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France. Le scrutin proportionnel, une solution à la crise politique ?

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Après la censure et la chute du gouvernement Barnier, alors que la présence de trois grands blocs politiques rend difficile l’obtention d’une majorité, la question d’une réforme du système électoral se pose avec acuité. L’adoption d’un scrutin proportionnel aux législatives, favoriserait-il une culture du compromis et un meilleur équilibre des pouvoirs entre le parlement et le président ?

Si le scrutin majoritaire à deux tours qui régissait l’élection législative depuis 1958 ne donne plus de majorité stable, pourquoi ne pas essayer le mode de scrutin proportionnel ? Souvent loué, il a été rarement pratiqué en France.

Le scrutin majoritaire, utilisé pour les législatives, prévoit qu’est élu dans une circonscription celui qui arrive en tête au second tour (si aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue au premier tour). Lorsque les candidats d’une même tendance arrivent en tête dans beaucoup de circonscriptions, leur victoire est donc amplifiée. Par exemple, en 2017, avec 32 % des voix au premier tour, le camp présidentiel a obtenu 63 % des sièges. Cela favorise la solidité et la stabilité des majorités.

Avec le mode de scrutin proportionnel sur liste nationale, au contraire, le résultat en pourcentage de voix et de sièges est très proche. C’est le système utilisé aux élections européennes, avec une circonscription unique depuis 2019 (8 auparavant).

Le scrutin proportionnel, une solution à la crise politique ?
Le mode de scrutin proportionnel ne donnant en général pas de majorité à l’Assemblée, le président ne peut la contrôler : c’est à elle de trouver « sa coalition ». Le scrutin proportionnel devrait également faire augmenter la participation électorale, l’électeur ayant davantage le sentiment d’être représenté. (image Richard Ying et Tangui Morlier/ Wikipedia/ CC BY-SA 3.0)

Avantages et inconvénients du scrutin proportionnel

La proportionnelle aurait, selon certains constitutionnalistes, l’avantage de restreindre les pouvoirs d’un hyper-président et de redonner de l’importance à l’Assemblée nationale. Le mode de scrutin proportionnel ne donnant en général pas de majorité à l’Assemblée, le président ne peut la contrôler : c’est à elle de trouver « sa coalition ».

Il permettrait également de modifier progressivement notre culture politique : la proportionnelle ne produisant presque jamais de majorité absolue, les partis négocient plus facilement des compromis et un accord de gouvernement entre tendances opposées.

Ces compromis, nécessaires pour aboutir à un gouvernement stable, sont considérés comme normaux dans l’opinion publique, et non pas comme des compromissions ou des trahisons de la volonté des citoyens. L’Allemagne en donne un bon exemple. Le chancelier, dont le parti social-démocrate a remporté le plus grand nombre de sièges en 2021, dirige la coalition mais il gouverne avec des ministres socio-démocrates, écologistes et - jusqu'à une date récente - avec les libéraux du centre-droit.

Le scrutin proportionnel devrait également faire augmenter la participation électorale, l’électeur ayant davantage le sentiment d’être représenté, sachant que toutes les voix comptent.

Le scrutin majoritaire aboutit à réduire le nombre de partis importants car les petits partis sont incités à se coaliser avec les plus grands pour bénéficier de la prime de ce mode de scrutin. Au contraire, la proportionnelle favorise le fractionnement de la représentation nationale : il n’y a pas d’intérêt à se coaliser avant l’élection, chacun va aux urnes en défendant son programme.

Le scrutin proportionnel, une solution à la crise politique ?
Le scrutin majoritaire favorise les personnalités bien implantées localement et sur lesquelles les partis politiques ont peu d’emprise. Au contraire, avec un scrutin proportionnel de liste, ce sont les partis qui arrêtent la liste des candidats. (Image : Wikimedia /Mozz1217 - Parliament diagram tool / Domaine public)

Si les petits partis ont toujours été favorables au scrutin proportionnel, les partis de gouvernement voulaient - plus ou moins explicitement - maintenir l’avantage du mode de scrutin majoritaire qui donnait à l’un des deux camps (gauche ou droite) de fortes chances de pouvoir obtenir seuls une majorité.

Aujourd’hui, avec le renforcement du Rassemblement National, le maintien du scrutin majoritaire à deux tours a des chances importantes de donner une majorité absolue à ce parti. Tous ceux qui ont peur de la droite radicale au pouvoir ont donc des raisons fortes pour changer le mode de scrutin.

Ajoutons une différence importante, mais rarement mise en avant. Le scrutin majoritaire favorise les personnalités bien implantées localement et sur lesquelles les partis politiques ont peu d’emprise. Au contraire, avec un scrutin proportionnel de liste, ce sont les partis qui arrêtent la liste des candidats. Ceux-ci sont donc beaucoup plus dépendants de leur parti et de son programme. On a aussi souvent dit, notamment à droite, qu’un scrutin proportionnel aboutirait à rompre les liens d’un député avec son territoire qui ne serait donc plus représenté à Paris par un défenseur des intérêts locaux. Cela n’est pas juste concernant une proportionnelle avec une liste à l’échelle départementale.

Qu’est-ce que la proportionnelle départementale ?

Le mode de scrutin proportionnel peut notamment s’appliquer avec des listes à l’échelle nationale, régionale ou départementale. En fonction de l’échelle choisie, on n’obtiendra pas le même niveau de représentativité : il faut des circonscriptions avec une vingtaine d’élus pour que le résultat en pourcentage de voix et de sièges soit proche (5 % des voix donnent 1 élu).

En France, on a plutôt pratiqué une proportionnelle de liste départementale, ce qui est loin d’être égalitaire. En effet, dans certains départements ruraux, il n’y a qu’un ou deux élus. Beaucoup de voix ne participent donc pas à la distribution des sièges (20 % des voix donnent 2 élus dans une circonscription où 10 sièges sont en jeu, mais 0 élu dans une circonscription où seulement 2 sièges sont à pourvoir). Ce n’est que dans les départements avec de nombreux élus que la proportionnelle départementale est relativement juste.

Le scrutin proportionnel, une solution à la crise politique ?
Depuis, c’est surtout la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet et le MoDem qui ont fortement défendu un projet de mode de scrutin mixte : proportionnel dans les départements élisant plus de 11 députés (réunissant 26 % de la population), majoritaire ailleurs. (Image : Wikipedia / Houses of the Oireachtas from Ireland - France / CC BY 2.0)

La proportionnelle nationale intégrale n’a jamais été utilisée dans notre pays aux législatives, et seule la proportionnelle départementale a été expérimentée, de 1919 à 1928, puis sous la IVe République, de 1945 à 1958. Mais la chambre comportait de fortes minorités aux deux extrêmes (gaullistes et PCF) et un fractionnement au centre, ce qui rendait très difficile la constitution d’une majorité. Les 24 gouvernements de la IVe République n’ont duré en moyenne que 6 mois. Cette instabilité gouvernementale a conduit au retour au classique mode de scrutin majoritaire en 1958.

Dans son programme de 1981, François Mitterrand annonçait un retour à un scrutin législatif proportionnel. Il établit pour 1986 un scrutin proportionnel départemental, ce qui lui permit d’éviter une trop forte défaite de son camp.

Avec le retour au scrutin majoritaire de circonscription (sous la première cohabitation, avec Jacques Chirac comme premier ministre), les critiques de ce mode d’élection ont repris, notamment de la part des petits partis de l’époque.

Juste une « dose » de proportionnelle ?

L’idée défendue par certains est d’introduire au moins une « dose de proportionnelle ». Dans ce cas de figure, 10 ou 20 % des sièges ne seraient pas attribués au scrutin majoritaire de circonscription mais au scrutin proportionnel de liste.

Nicolas Sarkozy y était favorable lors de la campagne présidentielle de 2007 et 2012, tout comme François Hollande en 2012 et Emmanuel Macron en 2017. En campagne électorale, les principaux candidats sont sensibles à une mesure qui permettrait de donner au moins quelques députés à des tendances politiques complètement minorées par le scrutin majoritaire. En 2018, un rapport du think tank Terra Nova avait étudié la question et un projet de loi prévoyant 15 % de proportionnelle avait été présenté au parlement mais, l’affaire Benalla, le mouvement des gilets jaunes et l’épidémie de Covid avaient modifié les priorités.

Les élections passées, le thème est donc régulièrement oublié, l’agenda politique semble imposer des sujets plus importants et la majorité préfère finalement garder la plus large représentation possible.

Malgré une relance du projet en 2021 par le MoDem, rien n’aboutira avant les législatives de 2022, la majorité étant en fait divisée et sans volonté politique forte sur ce sujet.

Cela n’a pas empêché le candidat Macron de 2022 de renouveler sa promesse, voire de l’élargir. Depuis, c’est surtout la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet et le MoDem qui ont fortement défendu un projet de mode de scrutin mixte : proportionnel dans les départements élisant plus de 11 députés (réunissant 26 % de la population), majoritaire ailleurs. Ils ne sont pas parvenus à convaincre l’ensemble des membres de leurs groupes parlementaires.

Si la majorité des groupes politiques acceptent le principe d'un changement, la gauche est, pour sa part, favorable à une proportionnelle intégrale ou départementale.

Le scrutin proportionnel, une solution à la crise politique ?
Certains proposent aussi de combiner les deux principaux modes de scrutin en ajoutant à un mode de scrutin proportionnel une prime à la liste arrivée en tête, comme pour le mode de scrutin régional (la liste arrivée en tête obtient automatiquement le quart des sièges, le reste est attribué à la proportionnelle). (Image : Wikimedia / Mbzt / CC BY 3.0)

Mais faudrait-il un seuil de voix recueillies pour pouvoir obtenir des sièges, par exemple à 5 %, comme pour les élections européennes ? Cela empêcherait à des partis marginaux d’avoir un ou deux élus.

Certains proposent aussi de combiner les deux principaux modes de scrutin en ajoutant à un mode de scrutin proportionnel une prime à la liste arrivée en tête, comme pour le mode de scrutin régional (la liste arrivée en tête obtient automatiquement le quart des sièges, le reste est attribué à la proportionnelle). Il y a donc de multiples formes possibles de scrutin proportionnel.

Michel Barnier, premier ministre éphémère, avait laissé entendre qu’il était favorable à cette réforme, mais n'eut pas le temps d'ouvrir le chantier.

Rédacteur Charlotte Clémence

Auteur
Pierre Bréchon : Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation France
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

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