C’est donc une catégorie qui regroupe des organisations potentiellement très différentes les unes des autres, et il n’existe pas une seule façon de gérer les organisations non lucratives.
Cependant, si l’on comprend leurs différences par rapport à l’entreprise classique, il devient plus facile d’en dériver des pratiques alternatives telles que les diverses formes de financement non marchand et les mécanismes de prise de décision non hiérarchiques.
Les principes fondamentaux de la gestion sont fondés sur le modèle de l’entreprise
Malgré la prolifération des écoles de commerce à travers le monde, ces dernières n’ont pas réussi à diffuser des méthodes de gestion pour les organisations à but non lucratif. En conséquence, nous avons reproduit à tort les mêmes méthodes que pour les entreprises commerciales.
Il est vrai que la notion de gestion a beaucoup évolué ces dernières décennies. Les organisations sont devenues de plus en plus dynamiques, l’idée d’une structure hiérarchique a largement été remplacée par des organisations plus horizontales et adaptatives, face à une nouvelle génération qui cherche du sens dans le travail.
Par conséquent, nous étudions aujourd’hui le management à travers une myriade de théories qui prennent en compte cette complexité. Cependant, la gestion a été créée dans le but principal d’assurer le retour sur investissement par le contrôle des ressources financières et humaines. Ainsi, deux principes de base sont restés inchangés dans ces nouvelles théories de gestion.
Premièrement, les entreprises sont des organisations qui concourent sur le marché avec l’objectif de maximiser les profits, même si d’autres objectifs secondaires peuvent et doivent être pris en compte. Deuxièmement, la prise de décision repose en dernier ressort sur l’autorité des propriétaires, souvent actionnaires, qui captent le profit et délèguent leur pouvoir dans la chaîne de commandement, divisant ceux qui dirigent et ceux qui sont dirigés.
Et les organisations à but non lucratif ?
Qu’en est-il des organisations à but non lucratif ? Une école d’art devrait-elle être rentable ou cesser d’exister ? Si une association de lutte contre la pauvreté peine à lever des fonds, cela signifie-t-il qu’elle n’a pas rempli sa mission ? Dire qu’une organisation est à but non lucratif ne signifie évidemment pas qu’elle doit subir des pertes ni que des principes tels que l’efficacité sont sans importance pour elle. Toute organisation doit trouver les ressources pour survivre, mais cela ne signifie pas pour autant que ces ressources doivent être recherchées sur le marché ou que l’objectif ultime de l’organisation est de tirer un profit de ses activités.
Dans le cas contraire, nous risquons de mal orienter une grande partie des décisions dans l’organisation, comme celles portant sur les activités à entreprendre ou non. Utiliser les hypothèses inscrites dans les outils de gestion classiques pour les organisations à but non lucratif, c’est comme utiliser une pince pour serrer une vis.
La littérature sur la gestion a depuis longtemps mis en lumière les problèmes liés à l’application de techniques et de méthodes managériales aux organisations à but non lucratif. Cette idéologie,
nommée managérialisme, dépolitise les associations en réduisant des problématiques sociales complexes à des problèmes techniques.
La critique du managérialisme est particulièrement puissante lorsqu’elle montre comment la philanthropie et les ONG de développement servent les intérêts d’entreprises et d’idéologies. Mais même la gestion de notre association de quartier comme une entreprise peut saper les idéaux démocratiques de justice et d’équité qu’elle porte, pourtant essentiels à la création d’une société civile.
Dans les faits, près de 10 % de tous les salariés du secteur privé en France travaillent dans le secteur non lucratif. À cela s’ajoutent les organisations informelles et les organisations hybrides, sociales ou alternatives, qui placent leur mission au cœur de leurs activités, tout comme les organisations à but non lucratif, mais qui choisissent de ne pas s’enregistrer en tant que telle en raison de diverses contraintes légales et financières.
Ainsi, nous devons réfléchir à la manière dont nous gérons un club sportif, une église, une ONG ou une coopérative pour atteindre les objectifs fixés collectivement.
Quels outils de gestion pour des associations ?
Il ne manque pas de théories et de recherches sur la gestion des organisations à but non lucratif, mais contrairement aux entreprises commerciales, les hypothèses sous-jacentes peuvent changer considérablement en fonction du cadre institutionnel. Différents types d’organisations vont adopter un positionnement différent en termes d’orientation sociale ou économique. Au sein d’une même catégorie (comme les associations), les hypothèses peuvent être très différentes (on ne gère pas de la même façon une organisation politique ou un hôpital caritatif), reflétant ainsi la diversité des organisations et des contextes.
Cependant, nous pouvons identifier au moins deux aspects fondamentaux qui distinguent les organisations à but non lucratif des entreprises : la forme de financement et le mécanisme de prise de décision.
La différence dans la forme de financement résulte de la tension entre l’intérêt public et la recherche de profit. La forme choisie dépendra précisément du contexte de l’organisation. Les sources de revenus peuvent provenir du secteur public, de dons privés, de revenus d’activités ou de mécanismes de financement social.
Prenons l’exemple du modèle international d’organisation CSA, communauté en soutien à l’agriculteur, un partenariat à but non lucratif entre agriculteurs et consommateurs. Les membres de la communauté s’engagent à acheter une part de la récolte de la ferme à l’avance, partageant ainsi les risques et les récompenses de l’agriculture. Comme le prix ne peut être défini par le marché, d’autres mécanismes entrent en jeu, tels que la discrimination volontaire des prix en fonction des capacités de chacun, des paiements non monétaires sous forme de travail volontaire ou une tarification temporelle en fonction des saisons.
Toutefois, la plupart des organisations ne dépendent pas d’une seule source de revenus, et la collecte de fonds reste une composante essentielle de la gestion des associations, méritant autant d’attention que les services offerts.
Sans actionnaires, d’autres types de gouvernance
Le mécanisme de prise de décision constitue la gouvernance de l’organisation. Les organisations à but non lucratif sont fondamentalement motivées par la solidarité plutôt que par des motivations purement matérielles. Cela signifie que les décisions doivent préserver les valeurs et la mission de l’organisation, ce qui exige un processus participatif, souvent basé sur le consensus.
Ces organisations sont influencées par de nombreux acteurs : administrateurs, personnels, bénévoles, membres, donateurs publics et privés, régulateurs… Les différentes parties prenantes peuvent avoir des attentes et des intérêts divergents, et les mécanismes de prise de décision doivent être robustes pour prévenir les décisions motivées uniquement par des ambitions personnelles et garantir que l’éthique n’est pas compromise, en particulier lors de la gestion de multiples flux de revenus.
Prenons l’exemple d’une association qui vise à créer un réseau de coopération entre le Brésil et la France, en accueillant des citoyens brésiliens et en renforçant les liens entre les deux pays à travers des actions socio-éducatives. Les décisions majeures, comme le choix des thèmes pour un festival, les allocations budgétaires pour les ateliers ou les collaborations avec d’autres groupes culturels, seraient prises lors de l’assemblée générale. Les décisions plus modestes, telles que la gestion logistique des événements ou la sélection des expositions artistiques, seraient déléguées à des groupes de travail composés de membres intéressés.
Pour éviter les déséquilibres de pouvoir et garantir une large représentation de la diversité culturelle de la communauté, les rôles de leadership au sein de l’association, tels que président de comités ou membres du conseil, peuvent être renouvelés tous les deux ou trois ans. Tout au long de l’année, l’association peut aussi organiser des forums ouverts, invitant la communauté élargie à donner son avis, y compris ceux qui ne sont pas membres formels.
En plus des formes de financement et des mécanismes de prise de décision, d’autres aspects sont spécifiques aux associations, telles que des structures organisationnelles flexibles et les mécanismes d’adhésion volontaire. Il est grand temps de mettre en avant ces réalités de plus en plus courantes. Non seulement les associations ont toujours été une part intégrante de la vie française, mais aujourd’hui,
une personne sur trois est membre d’une association.
Les écoles de commerce, en particulier, doivent garder à l’esprit qu’elles ne sont pas censées former des gestionnaires à diriger toute organisation selon les principes de la concurrence. Leur mission devrait plutôt être de préparer les gestionnaires à s’engager de manière respectueuse avec des formes organisationnelles diverses, afin de préserver leurs valeurs fondamentales.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur :
Daniel S. Lacerda : Associate Professor, Head of the Department of People & Organizations, Montpellier Business School
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
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