Réuni en Congrès à Versailles le 4 mars 2024, le Parlement a approuvé la Loi constitutionnelle du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Par ailleurs, Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a apposé, vendredi 8 mars, le sceau de la République sur la loi : inscrivant ainsi cette loi dans la Constitution. Mais au-delà cette « liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » quelle évolution pour l’embryon et le fœtus dont le statut juridique se rapproche de celui d’une chose ?
La Loi constitutionnelle du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse a permis l’introduction dans l’article 34 de la Constitution de 1958 de cette phrase : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Cette phrase est située entre : « La loi détermine les principes fondamentaux : … - du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale », et « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».
Cette entrée de l’IVG dans la Constitution française a été saluée comme : « une étape fondamentale ». « Une étape, qui restera dans l’Histoire ». Elle fait aussi de la France « le premier pays au monde à faire explicitement référence à la notion d’interruption volontaire de grossesse dans son texte fondamental », peut-on lire dans un article publié sur le site officiel du gouvernement français, IVG dans la Constitution : une « étape fondamentale ». De même à l’étranger cette inscription amène à qualifier la France de « pionnière ».
Pour autant cette liberté garantie à la femme peut-elle créer une brèche pour les droits d’autrui ?
Le chemin vers une « liberté garantie »
Aujourd’hui, « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Mais, du début du XXe siècle à nos jours, la position face au recours de l’IVG a bien évolué.
Dans un article publié par la Revue générale du droit, L’embryon et le fœtus, entre personne et chose, entre science et droit : des protections d’intérêts, en 2020, et écrit par Jérôme Leborne, Docteur en Sciences juridiques, certains éléments peuvent éclairer la réflexion et aider à porter un autre regard sur cette liberté garantie.
« Attaché aux fondements chrétiens de la civilisation, le droit a protégé pendant longtemps " le droit à la vie " de l’enfant conçu (L. SEBAG, La condition juridique des personnes physiques et morales avant leur naissance, thèse, 1938), en sanctionnant pénalement la femme enceinte ayant eu recours à un avortement (Ancien article 317 du Code pénal) » peut-on lire dans cet article.
Mais, « avec la laïcisation de la société, cette incrimination est tombée en désuétude et la Loi Veil du 17 janvier 1975 relative à l’interruption de grossesse (…) a procédé à la légalisation de l’avortement ».
Pour autant : « cette loi (Veil) avait pour objet de concilier, par le biais d’une dérogation légale, le respect de la vie de l’enfant conçu et l’intérêt de la femme à pouvoir recourir à un avortement, afin de remédier à des situations désespérées. En effet, l’article 1er affirme, à titre de principe, que " la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ", et précise à titre d’exception qu’ " il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ". (…). Ainsi, le Conseil constitutionnel a déclaré la Loi Veil conforme à la Constitution, dès lors que le texte met en place un mécanisme de principe et que l’avortement n’en est que l’exception strictement encadrée (Cons. const., 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, 1975, p. 19) ».
M. Leborne notifie aussi que l’articulation du principe et de l’exception a été confirmée et consacrée, à l’article 16 du Code civil, par la loi du 29 juillet 1994 relative au corps humain (Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain, JO 30 juillet 1994, p.11 056), lequel réaffirme le devoir de « respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ».
Cependant, « Au fil des réformes législatives, la promotion de la liberté de la femme s’est accompagnée d’un déclin de la protection de l’embryon », avance Jérôme Leborne.
Un statut juridique fragile
Le désir d’être parent et la notion d’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), introduite par la Loi N°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, vont amener à reconsidérer l’embryon et le fœtus. Ainsi M. Leborne précise que : « Force est de constater que l’embryon et le fœtus sont pris dans le courant des " droits à " : " droit à l’avortement ", " droit à la conception ", " droit à l’enfant ". L’intérêt ou le désintérêt du projet parental prévaut sur celui de l’embryon et du fœtus. Désinvesti par le projet parental, l’embryon in vitro tombe dans un autre projet, mais scientifique cette fois, que le principe de dignité ne parvient pas à contrebalancer ».
Dans l’article de M. Leborne, il est précisé que dans sa décision du 27 juillet 1994 (Cons. const., 27 juillet 1994, n° 94-343/344 DC), le Conseil constitutionnel a refusé d’appliquer le principe de dignité de la personne humaine à l’embryon in vitro, au motif qu’il n’est pas une personne. Cela n’empêche pas qu’il puisse bénéficier, en tant qu’être humain, d’une protection minimum.
La notion de dignité semble devoir s’effacer au profit de celle d’intégrité. « Des interdits fondamentaux découlent du principe de l’intégrité de l’espèce humaine et visent à garantir la protection de l’aléa génétique humain, contre les dérives de certaines techniques : l’eugénisme, le clonage, les thérapies géniques germinales et la chimère ».
Ainsi, « L’embryon est placé au centre de ces interdits fondamentaux, l’embryon est le début de l’humanité, il la préforme. À travers l’embryon, on protège une certaine idée de l’humanité. Pour autant, l’embryon n’est seulement appréhendé comme un relais vers l’espèce humaine, il n’est jamais protégé pour lui-même, c’est toujours l’humanité qui est protégée par l’embryon ».
Mais, l’accent est aussi mis sur la fragilité de l’embryon au niveau juridique car : « La pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes humaines est interdite, par l’article 16-4 alinéa 2 du Code civil, et réprimée par l’article 214-1 du Code pénal, de trente ans de réclusion criminelle et 7 500 000 euros d’amende. Toutefois, si la pratique eugénique à titre collectif constitue un interdit fondamental, des pratiques douces d’eugénismes à titre individuel sont permises ».
Notre attention est ainsi attirée sur le diagnostic prénatal. En ce sens, M. Leborne avance que : « le législateur reconnaît la réalité et la finalité du diagnostic prénatal, dont le but n’est pas seulement de contrôler le bon déroulement de la grossesse, mais également de décrypter le génome et d’analyser toutes ses caractéristiques génétiques. Il s’agit ainsi d’un moyen d’investigation génétique de la population à naître ».
« Les plus grands mythes et scénarios de science-fiction demeurent alimentés par les croisements interespèces. La modification chimérique consiste à modifier un embryon humain, à un stade précoce de son développement, en introduisant un matériel génétique animal, et par conséquent, à produire un homme-animal. (…) la création d’embryons chimériques est expressément interdite par le Code de la santé publique (Article L. 2151-2 alinéa 2 du Code de la Santé publique). Paradoxalement, elle est dépourvue de toute sanction pénale. »
Face à cette notion, M. Leborne précise que : « Le principe d’intégrité de l’espèce humaine, pilier du principe de dignité, ne suffit plus à justifier des limites infranchissables. En réalité, ce ne sont pas tant les interdits fondamentaux qui posent un problème, que l’état d’incertitude de certaines techniques encore nouvelles. En créant des régimes dérogatoires aux principes fondamentaux, on justifiera d’autant plus commodément la légitimité des projets scientifiques, sur l’embryon in vitro, par la libéralisation de la recherche médicale ».
La femme est l’avenir de l’homme
Dans sa chanson La femme est l’avenir de l’homme, Jean Ferrat relate parmi les strophes qui composent ce chant :
Entre l’ancien et le nouveau, votre lutte à tous les niveaux
De la nôtre est indivisible
Dans les hommes qui font les lois, si les uns chantent par ma voix
D’autres décrètent par la bible
La femme est l’avenir de l’homme, avec un grand « H » cela pourrait-il se traduire par : « la femme est l’avenir de l’humanité » ? Au cœur des diverses évolutions validées par les lois, il a été aussi possible d’analyser que souvent toute liberté garantie peut se transformer en porte ouverte vers une brèche dans les droits des autres : les choses, cette catégorie juridique dans laquelle sont classés l’embryon et le fœtus.
Jérôme Leborne rappelle dans sa conclusion que : « L’enfant conçu cristallise en lui des tensions d’intérêts, mais ce qui est en puissance dans l’embryon humain, c’est qu’il porte en lui toute la responsabilité de l’homme : c’est un individu en devenir, l’avenir de l’humanité et l’à venir de la considération du vivant ».
Mais comment garantir les droits de ce qui, bien que représentant l’avenir de l’humanité, ne possède à ce jour aucun droit au niveau juridique en France.
Dans un article publié par The Conversation sur son site, Décryptage : en droit, fœtus et embryon pourraient-ils être considérés autrement que comme des choses ? Jordy Bony, Docteur et Instructeur en droit à l’EM Lyon, EM Lyon Business School propose des pistes d’évolutions pour le statut de l’embryon et du fœtus.
Il évoque dans cet article plusieurs solutions. Mais, « L’hypothèse qui semble la plus simple est la suivante : réaménager la protection pénale de l’embryon et du fœtus en créant une incrimination spéciale à leur égard dans le code pénal. Ainsi, l’enfant simplement conçu (embryon) ou à naître (fœtus) serait reconnu comme une valeur sociale à part entière dont seraient punies toutes les atteintes volontaires ou involontaires à son endroit ».
Selon lui, « Cette solution constituerait un apport à la fois symbolique et juridique. Symboliquement, elle permettrait aux profanes et victimes de constater une meilleure prise en compte par le droit des violences subies. Juridiquement, cela permettrait d’établir une peine à mi-chemin entre les blessures et l’homicide. Elle démontrerait une certaine prise de conscience de la part des juristes de la réalité des " personnes potentielles " ».
Il avance aussi « qu’il faudrait cependant préciser dans ce cas que l’avortement reste une atteinte autorisée, dans le sens de la préservation de la liberté des personnes dans leur choix de devenir parents ou non ».
Pour en revenir à la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse, dans un éditorial intitulé, IVG dans la Constitution : sans joie aucune, publié par le journal La Croix, Arnaud Alibert conclut son article par ces mots : « Reste cependant cette question que le devoir nous impose de laisser ouverte : quelles sont ces 300 000 situations qui appellent chaque année une IVG en France, pratiquée huit fois sur dix par voie médicamenteuse, alors que l’Italie n’en pratique que 60 000 ? Dans quelles conditions, grâce à quelles politiques éducatives et sociales pourrait-on les éviter puisque, comme le disait naguère Mme Veil, aucune femme ne recourt à l’IVG de " gaieté de cœur ". Très loin de la joie, en tout cas ».
Ainsi, une liberté garantie à une catégorie de personnes peut porter atteinte aux droits d’autrui. Mais, bien que cette liberté garantie soit inscrite dans la Constitution de 1958, prenons le temps de l’analyser selon plusieurs angles. D’ailleurs en y regardant de plus près il est dit que : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Mais qui peut garantir que la Loi a un moment donné ne prendra pas une forme plus éthique ? Car, quand il s’agit de l’humanité, l’avenir repose-t-elle sur la science et la volonté des hommes ?
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