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France. Le Nouveau Front populaire au défi de l’unité

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Raphaël Glucksmann a fait sa rentrée politique en se positionnant en présidentiable. De son côté, La France Insoumise (LFI) refuse la grande primaire de gauche proposée par Olivier Faure, premier secrétaire d’un Parti socialiste (PS) fracturé en deux. Si le Nouveau Front Populaire (NFP) a su rassembler lors des législatives, saura-t-il rester uni et désigner un leader commun pour 2027 ?

« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. »

C’est par ces mots que  Jean Jaurès appelait, malgré les difficultés, à garder espoir dans son célèbre Discours à la jeunesse. Le Nouveau Front populaire a suscité l’espoir : saura-t-il résister aux multiples tensions – idéologiques et stratégiques – qui le traversent ?

La création du NFP s’est faite dans l’urgence, en quatre jours, face à la menace d’un Rassemblement national dont les sondages prédisaient une victoire écrasante. Cette coalition, unique par son ampleur (LFI, PCF, EELV, PS et NPA) et sa mobilisation citoyenne, a donné tort aux pronostics, arrivant en tête au second tour des législatives. Le NFP est ainsi devenu la première force politique de l’Assemblée nationale avec 178 députés élus le 7 juillet.

Après le refus d’Emmanuel Macron de nommer Lucie Castets, candidate du NFP, à Matignon, et avec l’entrée en fonction de Michel Barnier, se pose désormais la question des perspectives pour le NFP, notamment en vue de la prochaine présidentielle.

Le Nouveau Front Populaire : une union contre nature ?

Les obstacles posés sur le chemin de la cohérence et de l’unité sont multiples. Rappelons, pour commencer, la fragilité du socle idéologique et stratégique des partis réunis sous la bannière NFP

Alors que le PS et les Écologistes, Europe Écologie Les Verts (EELV), s’inscrivent dans une tradition social-démocrate, LFI prône une « révolution citoyenne » et une refonte complète des institutions. Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon rejette le social-libéralisme adopté par le PS ces dernières décennies, et l’accuse de compromission avec le néolibéralisme.

De plus, les stratégies des partis réunis sont largement divergentes. Tandis que le PS ou EELV ont une approche plus institutionnelle et consensuelle, Jean-Luc Mélenchon a adopté une stratégie du « bruit et de la fureur », consistant à activer la stratégie réformiste (accéder au pouvoir par les urnes) en l’adossant à un discours révolutionnaire (révolution citoyenne, dégagisme).

Le Nouveau Front populaire au défi de l’unité
On peut citer l’exemple de laNueva Mayoría au Chili en 2013. Cette initiative a permis à Michelle Bachelet, ancienne présidente (2006-2010) et candidate du Parti socialiste chilien, de remporter ces primaires avec 73 % des voix et de se prévaloir du soutien populaire dès avant la campagne présidentielle officielle. (Image : wikimedia / Marium Alberto /  CC-BY-2.0)

Primaire ouverte à gauche ?

Outre ces divergences de fond, il faut se demander si cette coalition est en capacité de désigner un candidat unique, condition sine qua non de son unité future.

Bien que les primaires ouvertes soient souvent perçues par les partis comme une « machine à perdre », on peut les considérer comme une opportunité d’engager les partis du NFP sous une bannière commune. Ces primaires permettraient également de mobiliser le peuple de gauche, tout en conférant au candidat désigné une forte légitimité, et une assise électorale dès le premier tour.

Par ailleurs, comme l’explique le politiste Rémi Lefebvre« Les primaires permettraient de neutraliser l’inéluctable candidature de Jean-Luc Mélenchon, de propulser des candidats aujourd’hui encore trop faibles autrement que par les sondages (Clémentine Autain, François Ruffin, Marine Tondelier, Boris Vallaud…) et de mettre en mouvement la société civile ».

De telles primaires réunissant l’ensemble des partis de gauche ont déjà vu le jour. On peut citer l’exemple de la Nueva Mayoría au Chili en 2013. Cette coalition a rassemblé sept partis de gauche et de centre gauche autour d’un projet politique commun et d’un candidat unique, sur la base d’une primaire ouverte. Cette initiative a suscité un véritable engouement dans tout le pays, mobilisant plus de trois millions de votants (dans un pays de 17 millions d’habitants). Ce « suffrage partisan » a permis à Michelle Bachelet, ancienne présidente (2006-2010) et candidate du Parti socialiste chilien, de remporter ces primaires avec 73 % des voix et de se prévaloir du soutien populaire dès avant la campagne présidentielle officielle.

Cette comparaison a toutefois ses limites. À la différence des possibles prétendants du NFP, Michelle Bachelet était considérée comme la candidate « naturelle » de la coalition.

Dans le cas du NFP, la primaire ouverte est difficile à imaginer compte tenu de la position singulière de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier n’avait d’ailleurs pas souhaité participer à la Primaire Populaire de 2022.

Par ailleurs, les épisodes des primaires LR et PS de 2017, et plus récemment, la primaire écologiste de 2021, ont exacerbé les divisions internes. Dans le cas d’une coalition réunissant des partis et des personnalités ayant des cultures, des idéologies et des stratégies si différentes, on peut supposer que les divisions seront encore plus fortes.

Vers une individualisation des candidatures

Les législatives anticipées ont été l’occasion pour certaines figures politiques de se positionner en vue de l’élection présidentielle.

L’exclusion des « frondeurs » de LFI : Alexis Corbière, Raquel Garrido, Frédéric Mathieu, Hendrik Davi et Danielle Simonnet, tout en réinvestissant Adrien Quatennens visait ainsi à consolider le leadership de Jean-Luc Mélenchon et à préparer le terrain pour une troisième candidature en 2027.

Face à lui, Raphaël Glucksmann, dont la liste est arrivée en troisième position lors des élections européennes, a officialisé son intention de se porter candidat en 2027. Il souhaite incarner « une gauche sociale, européenne, humaniste, écologiste et féministe ».

L’eurodéputé doit s’appuyer sur le PS tout en contournant son secrétaire national Olivier Faure. Ce dernier est perçu par certains élus socialistes comme le « fossoyeur de la gauche », ou encore d’être « sous influence totale » de Jean-Luc Mélenchon.

Ces tensions poussent la maire de Paris, Anne Hidalgo, à appeler à un congrès rapide du PS pour trancher la ligne stratégique du parti, en soutenant une troisième voie prenant ses distances avec LFI. Ces tensions internes offrent à Raphaël Glucksmann et son « micro-parti », revendiquant 200 000 sympathisants et 10 000 adhérents, l’opportunité de se forger une image de présidentiable en accord avec les valeurs de la gauche modérée.

D’autres figures ont été propulsées au premier plan lors de ces législatives, notamment le député amiénois François Ruffin. En se présentant comme un candidat indépendant, François Ruffin a réussi à se détacher de l’orbite insoumise, n’hésitant plus à afficher son « désaccord moral et électoral profond » avec Jean-Luc Mélenchon. Cette prise de distance marque également l’aboutissement de sa métamorphose en candidat « présidentiable ».

Cette évolution se reflète dans un sondage d’avril 2024 qui le place devant Jean-Luc Mélenchon pour le premier tour des présidentielles avec 29 % des voix – plus de dix points au-dessus du leader insoumis. Lors de la dernière Fête de l’Humanité, François Ruffin s’est positionné en figure rassembleuse à gauche, en bâtisseur de « ponts » entre « la France des bourgs et la France des tours », critiquant Mélenchon qu’il accuse de se concentrer uniquement sur « la jeunesse et les quartiers populaires ».

Le Nouveau Front populaire au défi de l’unité
La multiplication des potentiels candidats à l’élection suprême ne peut qu’affaiblir la possibilité de voir émerger un candidat incontesté, fragilisant ainsi la gauche dans son ensemble. (Image : wikimedia / CC0 1.0)

Se condamner à perdre ?

La multiplication des potentiels candidats à l’élection suprême ne peut qu’affaiblir la possibilité de voir émerger un candidat incontesté, fragilisant ainsi la gauche dans son ensemble.

C’est pour l’heure le scénario privilégié puisque le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, refuse la participation de LFI à une primaire. À l’inverse, le Premier secrétaire du PS [Olivier Faure] plaide pour une primaire ouverte et pour « un candidat commun de la gauche et des écologistes ».

Le jeu reste, à ce stade, ouvert. En tout état de cause, si le Nouveau Front Populaire ne parvient pas à transcender son statut de coalition de circonstance pour une véritable alliance porteuse d’un projet commun, elle se condamne, très certainement, à perdre les batailles futures.

Rédacteur Charlotte Clémence

Auteur
Ludovic Grave : Doctorant en science politique, Université de Lille
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

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