Chute du gouvernement Barnier : une censure historique. (Image : Capture d’écran / YouTube)
Le gouvernement français minoritaire dirigé par le Premier ministre de droite Michel Barnier a été renversé lors d’un vote de défiance, dernier choc en date pour le système politique bloqué du pays au cours d’un semestre mouvementé.
Le vote de défiance a été soutenu par une coalition improbable et importante de députés français d’extrême gauche, de gauche et d’extrême droite.
Cette décision fait suite à une contestation du gouvernement Barnier devant l’Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement français. L’Assemblée nationale n’étant pas susceptible de soutenir le budget 2025 proposé par Michel Barnier, le premier ministre a utilisé ses pouvoirs exécutifs pour faire passer la mesure dans la loi sans vote parlementaire.
En réponse à cette décision, les deux principaux groupes politiques de l’assemblée, le Nouveau Front populaire (gauche et extrême gauche) et le Rassemblement national (extrême droite), ont proposé un vote de défiance.
Les deux blocs représentent la majorité des 577 députés de l’assemblée et disposent donc facilement des voix nécessaires pour renverser le gouvernement de Michel Barnier.
La dernière motion de censure réussie remonte à 62 ans. Aujourd’hui, le président Emmanuel Macron doit faire face au dernier défi en date pour son leadership assiégé : nommer un nouveau premier ministre qui, à son tour, nommera un nouveau cabinet.
Alors que l’extrême gauche et l’extrême droite souhaiteraient voir Emmanuel Macron démissionner également, rien n’indique pour l’instant qu’il le ferait. Il ne doit pas être réélu avant 2027.
UPDATE: France's hard left wants President Macron to resign after lawmakers voted to oust PM Barnier's government. Mathilde Panot, head of the parliamentary faction of the France Unbowed, said early presidential elections could solve the country's deepening political crisis. pic.twitter.com/a8BsO85oTz
Le gouvernement Barnier a été nommé par Emmanuel Macron il y a trois mois, sur la base d’un calcul étroit à la suite d’une élection parlementaire éclair.
Emmanuel Macron a déclenché les élections en juin et en juillet pour tenter de renforcer sa fragile majorité à l’Assemblée. Au lieu de cela, il a perdu sa majorité et s’est retrouvé avec une nouvelle législature encore plus divisée qu’elle ne l’était auparavant.
Bien qu’une alliance de partis de gauche, le Nouveau Front populaire, soit arrivée en tête, elle n’a pas eu suffisamment de députés pour détenir une majorité et former un gouvernement. Le parti d’extrême droite de Marine Le Pen, le Rassemblement national, n’a pas non plus obtenu le deuxième plus grand nombre de sièges.
Pour remédier à cette situation, Emmanuel Macron a réuni les partis politiques du centre et de la droite modérée pour nommer Michel Barnier, une décision qui a consterné un grand nombre d’électeurs français qui avaient soutenu soit la gauche, soit l’extrême droite.
Le gouvernement de Michel Barnier a donc toujours été fragile et sa chute a toujours été très probable. Cependant, son gouvernement s’est heurté à son premier obstacle législatif : l’adoption du budget de l’année prochaine.
La cote de popularité d’Emmanuel Macron a chuté de manière significative. (Image : wikimedia / kremlin.ru / CC BY 4.0)
Que pourrait-il se passer ensuite ?
Conformément à la Constitution française, l’Assemblée nationale ne peut être dissoute avant juillet 2025, ce qui signifie que le paysage politique français restera précaire jusqu’à cette date.
Pour l’instant, Michel Barnier occupera un poste intérimaire jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron nomme un nouveau premier ministre sur la base d’une nouvelle coalition. Cela pourrait prendre des jours, des semaines, voire quelques mois. Les coalitions sont difficiles à former en France, car les partis politiques sont plus enclins au sectarisme qu’à la coopération.
Deux scénarios sont probables et un troisième est possible
Tout d’abord, Emmanuel Macron pourrait tenter de rassembler une nouvelle majorité pour soutenir ses députés centristes et son programme politique. Pour ce faire, il devrait faire appel aux députés de la droite traditionnelle et conservatrice et du centre gauche en même temps, et peut-être nommer un premier ministre parmi eux comme monnaie d’échange.
Il est toutefois peu probable que les députés de gauche modérée dont il a besoin le soutiennent. Ils ont davantage intérêt à s’en tenir à l’alliance qu’ils ont formée : le nouveau Front populaire. Cette alliance est composée de partis de gauche (Verts, socialistes, démocrates, etc.) qui pourraient mettre en œuvre un véritable programme de réformes de gauche, s’ils trouvaient un moyen de travailler ensemble.
Cela nous amène au deuxième scénario possible : un nouveau gouvernement majoritaire de gauche.
Le nouveau Front populaire dispose du plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale, mais il n’a pas encore le nombre nécessaire pour former un gouvernement majoritaire. S’il veut former un gouvernement, il devra donc obtenir des députés du centre, un scénario tout aussi incertain. Une telle coalition hétéroclite serait en négociations constantes sur les projets de loi.
Le troisième scénario, possible mais plus délicat, verrait Emmanuel Macron reconduire Michel Barnier, déchu, à condition qu’il modifie le projet de loi de finances afin d’apaiser l’opposition et d’éviter un nouveau vote de défiance.
Quelle que soit la suite des événements, une chose reste certaine : le prochain gouvernement sera probablement de courte durée.
La France pourrait même voir plusieurs gouvernements tomber jusqu’aux prochaines élections de l’Assemblée nationale, qui ne peuvent être programmées avant juillet 2025 au plus tôt. Même dans ce cas, une nouvelle élection pourrait ne pas résoudre le profond schisme qui s’est formé dans la société française depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017.
Entre 1947 et 1958, la France a connu plus de 20 gouvernements. Le système politique du pays a survécu, mais cette période a été très mouvementée. La période qui a suivi a été relativement stable, avec des gouvernements forts et majoritaires.
Si la France connaît actuellement un regain d’instabilité gouvernementale, ses institutions et sa culture permettront à son système politique de survivre à nouveau. La démocratie française est forte dans l’âme.
Qu’en est-il du budget 2025 ?
Pour l’instant, le budget 2025 est une question secondaire. Il n’y aura pas de « shutdown » à l’américaine, car la France fonctionne différemment : elle utilisera le budget 2024 jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit en place.
Cependant, en tant que membre de l’Union européenne, la France est censée avoir un déficit budgétaire annuel inférieur à 3 %. Actuellement, il est supérieur à 5 %.
Quel que soit le prochain gouvernement français, il devra faire face à une pression énorme pour réduire le déficit public, qui s’est considérablement creusé depuis la pandémie. Le pays est également confronté à d’autres défis économiques, notamment la baisse de la confiance des consommateurs et le ralentissement de la croissance.
Enfin, la France devra faire face à des taux d’intérêt légèrement plus élevés lorsqu’elle empruntera sur les marchés financiers pour financer sa dette nationale. Cela signifie que davantage d’argent des contribuables sera consacré au refinancement de la dette au lieu d’être utilisé pour ce que les Français considèrent comme des priorités : la crise du coût de la vie, les hôpitaux, l’éducation, la police et d’autres services essentiels.
Rédacteur Fetty Adler Collaborateur Jo Ann
Auteur Romain Fathi Senior Lecturer, School of History, ANU / Chercheur Associé at the Centre d’Histoire de Sciences Po, Australian National University Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons.
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