La violence qui a touché de nombreuses villes de France après la mort du mineur de 17 ans, Nahel Merzouk, a été comparée à celle des émeutes urbaines de 2005. Comment expliquer que de tels événements se reproduisent 20 ans après ? Mais surtout, que faire pour combler cette fracture entre la police et les jeunes des quartiers sensibles ?
En 2005, deux adolescents, Zyed et Bouna, ont trouvé la mort dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois, alors qu’ils étaient en train de fuir la police. Leur décès a entraîné des révoltes urbaines pendant trois semaines, nécessitant l’instauration de l’état d’urgence, rappelle Le Monde, dans un article du 7 juillet.
En 2023, le même scénario se reproduit avec la mort de Nahel, à la suite d’une bavure policière. L’adolescent est abattu alors qu’il tentait de s’échapper au volant d’une voiture sans permis, refusant d’obtempérer.
Y aurait-il une fracture réelle entre la police et les jeunes des quartiers sensibles ?
Les instances politiques déconcertées
Cette question a été largement débattue et proposée par plusieurs gouvernements. Un bref rappel historique permettra de mieux comprendre la situation.
En 1998, une police de proximité est mise en place, sous le gouvernement de Lionel Jospin inspirée d’un modèle anglo-saxon le community policing. Le but « consistait à insérer plus étroitement les policiers dans le maillage social et faciliter le vivre ensemble », est-il précisé dans un article du Monde, paru le 6 juillet 2023.
En 2007, après les violences de 2005, Nicolas Sarkozy décide d’armer plus lourdement les forces de l’ordre avec des lanceurs de balles de défense, classées armes de guerre par la réglementation internationale. La logique du moment était d’instaurer la peur, « d’avoir une police qui fait peur ». Ainsi, les Français d’origine arabe, maghrébine et afro-antillaise étaient contrôlés dix fois plus que les autres, d’où un sentiment de discrimination.
Une loi du 28 février 2017 est votée sous la présidence de François Hollande, elle va donner l’autorisation de se servir d’une arme à feu, dans certaines situations. Cela aura pour conséquence directe de voir le nombre de tirs sur véhicules en mouvement augmenter considérablement.
En 2017, Emmanuel Macron veut créer une police de sécurité du quotidien, sur le modèle de la police de proximité. Mais, ce dispositif ne sera pas appliqué en raison des manifestations des gilets jaunes en 2018. Il va alors choisir une police « d’intervention ». Le projet de police de proximité sera mis de côté.
L’IGPN, la police des polices, recense en 2021, 37 morts et 79 blessés lors d’opérations de police.
Les causes de la fracture entre la police et les jeunes des quartiers sensibles
Les raisons sont complexes et multifactorielles. Pour la plupart, cette fracture résulte des causes suivantes :
- Les discriminations et le profilage, avec des contrôles d’identité et les fouilles répétés, réalisés sur de l’apparence physique, l’origine ethnique ou le lieu de résidence, plutôt que sur des raisons objectives.
- Les abus de pouvoir et brutalités policières vont créer une méfiance entre la police et les jeunes des quartiers sensibles.
- Les problèmes socio-économiques, tels que le chômage, la pauvreté et les frustrations.
- Le manque de dialogue et de communication entre la police et les jeunes des quartiers sensibles.
- Et aussi, le rôle joué par les médias et les réseaux sociaux qui amplifient les incidents et donnent une perception souvent négative des forces de l’ordre.
Une enquête de l’Institut Montaigne, relayée par Radio France, démontre que la jeunesse est « plus complexe à comprendre et à définir ». Les jeunes se sentent « très concernés par beaucoup de questions sociétales ». Ils sont aussi « plus sensibles que les générations précédentes aux questions relatives au racisme, aux inégalités et aux discriminations ». Pour eux, « il n’existe pas de fracture entre les générations, mais davantage des évolutions de valeurs et d’approches ».
La violence se justifie-t-elle pour autant ?
En dépit de toutes ces causes et de l’incapacité de l’autorité à trouver des solutions adaptées aux problèmes sociaux de zones sensibles, la violence extrême des jeunes des quartiers sensibles, en particulier des mineurs, qui s’est exprimée au mois de juin 2023 se justifie-t-elle ? Les pillages, casses, incendies des bâtiments publics, poubelles, habitations, les émeutes avec « actes de barbarie », mais plus grave encore l’intention de vouloir « tuer du flic », est particulièrement inquiétant.
Ces actes ne peuvent-ils pas être qualifiés d’atteintes à la démocratie, à la République, à la sécurité de la population qui se sent menacée dans son environnement et dans sa vie de tous les jours ?
Peut-être faudrait-il rappeler que toute personne a des droits, mais aussi des obligations. Par ailleurs, le respect de la République, mais aussi de ses institutions, est le devoir de tout Français et de toute personne résidant sur le territoire. Alors, la formation et l’enseignement délivrés aux jeunes dans les zones sensibles sont-ils adaptés ? Le programme pédagogique des écoles prévoit l’enseignement des principes fondamentaux de la République, mais un enseignement plus soutenu serait-il plus adapté aux jeunes de quartiers sensibles ? Et les parents : ont-ils joué leur rôle ? Autant de questions qui devraient être analysées et résolues dans un avenir proche.
Faut-il revenir à la police de proximité ?
De nombreux politiciens et sociologues sont convaincus qu’il est essentiel de promouvoir des moyens pacifiques de protestation et de dialogue pour résoudre les problèmes sociaux des jeunes des quartiers sensibles. Les gouvernements et les autorités compétentes ont certainement un rôle à jouer au niveau de l’écoute et de la prise en compte des préoccupations des jeunes des quartiers sensibles.
Il existe d’ailleurs des initiatives visant à renforcer le dialogue, la confiance et la coopération. Certaines organisations, associations et autorités locales travaillent à améliorer les relations entre la police et les jeunes, en favorisant le dialogue, la formation des agents de police et en mettant en place des projets communautaires.
Ainsi, l’État reconnaît que la police française doit réformer son « approche autoritaire » et adopter une « approche communautaire » plus en phase avec les valeurs démocratiques revendiquées par l’Union européenne.
L’État a bien pris en compte la nécessité de transformer en profondeur les modes d’intervention de la police de sécurité publique dans les zones jugées difficiles, peut-on lire sur le site du Collège de France, dans un article, paru en 2013 et écrit par Manuel Boucher. Mais cette approche nécessite du temps et des formations sur la manière de faire de la police dans les zones défavorisées. Ainsi, peut-être pourra-t-on voir fleurir une formation adaptée au caractère multi ethnique des grandes métropoles françaises ?
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