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France. L’article 16 de la Constitution ou dictature temporaire du président de la République, doit-il inquiéter ?

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Une crise institutionnelle pourrait-elle justifier l’usage de l’article 16 de la Constitution, qui donne les pleins pouvoirs au président de la République ? Après l’allocution solennelle d’Emmanuel Macron du jeudi 5 décembre 2024, l’hypothèse est clairement écartée. Pourtant, cette option a été régulièrement évoquée depuis la dissolution de juin, non sans une certaine inquiétude. Pourquoi ?

L’article 16 est l’article des pouvoirs de crise au cœur de la Constitution de la Ve République. En l’occurrence, le président de la République française peut, de son propre chef, s’arroger des prérogatives exceptionnelles pour résoudre une grave situation de crise. Après les élections législatives de juin et juillet 2024, les commentateurs de la situation politique se sont interrogés sur la question de savoir si une configuration politique a-majoritaire était constitutive d’une telle menace sur le pays.

Après la censure et la démission de Michel Barnier, cette hypothèse a de nouveau été évoquée. Mais de quoi parle-t-on ?

Le résultat d’une élection démocratique peut-il constituer une menace ?

L’article 16 de notre Constitution fait naître au profit du chef de l’État une faculté discrétionnaire qui
n’existe dans aucune démocratie libérale.

Aussi, cet article est considéré comme un véritable danger public qu’on ne peut manier qu’avec prudence pour répondre à une situation extrême. On ne voit d’ailleurs pas bien sur quel fondement l’article 16, qui a été pensé pour répondre à une situation cumulant un péril national comme une attaque impossible à juguler avec les moyens ordinaires et l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, pourrait être mis en œuvre même si le travail parlementaire était entravé par une configuration majoritaire relative, voire a-majoritaire, et de cohabitation.

Notons que l’adjectif « régulier » signifie conforme à la règle, en l’occurrence, la Constitution. Or même si le Parlement est contraint de négocier des accords de majorité pour chaque texte, cette pratique n’est pas contraire à la Constitution. Et la présence de moyens parlementaires tels que la motion de censure n’est pas non plus contraire à la Constitution : ces moyens en sont au contraire l’application.

Cela étant dit, le déclenchement de l’article 16 étant discrétionnaire, il pourrait très bien dépendre d’une interprétation alternative, tout à fait subjective et donc très large d’un président de la République qui souhaiterait en finir avec une configuration a-majoritaire trop inconfortable.

L’article 16 de la Constitution ou dictature temporaire du président de la République, doit-il inquiéter

Liberté du chef de l’État

Cette liberté a priori du chef de l’État vient de ce que le recours à l’article 16 relève d’un de ses pouvoirs propres : celui d’accaparer la plénitude des pouvoirs exécutif et législatif pour remédier à une situation de péril immédiat de la Nation. C’est un pouvoir propre parce qu’il ne requiert aucune autorisation préalable d’un quelconque autre organe.

Pour autant, le déclenchement de ce mode alternatif d’exercice du pouvoir de l’État est subordonné au constat d’une situation dangereuse pour le pays, laquelle est qualifiée ainsi par le texte constitutionnel :

« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. »

La mise en œuvre de ces pouvoirs de crise est donc conditionnée. Il faut qu’une menace grave et immédiate pèse sur l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire ou sur l’exécution des engagements internationaux, et que les pouvoirs publics ne puissent plus fonctionner.

Mais à côté du texte, il y a la capacité d’appréciation de la situation. Celle-ci dépend essentiellement du président, puisqu’aucun autre que lui ne peut mettre en œuvre ce pouvoir et qu’aucune autorité n’est chargée de constater la situation requise à part lui.

Enfin, des formalités sont à accomplir pour pouvoir prendre les mesures nécessaires au retour à l’ordre : consultations officielles et messages d’information à la nation quant aux mesures à prendre. Mais ce ne sont pas des conditions préalables à l’exercice de ce pouvoir. Les mesures ne sont pas contrôlées et sont réputées être prises pour remédier au trouble.

Il existe cependant des limites à l’exercice de ces pouvoirs de crise. Il en est une qui semble de bon sens mais que les rédacteurs de la constitution ont quand même cru bon d’indiquer tellement le risque est grand qu’une dictature s’installe. On sait quand elle commence, jamais quand elle finit. Et si le président refusait de rendre les pouvoirs qu’il a concentrés le temps d’un retour à l’ordre ? Les pouvoirs exceptionnels doivent donc cesser dès que les circonstances ne les justifient plus.

Histoire de l’article 16

Cet article a été défendu par le général de Gaulle au cours des débats constituants de 1958. Il était déjà en germe dans son discours de Bayeux en 1946, lorsqu’il  insistait sur la nécessité que le chef de l’État soit le garant des institutions en cas de péril : « [À] lui, s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France. »

Douze ans plus tard, cette garantie présentée comme nécessaire devait notamment, dans les cas les plus graves, prendre la forme d’une dictature temporaire. Les pouvoirs de crise furent utilisés, en pleine guerre d’Algérie, à la suite d’un putsch organisé par des généraux français opposés à la stratégie de négociation du général de Gaulle avec les indépendantistes algériens.

Déclenché en avril 1961, l’article 16 fut prolongé pendant 5 mois, le temps d’un « retour à la normale », notion toute relative puisqu’une guerre d’indépendance était en cours. On voit bien, grâce à cette unique occurrence, que les circonstances justifiant le déclenchement des pouvoirs d’exception comme leur levée dépendent essentiellement des objectifs stratégiques du président de la République.

A fortiori, dans la configuration de 1961, le Conseil constitutionnel n’avait pas encore affirmé – dix ans avant la décision de 1971 – une quelconque autonomie à l’égard de la présidence de la République pour constituer une garantie quant à l’usage de ce pouvoir. Il ne pouvait alors représenter une limite à la volonté présidentielle.

On peut penser qu’aujourd’hui, en dépit du mode de désignation de ses membres, le Conseil constitutionnel soit en mesure, le cas échéant, d’opposer une résistance conséquente au chef de l’État.

L’article 16 de la Constitution ou dictature temporaire du président de la République, doit-il inquiéter
Le parlement constitué en Haute Cour, peut, depuis la réforme de 2007, avec une majorité des deux tiers, destituer le président « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». (Image : wikimedia / ZeusUpsistos / CC BY-SA 4.0)

Le président destitué en cas de recours abusif à l’article 16 ?

Le parlement constitué en Haute Cour, peut,depuis la réforme de 2007, avec une majorité des deux tiers, destituer le président « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».

Le recours à l’article 16 hors d’un péril grave et immédiat constituerait-il un tel manquement ? Il est impossible de répondre à l’avance à cette question. Tout dépend du rapport de forces politiques qui existerait entre le président et le Parlement, mais aussi au sein du Parlement constitué en Haute Cour, au moment de procéder à ce vote. On doit donc considérer que ce manquement n’existe que si une majorité des deux tiers des parlementaires le décide. Là encore, les pronostics sont incertains.

Une chose est en tout cas évidente : le recours à l’article 16 pour faire adopter un budget qu’on peut par ailleurs prolonger provisoirement semble parfaitement inutile et complètement disproportionné au regard d’une concentration du pouvoir qui, elle, serait catastrophique pour notre démocratie malmenée.

Rédacteur Charlotte Clémence

Auteur
Charlotte Girard : Maître de conférences en droit public, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

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