Un éditorial paru sur le site de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) porte un regard sur la stratégie de l’Éducation Nationale. Son propos part du constat d’une certaine volonté d’en finir : « Avec le coûteux paquebot de l’Éducation nationale ». Parmi les manières d’en finir, cette phrase : « (..) le laisser dériver, en le laissant heurter de multiples écueils, de sorte que ses multiples avaries conduisent ses passagers, inquiets, à le quitter par les canots de sauvetage, avant qu’il ne sombre » laisse entrevoir un rapport entre l’école de la République et le Radeau de la Méduse.
Un éditorial et un rapport public portent un regard alarmant sur l’école de la République
L’éditorial de l’APHG, Du réarmement au désarmement : l’école, une cause nationale ? et le rapport d’information n° 377 (2023-2024), de la commission des Lois du Sénat, L’école de la République attaquée : agir pour éviter de nouveaux drames, déposé le 5 mars 2024, apportent un regard complémentaire sur le domaine de l’éducation selon deux approches différentes : le ton de la revendication et du vécu, et le ton factuel d’un rapport d’information.
L’éditorial publié le 4 mars sur le site l’APHG, écrit par sa présidente Joëlle Alazard, se veut une analyse critique de la politique du gouvernement. Dans ses propos introductifs, l’éditorial compare la situation du monde de l’Éducation nationale à « un monde schizophrène ». Il décrit le monde de l’école publique en ces termes : « Celui où l’on parle de " choc des savoirs ", de réarmement cognitif et civique des élèves, de dispositifs innovants, mais où l’on soustrait 692 millions au budget de l’Éducation nationale, et 11 000 postes d’enseignants. Celui où les plus hautes autorités politiques claironnent durant plusieurs mois, sur tous les médias, le doublement des heures d’enseignement moral et civique sans le budgéter, rendant celui-ci improbable. Celui où le supérieur, chargé de former les futurs enseignants et chercheurs, perd pour sa part 900 millions. Un monde où les investissements qui permettraient de préparer l’avenir et de donner aux enseignants les moyens de leurs missions sont jugés dispendieux ».
Le rapport d’information présenté le 5 mars précise dans son résumé que : « Les travaux conduits conjointement par la commission de la culture et la commission des lois permettent de dresser le constat d’une violence endémique dans les établissements scolaires, qui touche désormais le primaire comme le secondaire, les territoires aussi bien ruraux qu’urbains, favorisés ou populaires. Plus largement, l’école de la République et ses valeurs font face à des coups de boutoir réguliers ». À la suite de ces travaux, 38 recommandations ont été proposées pour « protéger l’école ainsi que l’ensemble du personnel qui y travaille et restaurer l’autorité de l’institution scolaire ».
Par ailleurs, selon les différents acteurs, cette insécurité permanente repose sur un fond de débats public-privé, de non-respect des principes de la laïcité, de mauvais classement international des élèves français, voire de valse des ministres de l’Éducation nationale et de non-définition de politiques réalistes. Le « paquebot de l’Éducation nationale » semble effectivement aller de mal en pis, alors que : « l’école est un pilier de la République, qu’elle est une grande cause nationale forgeant l’avenir de la nation. Que la cohésion du pays dépende d’elle, de l’engagement de ses enseignants », pour reprendre les propos écrits par Joëlle Alazard.
Dépasser les logiques partisanes et développer une approche systémique ?
Une fable d’origine indienne peut nous aider à prendre un peu de recul, face à la montée de ces approches qui pourraient être perçues comme étant partisanes.
Il s’agit de la fable Les aveugles et l’éléphant. C’est l’histoire de six aveugles qui touchent un éléphant à six endroits différents. À tour de rôle, ils vont débattre, exprimer leur vision de l’éléphant : mais ils n’arriveront pas à se mettre d’accord. Le sage va finir par leur dire qu’ils ont chacun raison : car « chacun détient une part de la vérité ».
C’est certainement la vérité que l’on pourrait entrevoir en portant une analyse sur les logiques partisanes qui s’agitent autour de l’école de la République. Le privé réussit peut-être mieux que le public, les effectifs sont certainement insuffisants, les crédits alloués ne permettent probablement pas de répondre aux politiques nationales, la laïcité et la loi du 15 mars 2004, sur l’interdiction du port des signes religieux à l’école, n’ont apparemment pas pu contraindre la montée de l’expression des extrémistes religieux….
Mais comment penser l’école ? Le Courrier International s’est penché, dans un de ses articles écrit par Claire Carrard, École : comment font-ils ailleurs ? sur des approches qui semblent émerger à l’étranger. Ainsi, des exemples relayés par la presse et provenant de l’Espagne, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis ont été analysés dans le dossier préparé par cet hebdomadaire.
Pour l’Espagne, El País rapporte l’exemple d’un établissement situé dans le Nord-Est du pays, qui a reçu le prix de la meilleure école de l’année. « L’école compte seulement 130 élèves, mais plus de 12 nationalités, et son grand atout réside précisément dans cette diversité que beaucoup, ailleurs, considèrent comme une menace ».
En Allemagne, les parents se ruent vers le privé. Deutsche Welle se demande si « une bonne éducation deviendra bientôt le privilège des plus aisés ». Dans l’hebdomadaire Die Zeit, des parents d’élèves à Berlin expliquent qu’ils ont fini par mettre leurs enfants dans le privé, en raison de la pénurie d’enseignants dans le public.
Mouvement inverse au Royaume-Uni, où face aux frais de scolarité toujours plus élevés du privé, de nombreuses familles se tournent vers le public. The Spectator évoque « l’exode vers le public ». Pour The New Statesman, une question : « L’éducation élitiste peut-elle survivre ? ».
Ni public, ni privé pour les États-Unis, apprend-on dans ce dossier. The Washington Post révèle que les parents sont de plus en plus nombreux à choisir de ne pas scolariser leurs enfants dans un établissement, qu’il soit privé ou public, et préfèrent l’école à la maison.
La cité-état de Singapour semble avoir trouvé une solution. Le Courrier International signale dans son article que Singapour a su croire en la force de changement de l’éducation, estime The Independent. « C’est sur l’école que s’est construit notre développement national », avance un spécialiste des systèmes éducatifs dans un entretien accordé à El País : « Nous avons travaillé dur pour que l’enseignement soit une profession respectable. Les enseignants sont les architectes de notre nation, les bâtisseurs de notre pays ».
Le « paquebot de l’Éducation nationale » aura-t-il la même fin que celui de La Méduse ?
Le Radeau de la Méduse, tableau peint par Théodore Géricault (1791-1824), est inspiré du naufrage le 2 juillet 1816, de la frégate La Méduse au large de la Mauritanie. Au cours de ce naufrage, sur les 400 passagers, 150 personnes ont dû embarquer sur un radeau de fortune et seulement 15 d’entre elles ont pu être sauvées, après quinze jours décrits comme une « horreur » par les survivants.
La Méduse avait été confiée aux soins d’un commandant qui n’avait pas navigué pendant près de 25 ans, l’officier de marine Hugues Duroy de Chaumareys. Après s’être éloigné des autres navires de l’expédition, l’officier de marine, en dépit des remarques de son équipage, commit plusieurs choix stratégiques qui allaient aboutir au naufrage de La Méduse.
« Il y a deux manières d’en finir avec le coûteux paquebot de l’Éducation nationale : annoncer du jour au lendemain son démantèlement en faveur du privé, ce qui causerait un mouvement de protestation massif dans un pays attaché à l’école républicaine… Ou le laisser dériver, en le laissant heurter de multiples écueils, de sorte que ses multiples avaries conduisent ses passagers, inquiets, à le quitter par les canots de sauvetage avant qu’il ne sombre », a précisé Joëlle Alazard dans son article.
Il semble difficile d’entrevoir la mise en place de telles solutions. Mais « l’école est un pilier de la République », « elle est une grande cause nationale forgeant l’avenir de la nation. Que la cohésion du pays dépend d’elle, de l’engagement de ses enseignants ». En reprenant ces propos et en analysant les solutions mises en place par certains états, ne pourrions-nous pas dépasser les logiques partisanes et envisager un vrai commandant pour le paquebot de l’Éducation nationale qui ferait de l’enseignement une vraie priorité nationale ?
De Charlemagne à nos jours, l’enseignement a une longue histoire. Sa priorité a toujours été de permettre aux enfants de toutes conditions de bénéficier d’un enseignement. Alors, « Mettre les enseignants au cœur du projet éducatif et l’éducation au centre de toute politique : l’idée en effet a de quoi séduire », pour reprendre les termes de Claire Carrard. De plus, cela pourrait être un choix pour empêcher le paquebot de l’Éducation de remettre au goût du jour le destin de La Méduse.
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