« Cette loi, nous l’avons pensée comme une loi de fraternité, une loi qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation ». Ces propos prononcés par le chef de l’État, lors d’un entretien accordé aux médias La Croix et Libération, ont interrogé sur un modèle français de fin de vie unissant l’aide à mourir et les concepts de fraternité et de solidarité.
Un entretien symbolique accordé à deux médias
Deux médias, affichant des valeurs politiques et humaines différentes, ont été invités par le président de la République. Après avoir précisé que cette loi a été pensée comme : « une loi de fraternité, une loi qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation. », et ajouté qu’elle « trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors et qui ouvre la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes », le président a salué ce « modèle français ».
.
« Le terme que nous avons retenu est celui d’aide à mourir parce qu’il est simple et humain et qu’il définit bien ce dont il s’agit », a expliqué M. Macron. Tout en énonçant que « Le nouveau cadre propose un chemin possible, dans une situation déterminée, avec des critères précis, où la décision médicale a son rôle à jouer ».
Par ailleurs, c’est une procédure qui sera prise en charge par l’assurance maladie car : « C’est en effet ce que prévoit le projet de loi parce que, du diagnostic à la mort, c’est une manière d’attester que la société accompagne la personne malade et fragile, en reconnaissant la part de vie complète et absolue qu’il y a jusqu’à la dernière seconde », a aussi précisé le chef de l’État.
Mais, parler de l’aide à mourir et de fraternité a surpris dans les milieux religieux.
Le concept de fraternité associé à l’aide à mourir a surpris le président de la Conférence des évêques de France
« Appeler " loi de fraternité " un texte qui ouvre à la fois le suicide assisté et l’euthanasie est une tromperie », a avancé l’Archevêque de Reims, Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, dans un article publié par le journal La Croix. « Penser que la solution consiste à faire mourir et non pas à soutenir, accompagner, aimer… c’est effrayant ! », a-t-il développé.
« Le projet actuel mêle les deux gestes. La foi chrétienne éclaire en profondeur notre conception de la vie et de nos responsabilités humaines, mais il n’y a pas besoin d’être chrétien pour penser qu’une société se grandit en refusant de donner la mort et en mobilisant ses forces pour accompagner chacun jusqu’au bout de sa vie », a-t-il aussi appuyé.
« Une telle loi, quoi qu’on veuille, infléchira tout notre système de santé vers la mort comme solution », a affirmé Mgr de Moulins-Beaufort. Car, « Il n’y a pas besoin d’être chrétien ni même de croire en Dieu pour comprendre le danger qu’il y a à ce qu’une société participe à mettre fin à une vie humaine ».
« Il s’agit clairement de suicide assisté et d’euthanasie sur décision médicale »
Selon Mme Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) : « Il s’agit clairement de suicide assisté et d’euthanasie sur décision médicale, sans même qu’une limite claire soit tracée entre les deux ». « le processus envisagé permet, en outre, que le geste final soit effectué par le patient lui-même, un personnel soignant, médecin ou infirmier, mais aussi un tiers de confiance. Or, aucun pays au monde n’a autorisé l’administration de la substance létale par un proche » a-t-elle affirmé, au cours d’un entretien accordé au journal La Croix.
« L’aide à mourir, c’est ce que nous faisons tous les jours en soins palliatifs. Dire que, par ce texte, nous allons découvrir la fraternité est méprisant pour le travail que nous effectuons » a rappelé Mme Fourcade.
« Ce projet de loi va bouleverser la notion du soin sans que ce soit assumé, puisque le président de la République évoque pour en parler les termes de fraternité et de solidarité ». « Nous, soignants, ne voulons pas avoir à décider de qui doit vivre et de qui peut mourir. Nous ne voulons pas de ce pouvoir de décision », a-t-elle affirmé.
Mais que deviennent la clause de conscience et les soins palliatifs ?
La clause de conscience ne semble pas avoir été mentionnée lors de l’entretien du président de la République. « Cette absence est caractéristique, je le crains, de la philosophie globale de ce texte. Quel est, quel sera notre pacte social ? » a souligné Mgr de Moulins-Beaufort.
Quant au devenir des soins palliatifs, « Je ne vois pas que ce soit une partie importante du projet. À ce stade, il n’y a que des promesses vagues, comme depuis vingt ans. Nous avons besoin non seulement d’unités de soins palliatifs, mais du développement d’une culture de l’accompagnement de la douleur depuis le commencement de la prise en charge des patients. Le président en parle, mais il faut des actes concrets » a développé Mgr de Moulins-Beaufort.
Cet argument est aussi avancé par Mme Fourcade qui réfute les propos tenus par le chef de l’État : « C’est un piège, à double titre. On n’arrête pas de nous dire que le développement des soins palliatifs est une priorité et une urgence absolue ! Or le trajet parlementaire du projet de loi ne commencera qu’en mai et va durer des mois… Une grande ambition en la matière devrait être un préalable. Le Comité consultatif national d’éthique avait même conditionné toute évolution législative à la mise à disposition de soins palliatifs pour tous ».
Elle appuie ses propos en ajoutant : « Mais de quelle ambition parle le président quand il évoque la " stratégie décennale " qui doit être bientôt présentée ? Quand on regarde l’enveloppe qui lui sera dédiée, les promesses faites paraissent dérisoires. Le président de la République évoque un milliard d’euros de plus en dix ans, soit 6 % d’augmentation par an par rapport au budget actuel. Cela représente 1,5 euro par Français et par an. Un montant qui couvrira à peine l’inflation et l’augmentation du nombre de personnes à prendre en charge en raison du vieillissement de la population.. Or, actuellement, 50 % des patients meurent sans avoir eu accès à un accompagnement adapté faute d’une offre de soins suffisante. 500 personnes par jour ! On nous promet une révolution, je crains que ce soit à peine une évolution ».
Un certain regard sur la société face à la notion de fin de vie
Dans un entretien accordé en 2022 au journal La Croix, Jacques Ricot, philosophe « Le droit au suicide engendrerait une rupture éthique colossale » qui abordait l’avis du Comité consultatif national d’éthique sur « l’aide active à mourir », le philosophe Jacques Ricot a porté une analyse sur la notion de liberté devant la mort.
Face au droit de mourir prôné par les partisans de l’euthanasie il a précisé que l’« on peut prétendre choisir sa mort. Le suicide est ainsi une liberté personnelle. La loi française ne l’interdit plus, il est juste dit qu’il ne faut pas le provoquer. Pour autant, cette même loi ne dit pas que cela suppose, en face, un droit et que la société soit tenue de mettre à disposition les moyens d’exercer la liberté d’en finir. Une société qui validerait le droit à l’auto-suppression, l’auto-dévaluation, engendrerait à mon sens une rupture éthique colossale ».
Par ailleurs, il est resté dubitatif en abordant cette notion de liberté, en posant cette question : « Est-on vraiment libre, quand la mort est préférable à la vie ? ». Car, « Quand on se suicide, c’est finalement qu’on ne voit pas d’autre issue possible. Que l’on a perdu sa liberté. Si c’est une liberté, c’est une liberté confisquée ».
Dans son analyse, il va encore plus loin dans la compréhension du concept de liberté. « Assistance et suicide, l’alliage des deux mots est paradoxal, car au nom d’un principe de liberté individuelle, au nom de la volonté de disposer de mon propre corps, je me retrouve à aliéner la liberté de l’autre, qui doit approuver et participer à un choix qui n’est pas le sien au départ. Quelqu’un doit accepter de me donner le poison pour que je puisse exercer ma liberté de choisir ma mort. Au fond, quelle est donc cette liberté qui dépend de celle d’autrui ? »
« Légaliser une aide à mourir, cela oblige chacun à envisager cette solution. Et cela peut avoir un impact sur notre prise en compte de la vulnérabilité. Quel message une telle légalisation enverrait-elle aux personnes vulnérables, aux personnes âgées ? Quelle pression cela va-t-il faire peser sur les plus faibles ? La société n’est pas qu’une juxtaposition de libertés individuelles. Nous sommes liés. Une loi peut être répressive, mais elle est aussi expressive : elle traduit les valeurs d’une société », a-t-il affirmé au cours de son entretien.
En abordant la notion de compassion propre à tout être humain, il développe en ces termes : « parce que compatir c’est agir, cela convoque une éthique, donc une réflexion sur la fin poursuivie et les moyens adaptés à cette fin. Céder au seul réflexe dicté par le sentiment, sans l’accompagner d’un travail rationnel, c’est risquer de se laisser embarquer dans des attitudes émotionnelles, avec leurs dérives ».
« Aider quelqu’un à mourir est un geste d’impuissance et non d’amour. C’est de la compassion dévoyée. C’est lui dire : oui, ta vie ne vaut effectivement rien. C’est briser un interdit civilisateur » ont été ces mots de conclusion.
Le projet de Loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, qui propose le modèle français de « l’aide à mourir » présenté par le président de la République, suit son parcours. Il a été transmis au Conseil d’État ce lundi 18 mars et sera certainement discuté en Conseil des ministres au début de ce mois d’avril. Une Commission spéciale devra examiner ce projet qui d’ores et déjà apparaît comme étant très sensible. Selon le calendrier, il débutera vers la fin du mois de mai son parcours au sein de l’hémicycle.
Gabriel Attal, le Premier ministre, a posté ce message sur son compte X : « La mort ne peut pas être un sujet tabou, silencieux. Malgré des avancées considérables ces dernières années, certains de nos concitoyens se trouvent parfois impuissants face à la maladie et la douleur ».
Certes, « la mort ne peut pas être un sujet tabou ». Mais, irons-nous vers une réalité, comme celle décrite dans le film Soleil vert ? Sorti en 1973, ce film relatait une fiction qui se déroulait en 2022 et présentait l’aide à mourir comme un choix sociétal privilégié par une certaine catégorie de personnes.
Un accompagnement de fin de vie qui reposerait sur le développement des soins palliatifs, tel que préconisé par la Loi Claeys-Léonetti serait certes plus coûteux, mais permettrait à toutes les personnes qui en auraient besoin de bénéficier d’un tel accompagnement. C’est peut-être en cela que le modèle français de fin de vie serait réellement innovant. C’est peut-être en ce sens qu’une société met en avant ses vraies valeurs humaines fondées sur la compassion et le respect jusqu’au bout de la vie.
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.