Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

France. Le RN, symptôme et accélérateur de la crise démocratique : sa progression est-elle inéluctable ?

ACTUALITÉ > France

En s’appuyant sur des enquêtes d’opinion, la politiste Nonna Mayer analyse les succès du RN comme le miroir grossissant de la crise de la démocratie représentative, crise que ce parti contribue également à aggraver. Ces enquêtes montrent également que la progression n’est pas inéluctable.

Le constat actuel est que le RN est en position de force pour dicter son agenda au gouvernement Barnier. Il a réalisé des scores sans précédent (plus de 30 %) aux dernières législatives et jamais ses idées n’ont atteint une telle audience (39 % d’adhésion) alors que les Français ne sont plus que 38 % à le considérer comme « un danger pour la démocratie ».

Le RN, symptôme d’une crise démocratique

Les enquêtes d’opinion montrent que, s’il y existe une défiance croissante à l’égard des élites politiques et partisanes en France, c’est au sein des électeurs RN qu’elle est la plus marquée. Selon le Baromètre racisme de la CNCDH de Mars 2022, 93 %  des sympathisants du parti lepéniste n’ont pas confiance dans les dirigeants politiques, et parmi eux 55 % « pas du tout confiance », des niveaux records qu’on ne retrouve dans aucun autre électorat, supérieurs de respectivement 14 et 16 points à la moyenne de l’échantillon (tableau 1).

Le RN, symptôme et accélérateur de la crise démocratique : sa progression est-elle inéluctable
(Image : Capture d’écran / The Conversation)

De la même manière, les proches du RN sont les plus nombreux à penser que « les hommes et les femmes politiques disent rarement la vérité », 90 % se disant d’accord, dont 59 % « tout à fait d’accord », contre 77,5 % et 39 % en moyenne sur l’ensemble des personnes interrogées (tableau 2).

Le RN, symptôme et accélérateur de la crise démocratique : sa progression est-elle inéluctable
(Image : Capture d’écran / The Conversation)

Ils sont également les plus mécontents du fonctionnement de la démocratie en France : fin novembre 2023, seulement 22,5 % des sympathisants du RN estimaient qu’elle fonctionnait bien, soit un taux inférieur de 10 points à la moyenne de l’échantillon.

Le RN prospère donc sur le rejet des élites et au-delà, sur un sentiment général d’insatisfaction.

À la veille des législatives de 2024, les intentions de vote en sa faveur atteignent 61 % chez les personnes « pas du tout » satisfaites de leur vie (61 %), 50 % chez celles qui ont le sentiment de ne pas recevoir le respect qu’elles méritent, 47 % chez celles « tout à fait d’accord » pour juger que leurs conditions de vie sont devenues moins bonnes (Enquête électorale de juin 2024.)

Le RN, facteur aggravant de la crise

Cette insatisfaction, le Rassemblement national contribue également à la nourrir. En effet, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella polarise le débat sur un enjeu, l’immigration, qui reste relativement périphérique pour l’ensemble de l’électorat.

Le Baromètre de la CNCDH (tableau 3) explore chaque année les principales craintes pour la société française. Or, on constate que, fin 2023, le niveau de vie et les inégalités sociales arrivaient en tête, loin devant l’immigration reléguée à la 8ème place, sauf chez les proches du RN où elle arrivait première.

Le RN, symptôme et accélérateur de la crise démocratique : sa progression est-elle inéluctable
(Image : Capture d’écran / The Conversation)

Lors des législatives de 2024, interrogés sur « le problème dont vous tiendrez le plus compte au moment de voter », les électeurs et les électrices du Rassemblement national sont les seuls pour qui l’immigration surclasse toutes les autres préoccupations. Cette  préoccupation est primordiale pour 77 % des électeurs RN contre 38 % dans l’ensemble de l’électorat et 4 % dans l’électorat du Nouveau Front populaire.

Par ailleurs, selon le Baromètre Racisme de la CNDH, loin d’augmenter, le sentiment qu’il y aurait « trop d’immigrés en France », leitmotiv du RN, a baissé de 20 points par rapport au pic du milieu des années 2012-2013 où il concernait trois sondés sur quatre (tableau 4). Seuls les sympathisants du RN restent arc-boutés sur cette position, entre 94 et 100 % d’entre eux persistent à juger qu’il y a trop d’immigrés en France.

Le RN, symptôme et accélérateur de la crise démocratique : sa progression est-elle inéluctable
(Image : Capture d’écran / The Conversation)

Des idées qui gagnent du terrain

Il n’en demeure pas moins que les idées du RN gagnent du terrain au sein de la classe politique, aggravant le décalage entre représentants et représentés comme l’a souligné Vincent Tiberj dans son dernier livre, La droitisation française, mythe et réalités.

Ainsi, une loi pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », portée par Gérald Darmanin, et votée le 26 janvier 2024, flirte avec des mesures préconisées par le RN. Une nouvelle loi plus dure est en préparation à l’initiative de son successeur à l’intérieur, Bruno Retailleau. Grâce à l’alliance électorale passée par Eric Ciotti avec le RN, 62 députés LR ont été investis aux législatives de 2024.

Au final, avec ses 126 députés – 143 avec ses alliés ciottistes – le RN représente une force de blocage avec laquelle le gouvernement de Michel Barnier doit compter, soumis au chantage constant de Marine Le Pen le menaçant de voter une motion de censure avec la gauche si le gouvernement ne renonce pas à la hausse des taxes sur l’électricité, ne baisse pas l’Aide médicale d’État, n’introduit pas la proportionnelle pour le scrutin législatif, ou annule la désindexation partielle des retraites sur l’inflation.

Des succès en trompe-l’œil

Il ne faudrait pourtant pas surestimer l’audience électorale du RN. Certes, il a mobilisé plus de 9 millions d’électeurs et d’électrices au premier tour des législatives et plus de huit millions au second, soit 31 % et 29 % des suffrages exprimés. Mais un gros tiers de l’électorat n’est pas allé voter.

Rapportées au total des électeurs inscrits, les voix qui se sont portées sur le RN ne représentent, pour lors, qu’une minorité de Français. Le décalage entre citoyens et votants est encore plus marqué si on tient compte des étrangers non européens, privés de tout droit de vote, et des Français qui pourraient voter mais n’ont pas fait la démarche préalable d’inscription sur les listes électorales.

Ces inégalités d’accès devant le vote reflètent des inégalités sociales, elles touchent en priorité les catégories populaires, elles qui en majorité hier votaient pour la gauche, comme l’a magistralement démontré Camille Peugny. Combinant  des données tirées des enquêtes « Participation électorale » de l’Insee et de son « Enquête Emploi », son indice d’exclusion électorale fait la somme des personnes qui n’ont pas la nationalité française, des non-inscrits sur les listes électorales et des abstentionnistes constants, par catégorie socio-professionnelle.

Cet indice est de 18 % dans la population salariée dans son ensemble. Mais il passe de 10 % chez les cadres à 28 % chez les ouvriers en général, et il atteint 30 % chez les ouvriers qualifiés de type artisanal et 39,5 % chez les ouvriers non qualifiés de type artisanal.

La qualité d’une démocratie se mesure à sa capacité d’inclusion. Donner le droit de vote aux étrangers après un certain nombre d’années de résidence, faciliter l’inscription sur les listes électorales, redonner voix aux catégories socialement défavorisées serait la réponse la plus efficace pour stopper la progression du Rassemblement national.

Rédacteur Charlotte Clémence

Auteur
Nonna Mayer : Directrice de recherche au CNRS/Centre d’études européennes, Sciences Po
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.