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France. L’instabilité politique va-t-elle condamner les dépenses de Noël ?

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La censure du gouvernement de Michel Barnier et l’incertitude qui s’ensuit va-t-elle avoir un effet sur les dépenses de Noël ? Ou à l’inverse, va-t-on assister à des compensations pour oublier la crise politique ?

Depuis quelque temps, la France est plongée dans une crise politique et économique majeure, marquée par la démission du premier ministre Michel Barnier, renversé par une motion de censure inédite. Cette instabilité, exacerbée par un budget 2025 controversé visant à réduire le déficit public, reflète des divisions politiques profondes.

Simultanément, l’économie française montre des signes de fragilité, notamment un ralentissement de la croissance, une aggravation du déficit budgétaire, une remontée du chômage. Alors que les fêtes de fin d’année approchent, les comportements de consommation, traditionnellement marqués par une hausse des dépenses, s’adaptent à ce climat d’incertitude. Cette période soulève la question de savoir comment ce climat d’incertitude peut affecter les habitudes d’achat des Français.

Retour aux besoins fondamentaux

L’instabilité politique va-t-elle condamner les dépenses de Noël
En période de crise, les comportements d’achat oscillent entre une quête de sécurité économique et une adaptation aux nouvelles contraintes sociales, redéfinissant ainsi les priorités des consommateurs. (Image : Image-Source / envato)

Les crises économiques entraînent des transformations notables des comportements d’achat, où les consommateurs, confrontés à une incertitude financière accrue, privilégient les dépenses liées aux besoins fondamentaux tout en réduisant les achats non essentiels.  Ce recentrage illustre une stratégie d’adaptation dominée par la prudence financière, avec pour objectif de préserver une stabilité économique à long terme.

La récente crise du Covid-19 a montré comment le comportement des consommateurs s’adaptait à une nouvelle donne. Durant cette phase de crise aiguë ont émergé de nouvelles attitudes comme les achats paniques, le rejet des magasins physiques, et un intérêt croissant pour les pratiques sociales des marques.

Ces réponses révèlent une double dynamique d’adaptation à des contraintes pratiques et de réévaluation des valeurs face à une incertitude globale. De manière similaire, les crises politiques amplifient les comportements prudents ou compensatoires, en renforçant la perception des risques et en érodant la confiance dans l’économie.

La consommation comme outil de gestion des risques

Dans un contexte d’instabilité, des mécanismes, tels que le stockage ou l’achat en gros, peuvent émerger. Ces comportements sont souvent motivés par des craintes de pénurie ou des anticipations de hausses de prix. Ce climat d’incertitude et d’anxiété généralisée souligne l’utilisation de la consommation comme un outil de gestion des risques perçus. En période de crise, les comportements d’achat oscillent entre une quête de sécurité économique et une adaptation aux nouvelles contraintes sociales, redéfinissant ainsi les priorités des consommateurs.

Cependant, les conséquences des crises ne se limitent pas à encourager des comportements de prudence financière ; elles peuvent également stimuler des stratégies compensatoires, où les consommateurs se tournent vers des produits perçus comme réconfortants, valorisants ou porteurs d’un sens, traduisant une quête de réconfort psychologique et de réaffirmation identitaire dans un contexte d’instabilité.

L’effet rouge à lèvres

Un exemple emblématique de ce phénomène est le « lipstick effect », qui illustre la tendance des consommateurs à investir dans des produits de luxe abordables, tels que les cosmétiques, même en période de récession économique.

Ce phénomène a déjà été observé lors de crises telles que la Grande Récession de 2007-2009 et, en remontant plus loin, pendant la Grande Dépression des années 1930. Hill et coll. expliquent  cette dynamique par un besoin psychologique de maintenir une satisfaction personnelle ou un sentiment de normalité malgré des contraintes financières.

Les cosmétiques, en particulier, offrent une double fonction : un plaisir immédiat et tangible, tout en symbolisant une forme de résilience émotionnelle. Selon MacDonald et Dildar, cet effet repose sur trois hypothèses principales :
· le plaisir personnel, où l’acte d’achat devient une source de gratification émotionnelle immédiate,
· l’attractivité sociale, qui permet aux individus de maintenir ou renforcer leur confiance en eux et leur image dans des interactions sociales,
· l’amélioration des opportunités professionnelles, suggérant que l’investissement dans des produits comme les cosmétiques peut être perçu comme une manière de se présenter sous un jour favorable dans un environnement professionnel incertain.

L’instabilité politique va-t-elle condamner les dépenses de Noël
Noël 2024 ne sera pas seulement une période de dépenses festives, mais aussi un reflet des tensions et des ajustements auxquels les Français font face. (Image : korneevamaha / envato)

Plus récemment, nous avons pu avec des collègues (2023) confirmer la persistance de cet effet dans le contexte post-Covid, soulignant le rôle central des cosmétiques comme un moyen d’expression de soi et de résilience face aux défis émotionnels et sociaux engendrés par les crises. Nous avons mis en évidence une évolution des motivations des consommateurs, où les cosmétiques ne sont plus seulement associés à la beauté ou au statut, mais deviennent également des outils pour affirmer une identité personnelle et renforcer un sentiment de contrôle dans un monde incertain.

Dépenses de Noël en hausse ?

Ces comportements soulignent l’ambivalence des réponses des consommateurs face à l’incertitude : d’un côté, une quête de sécurité économique et, de l’autre, une volonté de préserver un bien-être émotionnel. Le « lipstick effect » et ses variantes illustrent ainsi comment, en période de crise, la consommation peut devenir un outil de gestion non seulement économique mais aussi psychologique, permettant aux individus de conserver un semblant de normalité et d’espoir dans un environnement instable.

Qu’en sera-t-il de Noël 2024 ? En novembre 2024, les données indiquaient que le budget moyen prévu pour ces dépenses de Noël était en hausse, atteignant 390 contre 370 euros l’année précédente, soit une augmentation de 5,4 %. De plus, la proportion de personnes envisageant de réduire le nombre de cadeaux devait diminuer significativement, passant de 32 % en 2023 à 23 % en 2024. Cependant,  le climat d’incertitude sociétale, politique et économique pourrait inévitablement influencer les comportements d’achat pour Noël 2024, remettant en question ces prévisions optimistes.

Noël 2024 ne sera pas seulement une période de dépenses festives, mais aussi un reflet des tensions et des ajustements auxquels les Français font face. Ce contexte nous rappelle que les comportements d’achat, bien que parfois prévisibles, sont également sensibles aux dynamiques sociales, politiques et économiques.

Plus largement, ces phénomènes soulignent la nécessité pour les décideurs publics et les entreprises d’intégrer ces réalités dans leurs stratégies, afin de répondre aux besoins évolutifs des consommateurs dans un monde toujours plus incertain.

Rédacteur Charlotte Clémence

Auteur
Aurore Bardey : Professeur Associé en Marketing, Burgundy School of Business
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

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