484 voix pour et 70 contre. Tel est le score obtenu par la déclaration du gouvernement français s’opposant à la signature du traité de l’Union européenne (UE) avec le Mercosur. C’est dire que les accords de commerce international sont critiqués. Parallèlement, le futur président des États-Unis, Donald Trump, a redit son intention de relever les droits de douane dans les échanges avec plusieurs pays, à commencer par ses voisins mexicains et canadiens.
Charlotte Emlinger, économiste au CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), décrypte le contenu du Traité et les enjeux qu’il contient.
Quand on parle de l’accord signé avec le Mercosur, on parle d’un traité de libre-échange. Mais que désigne-t-on par ce terme ?
Nous parlons d’accords préférentiels de commerce ou d’accords de libre-échange. Ce sont des accords bi ou multilatéraux qui ont pour finalité de réduire réciproquement les droits de douane pour favoriser le commerce entre les zones. Derrière cette idée générale, il faut savoir qu’il existe des types d’accords très différents avec des clauses spécifiques et des niveaux d’intégration variés. Par exemple, l’Union européenne, au départ, est un accord de libre échange pour la circulation de l’acier et du charbon entre la France et l’Allemagne.
L’accord entre l’UE et le Mercosur a pour objectif de réduire les droits de douane et de favoriser l’accès au marché pour les produits de chacun. On y trouve aussi des dispositions sur l’accès aux marchés publics, des dispositions sur les services… Par ailleurs, dans le cadre des produits sensibles comme la viande bovine, la volaille ou le sucre dont il est beaucoup question, les droits de douane ne sont pas supprimés mais juste réduits dans le cadre de quotas, donc avec des effets relativement limités. L’idée qu’on ouvrirait complètement les frontières aux produits « made in Mercosur » est complètement fausse.
Ce sont des négociations très longues pour aboutir à un accord et plus encore à sa ratification. Quel était le contexte au commencement de la négociation ?
Depuis les années 90, l’Union européenne est engagée dans la négociation d’accords commerciaux avec plusieurs pays. L’UE est d’ailleurs la zone qui a signé le plus d’accords dans le monde (Japon Afrique du Sud Canada…). Dans ce contexte, le cas du Mercosur est intéressant, parce qu’il s’agit d’une zone très vaste, qui est très protégée avec des droits de douane jusque-là très élevés pour les produits industriels, comme les automobiles, les produits pharmaceutiques, les machines-outils, la chimie mais aussi certains produits comme les vins ou les fromages.
Un tel accord est très logique dans une démarche de recherche de marchés d’extension pour vendre les biens produits dans l’Union européenne. Car il s’agit d’un vaste marché, avec une classe moyenne en forte croissance…
Les critiques de l’accord expliquent qu’on aurait sacrifié l’agriculture au bénéfice de l’industrie. Quelle part de vérité y a-t-il dans cette affirmation ?
Dans un accord commercial, on trouve toujours des gagnants et des perdants de part et d’autre. Quand on négocie, on ne peut pas gagner sur tous les tableaux en même temps, c’est du donnant donnant. Il existe toujours des secteurs qui profitent davantage de la signature de l’accord que d’autres. En l’espèce, nos secteurs offensifs sont les produits manufacturés et les services où la France est très compétitive.
Mais de là à dire, que l’agriculture serait purement et simplement sacrifiée est faux. Les producteurs de vins et de fromages ont tout à y gagner. Dans le Traité, on trouve aussi des dispositions sur les indications géographiques (IG) qui peuvent profiter aux agriculteurs. En effet, l’UE insère dans les accords la protection de listes d’IG, ce qui favorise les exportations de ces produits. Cette protection des IG dans les accords commerciaux comme dans le CETA (accord avec le Canada) permet aux producteurs de vendre leurs produits plus chers, par exemple dans le secteur des fromages.
Globalement, dire comme on l’entend que l’Union européenne aurait fait trop de concessions sur l’accès aux produits sensibles est très exagéré. Les réductions de droits de douane sur les produits agricoles sont très faibles et les importations restent contingentées. On parle d’importations de viande de bœuf qui représentent 1,2 % de la consommation européenne.
Dans les débats actuels, on évoque peu la présence très importante d’industriels français, par exemple dans l’industrie automobile, dans les pays du Mercosur, ce n’est pourtant pas neutre…
Aujourd’hui, les droits de douane sur l’automobile dans le Mercosur atteignent 30 %, ce qui est rédhibitoire et empêche les producteurs européens d’exporter vers cette zone. Ces droits de douane incitent plutôt les industriels étrangers à s’installer sur place pour ne pas payer les droits de douane. On parle alors de « tarif jumping ».
Il serait tentant de dire alors que l’accord avec le Mercosur ne va rien changer puisque les constructeurs européens produisent et vendent déjà dans ces pays. C’est plus complexe. En effet, tout n’est pas produit sur place et les pays du Mercosur importent des composants automobiles qui pourront être importés sans droits de douane. On peut aussi imaginer que le traité favorisera l’exportation de nouveaux produits comme les voitures électriques.
Par ailleurs, quand vous produisez du champagne ou du fromage, vous ne pouvez pas faire du « tarif jumping » en vous installant au Brésil ou en Argentine. La baisse des tarifs douaniers a alors un intérêt pour rendre vos produits plus compétitifs sur le marché de destination.
On parle beaucoup de clauses miroirs. De quoi s’agit-il ?
La notion de clause miroir suppose qu’on demande aux pays qui exportent vers chez nous les mêmes contraintes que celles imposées à nos producteurs. Cela relève un peu du fantasme : les pays ne commercent pas pour avoir la même législation !
Ceci étant rappelé, je voudrais préciser quelques points sur les normes, car là-aussi tout ce qu’on n’entend n’est pas exact. Dans le cadre du Mercosur, il n’est pas question de réduire les normes sur les produits importés, ce sujet n’est pas inclus dans l’accord. Non, on ne va pas massivement importer du bœuf aux hormones demain, ces produits sont toujours interdits sur le marché européen. En revanche, il est exact que les contrôles aux frontières ne sont pas toujours efficaces. Il n’est pas simple de détecter certains résidus de pesticides, par exemple.
Un test n’étant pas suffisant pour vérifier si le bœuf importé n’a pas été produit avec des hormones, une vraie traçabilité des produits est nécessaire. Le vrai enjeu est donc de renforcer les contrôles à la frontière pour être sûrs du respect des normes sur le marché européen. Ce sujet est d’autant plus important quand on signe un accord avec des partenaires commerciaux dont les standards sont très éloignés des nôtres, comme les pays du Mercosur. Il n’est cependant pas lié spécifiquement à l’accord avec ces pays.
Le sujet des clauses miroirs est aussi lié aux questions environnementales. Nous demandons beaucoup à nos producteurs sur ce sujet, ce qui n’est pas le cas des pays du Mercosur. Il serait extrêmement difficile d’imposer ces mêmes contraintes aux agriculteurs de ces pays, il faudrait pouvoir aller contrôler chaque ferme argentine ou brésilienne pour voir si elle applique bien la même régulation environnementale qu’en Europe, car le respect de ces mesures (protection des haies, de la biodiversité, des cours d’eau) n’est pas lié à un produit en particulier et ne peut pas s’observer à la frontière.
Faut-il en conclure que le traité ne pose aucun problème ?
Non. Les importations supplémentaires de bœuf, même si elles sont faibles, peuvent déstabiliser un marché déjà fragile. Sur le principe, demander à nos producteurs de respecter des contraintes que les exportateurs n’auront pas est par ailleurs difficile. La colère des éleveurs est compréhensible, voire légitime. C’est un secteur économiquement très fragile qui a récemment dû faire face à de nombreux problèmes, zoonoses, intempéries…
Toutefois, la concurrence potentielle avec les producteurs du Mercosur n’est pas vraiment le problème, et l’accord est surtout un symbole fédérateur pour le secteur. Beaucoup d’agriculteurs se plaignent plutôt de la concurrence intra-européenne, car les contraintes environnementales n’étant pas les mêmes partout.
Quel sens a ce type d’accords internationaux quand, le reste du temps, on parle de délocalisations, de circuits courts, de souveraineté, notamment en matière d’alimentation ?
Ces accords reposent sur la notion d’avantages comparatifs mis en évidence par David Ricardo. Je pense que ce sera pertinent aussi longtemps qu’il existera des différences climatiques, des écarts dans le coût de la main-d’œuvre, des différences de spécialisation d’un pays à l’autre.
Une grande critique contre le commerce international concerne la dimension écologique du transport. Là encore, il y a beaucoup d’idées fausses qui circulent. Non, le transport de marchandises n’est pas ce qui produit le plus d’émissions. Sur les circuits courts, mieux vaut manger une tomate produite au Maroc et livrée en camion qu’une tomate produite sous serre en Bretagne.
En revanche, le traité avec le Mercosur passe à côté d’un vrai sujet : la déforestation qui est loin d’être mineure quand on parle de commercer avec des pays où se trouve l’Amazonie.
L’Union européenne a finalement repoussé sa directive contre la déforestation importée qui devait s’appliquer en décembre 2024. Cette directive avait pour objectif d’interdire les importations d’un certain nombre de produits (bœuf, cacao, caoutchouc, café…) s’ils venaient de zones déforestées. Sa mise en application devrait permettre de réduire en partie les effets négatifs de l’accord avec le Mercosur sur les forêts, si elle s’applique, comme prévu, fin 2025.
Les débats actuels s’inscrivent à un moment particulier où Donald Trump a prévenu que la mise en place de droits de douane sera une de ces premières mesures. Est-ce la fin du mouvement de libéralisation des échanges entamé dans les années 80 90 ?
La remise en question du commerce international vient du fait que nous évoluons dans un univers géopolitique incertain. Il existe de fortes tensions et le commerce est utilisé comme moyen de faire la guerre autrement. Il y a cette idée que produire chez soi, c’est moins dépendre des autres, dont les intentions ne nous sont pas toujours connues.
Pour revenir à l’accord avec le Mercosur, cet accord est aussi le moyen pour l’Union européenne de se garantir un accès à certains minerais critiques dont elle a grandement besoin pour continuer à innover. Augmenter le commerce avec ces pays serait aussi un moyen d’y contrer l’influence de la Chine. Le sujet est aussi géopolitique.
Rédacteur Charlotte Clémence
Propos recueillis par Christophe Bys
Auteur
Charlotte Emlinger : Économiste, CEPII
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.