L’arrivée de Gabriel Attal au ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse a fait couler pas mal d’encre. Parmi les éléments soulevés, la question qu’une personne occupant un tel ministère soit issue de l’enseignement privé a fait débat. La rentrée scolaire approche à grands pas. À cette occasion, l’Éducation nationale occupera certainement les devants de la scène. Mais privé ou public, le système scolaire n’a-t-il pas avant tout pour vocation d’accompagner les jeunes et d’en faire des citoyens ? Alors devrait-on réellement avoir un débat public versus privé ?
La question de l’enseignement, ou de l’éducation, à délivrer aux jeunes a toujours été, et reste, une question épineuse, voire une « patate chaude » pour les gouvernements et surtout les ministres de l’Éducation nationale de la République française.
Pour autant, bien que l’État soit le seul habilité à délivrer diplômes et grades universitaires et que la réglementation des examens se fait à l’échelle nationale, la liberté d’organiser et de dispenser un enseignement est une manifestation de la liberté d’expression. Les conditions de cette liberté sont définies par la loi Debré n°59-1557 du 31 décembre 1959, sur la liberté de l’enseignement et les rapports avec l’enseignement privé, peut-on lire sur le site du ministère de l’Éducation Nationale.
Alors le débat public versus privé a-t-il lieu d’être ?
Les fondations de l’école publique en France
L’école publique annoncée par Jules Ferry, « affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale et de la fonder sur des notions du devoir et du droit », pouvait-on lire dans une circulaire envoyée aux instituteurs, le 17 novembre 1883, relative à la loi du 28 mars 1882. Cet enseignement élémentaire est délivré aux enfants jusqu’à l’âge de 13 ans.
« Il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage et du calcul », a aussi précisé Jules Ferry dans cette circulaire.
Il est vrai que la mise en place de l’école publique laïque ne remonte pas à Jules Ferry. Déjà en 1792, Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet (1743 – 1794), plus connu sous le nom de Condorcet, conseillait un système éducatif selon un système d’enseignement laïc.
La loi Guizot de 1833, portée par le ministre François Guizot (1787 – 1874), va établir les prémices de l’école publique élémentaire en France, dans les communes de plus de 500 habitants. Pour autant cette école non obligatoire, ciblera les garçons. Elle sera gratuite pour les familles disposant de peu de ressources.
La gratuité absolue de l’enseignement primaire et l’ouverture aux filles se développeront sous le Second Empire, avec Victor Duruy (1811 – 1894), alors ministre de l’Instruction publique. La loi du 10 avril 1867 ouvre l’obligation pour les communes de plus de 500 habitants de mettre en place cet enseignement. Ces communes pourront prélever un impôt communal de « quatre centimes additionnels ».
De fait, les lois de Jules Ferry, loi du 16 juin 1881 et loi du 28 mars 1882, ne sont pas nouvelles en matière de gratuité. Mais la particularité est que la loi de mars 1882 va supprimer tout enseignement religieux à l’école. Cet enseignement sera remplacé par une instruction morale. L’article 1er de la loi annonce : « L’enseignement primaire comprend : l’instruction morale et civique ». C’est de cette façon que l’État a choisi d’exprimer sa neutralité dans le domaine religieux, pour exercer ainsi pleinement le concept de laïcité : la séparation de la sphère publique de la sphère privée.
Ainsi, selon la Constitution française de la Ve République, « l’organisation de l’enseignement public obligatoire gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».
La mise en place des écoles privées sous contrat
La liberté d’enseignement fait partie des principes fondamentaux en France. Ainsi l’enseignement dit libre se trouve à tous les niveaux scolaires et éducatifs. Une déclaration peut suffire pour l’ouverture d’une école ou d’un lieu d’enseignement privé. Au nom des principes fondamentaux, les établissements du système éducatif privé prônent la liberté de conscience, d’expression et d’association.
L’enseignement privé a toujours existé en France. Dès le Moyen-Âge, il est fait mention de lieux d’enseignement mis en place sous l’égide de philosophes, ou magisters, ou encore de congrégations religieuses. Ces « classes » sont essentiellement réservées à une élite. Il est aussi fait mention d’écoles romanisées dans la Gaule romaine. Le concile de Vaison de 529, sera à l’origine de la création des écoles monastiques : soit une école par évêché, et des prêtres seront autorisés à prêcher en milieu rural.
La notion de système éducatif privé a fait son apparition sous Napoléon Ier. Ce dernier a fait de l’enseignement universitaire un monopole d’État, en 1806. Ainsi, l’université détient le monopole de l’enseignement. Le décret impérial portant organisation de l’Université précise que : « Néanmoins, l’instruction dans les séminaires dépend des archevêques et évêques, chacun dans son diocèse. Ils en nommeront et révoqueront les directeurs et professeurs. Ils sont seulement tenus de se conformer aux règlements pour les séminaires, par nous approuvés ».
L’enseignement privé sera aussi reconnu par les lois Guizot en 1833 et Falloux en 1850. Cette reconnaissance ira jusqu’à autoriser des bourses d’État pour les élèves de l’enseignement privé en 1951, avec la loi Marie. En 1959, le système va peu à peu se moduler, passant de l’enseignement privé, stricto sensu, à l’enseignement privé sous contrat d’association avec l’État, avec la loi du 31 décembre 1959, dite loi Debré.
Ainsi le système privé se décline aujourd’hui selon quatre appellations : l’enseignement sous contrat d’association avec l’État, l’enseignement privé sous contrat simple, l’enseignement privé hors contrat et l’enseignement familial par la famille. L’enseignement privé sous contrat restant majoritaire.
Dans un rapport publié le 1er juin, la Cour des comptes précise que : « L’enseignement privé sous contrat regroupait à la rentrée 2022 plus de 2 millions d’élèves, soit 17,6 % des effectifs scolarisés ». Il reste donc encore minoritaire dans le vaste paysage de l’Éducation nationale en France.
La Cour des Comptes affirme aussi que « Les établissements privés sous contrat bénéficient d’une large autonomie d’organisation : les pouvoirs de leurs chefs d’établissements sont plus étendus que ceux de leurs collègues du public en matière non seulement d’inscription des élèves, mais aussi de recrutement des enseignants comme des autres personnels, d’organisation des services et des remplacements en cas d’absence ».
Éducation nationale : public versus privé ou complémentarité ?
L’enseignement privé réservé à une élite à ses débuts, a su se démocratiser et adopter le même paradigme que l’enseignement public et devenir une éducation pour tous, par le biais de l’enseignement privé sous contrat.
Les financements des établissements publics et privés sous contrat sont en grande partie alloués par l’État. Par exemple, pour les établissements relevant du premier degré, le financement se montait en 2022 à 58,5 % pour le public et 55,2 % pour le privé , en sachant que pour compléter leur budget les établissements publics ont perçu 37,3 % des collectivités territoriales et 4% d’autres sources de financement qui peuvent être privées ou provenir d’autres administrations publiques ou des ménages. De leur côté les établissements publics sous contrat ont perçu 21,5% des collectivités territoriales et 23,2% d’autres sources.
Les programmes scolaires sont définis par l’État, ainsi que les conditions entourant les différents examens. Car les établissements privés sous contrats « prennent certains engagements, comme la conformité aux programmes définis par le ministère de l’Éducation nationale et l’absence de discrimination dans l’accueil des élèves ».
Cependant, la Cour des Comptes met aussi en avant la diminution de la mixité sociale au sein de ces établissements privés. Ainsi, « la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat est en fort recul depuis une vingtaine d’années. Les élèves de familles favorisées et très favorisées, qui constituaient 41,5 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 55,5 % en 2021. À l’inverse, la part des élèves boursiers s’élevait à 11,8 % des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat, contre 29,1 % dans le public ».
Les élèves favorisés constituent donc 55,5% de l’effectif en 2021. « L’enseignement privé sous contrat apporte une contribution indiscutable à l’offre de formation. En tant que composante du service public de l’éducation, il doit être davantage mobilisé au service de la performance éducative et de la mixité sociale », préconise la Cour des Comptes dans son rapport.
Les lois du 8 juillet 2013 et du 24 août avaient déjà engagé une dynamique, en affirmant un objectif de mixité sociale applicable à la fois aux établissements scolaires publics et privés. Dans cette perspective, plutôt que de fixer au niveau national des quotas d’élèves de milieux défavorisés ou boursiers, qui ne sont pas appliqués au secteur public lui-même, la Cour propose d’engager chaque établissement privé sous contrat dans une nouvelle démarche contractuelle et de lui fixer des objectifs en termes de composition sociale définis localement.
Au-delà d’une application aveugle de la mixité sociale, qui reste un écueil autant pour le public que pour le privé, la Cour des Comptes préconise une « composition sociale définis localement ». En ce sens, la Cour valorise une approche globale, sans entrer dans les considérations sociétales qui veulent opposer le public au privé.
Au regard de tout cela, il est aujourd’hui possible en France d’effectuer des choix d’enseignement, en fonction de ses croyances et idéaux, sans rentrer dans des considérations strictement politiques autour de la laïcité. Public versus privé ou patate chaude des gouvernements successifs ? La seule vraie question de l’enseignement reste avant tout : comment accompagner les jeunes et en faire des êtres humains possédant de bons repères et pouvant faire face à ce monde en constante évolution.
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