La projection surprise du documentaire hongkongais sur le mouvement anti-extradition au Festival de Cannes suscitera la colère de Pékin
L’un des trois plus grands festivals de cinéma du monde, le Festival de Cannes, qui se termine le 17 juillet, a soudainement annoncé qu’il projetterait le 16 juillet le film documentaire Revolution of Our Times (時代革命), qui a été secrètement réalisé par le cinéaste primé de Hong Kong, Kiwi Chow, sur une période de deux ans.
Les médias étrangers ont qualifié de pari diplomatique la projection du film documentaire au Festival de Cannes, qui risquait de mettre en colère le Parti communiste chinois. La première du film a été décrite par Kiwi Chow comme un soulagement pour de nombreux Hongkongais qui vivaient dans la peur : « Ceux qui luttent pour la justice et la liberté dans le monde entier sont avec nous, restons forts, Hongkongais ! »
La projection « surprise » au Festival de Cannes attire l’attention des médias étrangers
Le réalisateur hongkongais Kiwi Chow, qui a réalisé Ten Years et Phantom Love, a passé deux ans à produire Revolution of Our Times, un film documentaire sur la révolte anti-extradition vers la Chine en 2019, qui a été sélectionné par le Festival de Cannes pour être projeté le 16 juillet à 11 heures, attirant ainsi l’attention des médias étrangers, rapporte Stand News de Hong Kong.
Selon le Hollywood Reporter, le film avait été invité au festival plus tôt, mais a été annoncé
juste avant la projection, sans publier l’information au préalable, pour protéger le personnel de production. Le 14 juillet, le festival a envoyé un courriel à certains médias, indiquant qu’un « documentaire surprise » avait été ajouté au festival, invitant les journalistes à une projection à huis clos et demandant que la nouvelle soit gardée secrète jusqu’à l’après-midi du 15 juillet.
Cette nouvelle pourrait déclencher un nouveau conflit entre l’industrie cinématographique et Pékin
Selon le Wall Street Journal, la projection du film par le Festival de Cannes « risque de susciter la colère du Parti communiste chinois », ce qui devrait provoquer une nouvelle série de conflits entre l’industrie cinématographique et Pékin.
Le documentaire de 2,5 heures commence par le consensus sino-britannique de 1986 sur Hong Kong, suivi d’un récit détaillé de la campagne anti-extradition de 2019. Le film suit l’histoire de sept groupes de personnes qui se rebellent contre le régime chinois, dont des manifestants « de première ligne » et des manifestants « pacifiques ». Il couvre le déclenchement du mouvement à la mi-juin 2019, l’occupation du Conseil législatif le premier juillet, l’incident du 21 juillet à Yuen Long et les affrontements entre la police et le public dans une université où Kiwi Chow a dormi pendant trois jours et deux nuits. Le film se termine par la mise en œuvre de la loi sur la sécurité nationale l’année dernière.
Selon Screendaily et Deadline, les sept groupes comprenaient un agriculteur de 73 ans membre de l’opération « Protégeons les enfants » (qui serait « Oncle Chan » Chan Kei Kau, un villageois de Ma Shi Po), une journaliste en ligne (vraisemblablement Ho Kwai Lam, aujourd’hui en prison), un secouriste bénévole d’un lycée, un étudiant d’université, un jeune manifestant « courageux » et un manifestant de première ligne qui dirigeait une équipe de 20 personnes. Ce dernier a fini par s’échapper à Taiwan.
Le générique de fin rend hommage au peuple de Hong Kong et l’appelle à rester fort
Le générique de fin du film, où l’on peut lire « By Hongkongers » (par des Hongkongais), est un hommage aux habitants de Hong Kong. À part le réalisateur Kiwi Chow, tous les autres membres de la production utilisent des pseudonymes.
Dans une déclaration, Kiwi Chow s’est dit reconnaissant envers le Festival de Cannes et honoré d’avoir eu la première mondiale de son film au festival : un film qui relate les luttes du peuple de Hong Kong. Il a déclaré que Hong Kong a perdu beaucoup plus que ce que l’on attendait et que cette première à Cannes sera un soulagement pour de nombreux Hongkongais qui vivent dans la peur : « Ceux qui luttent pour la justice et la liberté dans le monde entier sont avec nous, restons forts, Hongkongais ! »
« Nous sommes fiers de présenter ce film, qui constitue un moment important de l’actualité mondiale », a déclaré Thierry Fremaux, directeur général du Festival de Cannes, dans un communiqué.
Deux ans de production secrète « Je ne veux vraiment pas perdre à cause de la peur »
Dans une interview accordée au Wall Street Journal dans son bureau de Hong Kong le 30 juin, Kiwi Chow a révélé qu’il avait soumis la version finale du film à Cannes la veille. Il a déclaré qu’il lui a fallu deux ans pour réaliser ce film, qui était en grande partie secret. Au cours du processus, des amis lui ont conseillé de quitter Hong Kong, de ne pas révéler son nom et de changer au moins le titre, mais il a refusé.
« Je ne voulais vraiment pas perdre à cause de la peur », a dit Kiwi Chow.
La réalisation de ce documentaire l’a plongé dans ce mouvement de Hong Kong, durant
lequel il a été frappé par un canon à eau et touché au casque par une balle en caoutchouc. Les longues séances de montage l’ont épuisé émotionnellement : « J’ai tellement pleuré à certains moments que j’ai dû interrompre le montage… Je faisais des cauchemars où je me voyais poursuivi, arrêté et battu par la police », raconte-t-il.
Kiwi Chow a accepté que son film ne soit peut-être jamais projeté à Hong Kong. En vertu de la loi sur la sécurité nationale, les journaux pro-démocratie les plus francs de Hong Kong ont été fermés, leurs dirigeants et rédacteurs en chef arrêtés et accusés par la police pour « motif de collusion avec des puissances étrangères ». Les cinémas de Hong Kong ont également annulé récemment un documentaire sur les affrontements de 2019 à l’université.
Kiwi Chow a déclaré qu’il avait toujours voulu filmer le mouvement pro-démocratie à Hong Kong, mais qu’au début, il hésitait à aller sur la ligne de front. Mais un homme d’affaires qui avait vu son film primé Ten Years l’a contacté et lui a proposé de l’aider à réaliser un documentaire de haute qualité qui aiderait Hong Kong à raconter son histoire au monde entier. Il a donc acheté un caméscope de poche et a commencé à filmer.
Il a insisté pour dévoiler son identité, mais a perdu le financement d’un autre nouveau film
Aujourd’hui, les monteurs et les cameramans avec lesquels il a travaillé sur ce film sont tous anonymes ou ont cessé de travailler avec lui. Mais il insiste pour divulguer son nom dans son travail, afin de contrer l’autocensure et de montrer que le film est légitime sous la protection de la liberté d’expression.
Au printemps de cette année, Kiwi Chow avait déjà envoyé une première version du film au Festival de Cannes. Lorsqu’il a appris que le film allait bénéficier d’une projection spéciale, il a envoyé tous les séquences en dehors de Hong Kong pour des raisons de sécurité. Il a déclaré que le principal investisseur du nouveau film sur lequel il travaillait s’était retiré du projet après avoir appris l’existence de Revolution of Our Times, afin de ne pas être impliqué.
Le directeur Kiwi Chow a dit qu’il essaie de ne pas penser à ce qu’il peut et ne peut pas dire, afin de maintenir la vérité. « Je ne veux pas deviner où est la limite, c’est la seule façon pour moi d’être libre. »
Médias : un pari diplomatique du Festival de Cannes
Le choix du festival de Cannes a été décrit par les médias comme un pari diplomatique, et pourrait faire l’objet de plaintes diplomatiques de la part des autorités chinoises et de Hong Kong, comme le rapporte l’actualité.
Au début de l’année, Pékin avait censuré la victoire aux Oscars de la réalisatrice chinoise Chloé Zhao, après qu’elle avait soi-disant critiqué la Chine. L’Académie chinoise du cinéma a également exprimé sa colère à la suite de la sélection aux Oscars d’un autre documentaire anti-chinois, No Cut, qui a conduit la Chine à annuler la retransmission en direct des Oscars et à ordonner aux médias de minimiser la cérémonie de remise des prix.
Les organisateurs du festival de Cannes ont peut-être anticipé la réaction négative et ont choisi d’annoncer et de projeter Revolution of Our Times juste avant la fin du festival, alors que le film avait déjà été projeté et ne pouvait être retiré.
Le Wall Street Journal a rapporté que même le titre du film de Kiwi Chow pourrait provoquer la colère des gouvernements de Hong Kong et de Pékin, car le slogan « Liberate Hong Kong, revolution of our times » (Libérer Hong Kong, la révolution de notre temps) a été accusé de « subversion ». Le 11 juin, le gouvernement hongkongais a annoncé de nouvelles mesures sur la censure des films, exigeant que les films qui « dépeignent, représentent ou illustrent » des actes qui « peuvent constituer un crime contre la sécurité nationale » et qui pourraient être considérés comme « approuvant, soutenant, promouvant, glorifiant, encourageant ou incitant » de tels actes, ou que le film dans son ensemble et son effet sur le public peuvent mettre en danger la sécurité nationale, ne devaient pas être projetés.
Des critiques ont déclaré que la liberté d’expression dans le cinéma de Hong Kong disparaissait à un rythme rapide.
Avec la collaboration de Charlotte Clémence
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