La reconstruction de Notre-Dame de Paris est incontestablement une réussite, mais l’urgence du chantier a conduit à éluder d’autres enjeux environnementaux essentiels. Du fait de celle-ci, les chercheurs du futur ne pourront plus accéder à certaines données archéologiques.
La réouverture de Notre-Dame de Paris après les travaux consécutifs à son incendie d’avril 2019, prévue le 8 décembre 2024, est très attendue. L’urgence de la reconstruction, conjuguée avec la polarisation de l’opinion publique sur la question de la pollution au plomb, a toutefois conduit à oblitérer d’autres enjeux environnementaux tout aussi essentiels.
Il y a d’abord le non-respect des recommandations des chartes internationales en matière de restauration du patrimoine, telles que celle de Venise ou de Nara, pourtant signées par la France. Au regard de l’expérience d’autres grands chantiers de restauration (par exemple la cathédrale de Tournai en Belgique ou celle de Cologne en Allemagne, cinqannées ne pouvaient suffire à leur respect.
Trop de questions relatives à ces textes ont été laissées de côté, comme celle de la non-préservation des enduits anciens, l’absence de prise en compte de la biodiversité, ou encore l’impact des produits utilisés pour la rénovation sur l’environnement.
Entre juin 2019 et mars 2024, j’ai participé au chantier scientifique de Notre-Dame de Paris au sein du groupe pierre. Il ne s’agit pas ici d’incriminer les entreprises qui ont œuvré à Notre-Dame, dont le savoir-faire est reconnu, mais bien de s’atteler à la question du temps imparti pour ce chantier, à son accélération et à ses dérives.
Une trentaine de missions ont été effectuées pour répondre au plan de travail défini pour le groupe pierre. Ce dernier concernait les voûtes, les mortiers, la construction, les matériaux et leur mise en œuvre, les signes lapidaires laissés par les tailleurs de pierre, les tracés d’épures gravés sur de rares parements et les roses du transept.
Ce travail a été accompagné par la constitution d’une documentation photographique, lasergrammétrique et photogrammétrique, destinées à être versée dans l’écosystème numérique du chantier scientifique qui conservera les travaux des différents groupes de travail, dont les relevés architecturaux.
Nous ne pouvons évidemment pas tout aborder et traiter des questions liées à la statuaire, au vitrail ou encore à la charpente. Dans cet article, nous nous limiterons ainsi à l’architecture, à la pierre utilisée lors des différents moments de restauration (XVIIIe, XIXe et XXIe siècles), aux techniques (traitements, produits) et moyens mis en œuvre, et enfin à la place laissée à la biodiversité.
La restauration des pierres en question
L’urgence de la reconstruction a raccourci le temps consacré à la recherche, de même que celui dédié à la réflexion. Même si plusieurs acteurs – chercheurs liés à la restauration, Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), centres de recherche des universités, associations… – ont pu formuler un certain nombre de préconisations, l’argument de l’urgence a trop souvent balayé les arguments contredisant ou nuançant les choix, parfois inappropriés, de la maîtrise d’œuvre.
Ainsi, pour l’analyse des pierres, des prélèvements abusifs, trop visibles et souvent systématiques, ont été effectués sur des claveaux pourtant en très bon état de l’arc effondré de la nef. L’usage veut que les prélèvements soient réalisés sur des faces peu visibles, discrètes, ne nuisant pas à la présentation (in situ ou en dépôt). Ce n’a pas été le cas ici. La volonté de conservation de pierres, pourtant en bon état, s’est réduite d’elle-même : ces blocs n’ont finalement pas été réinstallés à leur emplacement d’origine, mais mis en dépôt.
Ce constat a été le lot commun de nombreuses pierres soumises à l’action du feu, ou altérées par l’érosion. Il pouvait s’agir soit d’érosion chimique du fait de pollutions diverses ou d’érosion physique due à de fortes amplitudes de températures et de forts contrastes climatiques : sacristie, sommet et corniches du chevet, allèges et meneaux des fenêtres hautes…
Aucune des pierres réinstallées ne résulte d’une taille manuelle, habituelle dans des petits chantiers qui perpétuent les pratiques artisanales. Elles ont été réalisées par une taille numérique en atelier d’usinage, et parfois corrigées au marteau pneumatique, devenu une pratique habituelle à Notre-Dame.
L’argument des restaurateurs préconisant la réalisation et le remplacement des blocs par des tailleurs de pierre, dont l’avenir serait alors assuré, tombe de lui-même. Ici, le tailleur de pierre (et non le sculpteur) voit son rôle, comme son action diminuée par l’usage de la machine, au moins sur les plus gros chantiers. Initialement maître des différentes étapes de son travail, il est réduit à n’être qu’un vérificateur du résultat de pratiques industrielles qui limitent son action à la « correction » en surface.
La taille numérique fait ainsi son entrée en force dans la restauration, ce qui contredit la pérennité d’un métier manuel, dont les gestes sont valorisés dans la culture commune.
De même, toutes les surfaces intérieures (parements, supports) ont été décapées aux abords des voûtes, amenant à la disparition des traces de taille, des peintures et rugosités des surfaces taillées, comme le montre la photographie ci-contre, où les enduits peints antérieurs au XIXe siècle ont été recouverts d’épais badigeons. L’enveloppe est certes conservée, mais sans aucune possibilité de vérification ultérieure. Les preuves et les indices disparaissent.
Par ailleurs, les parements sont ensuite totalement repeints (nettoyage par rinçage à l’eau déminéralisée, et ajout de plusieurs couches de patines), accentuant l’uniformité et rendant invisibles toutes les nuances de l’épiderme de la pierre (partie située sous les dépôts de surface).
En partie interne des voûtes, les voûtains et nervures nettoyées, ou reconstruites, ont ainsi été décapées, nettoyées et rebadigeonnées. Les traces d’enduits peints anciens ont été recouvertes, générant des épaufrures et des joints élargis par de larges éclats.
Il ne subsiste plus aucune patine originelle, marque de vieillissement ou trace laissée par le temps long d’une utilisation multiple, de siècle en siècle.
Les extrados n’ont, en revanche, pas pu être étudiés, mais simplement observées : présence de cales en bois dans les joints, organisation des voussoirs… Mais ils ont été recouverts d’une épaisse chape, ce qui les rend désormais invisibles.
Ce constat est valable pour les dispositifs datant des XIIe et XIIIe siècles, mais également pour ceux du XIXe siècle (bas-côtés des tribunes, pots de terre cuite…), ce qui est dommageable pour la recherche portant sur ces périodes.
Pollutions aux COV contre pollution au plomb
Insistons sur un nouveau point : tous les imperméabilisants, nettoyants et décapants utilisés, par exemple pour les maçonneries de la sacristie, les menuiseries ou encore les enduits peints du XIXe siècle, sont fortement concernés par les composés organiques volatils (COV).
Ces composés sont des polluants atmosphériques, et sont également des irritants parfois cancérigènes pour les yeux et les voies respiratoires. Des protections (gants, chaussures de sécurité, masque ventilé, combinaison, casque…) ont effectivement été prévues pour les acteurs du chantier, et leur port rendu obligatoire.
Il n’empêche que la réflexion principale a été celle des pollutions liées au plomb après l’incendie, que ce soit des sols mais aussi de l’atmosphère. Plusieurs mesures ont été prises pour permettre leur contrôle : mesure du niveau de plomb dans le sang des personnes accédant au chantier, mesures effectuées en continu dans l’air ambiant, pour n’en citer que quelques-uns.
Nettoyer des milliers de mètres carrés contaminés par les microparticules de plomb a été plus délicat : il a fallu utiliser des filtres de classe A pour éliminer les poussières les plus lourdes.
Un chantier mené dans l’urgence
D’autres techniques furent testées, comme le procédé Tollis, qui permet de décoller les poussières agglomérées sous forme de croûtes et de particules de plomb agglomérées. Cela passe par la pose de compresses d’eau déminéralisée, qui ont une action ramollissante qui permet de retirer les croûtes polluées. Celui-ci fut toutefois jugé trop lent d’utilisation au regard du calendrier à respecter.
Différentes sortes de latex, certains naturels et d’autres surtout synthétiques, furent utilisés et adoptés du fait de leur plus grande rapidité d’usage même si les restaurateurs préconisaient le procédé Tollis. Outre les COV diffusés dans l’atmosphère, la question du volume des déchets ne fut posée qu’au moment de leur élimination dans des carrières dédiées.
Le procédé Tollis, à l’inverse, produisait des volumes bien moindres, mais sa plus grande lenteur de mise en œuvre a joué en défaveur : plusieurs jours au moins pour le procédé Tollis, contre une journée pour le latex.
Les zones les plus proches des voûtes, enfin, ont été principalement affectées par les eaux d’extinction de l’incendie, les voûtes et murs mouillés étant particulièrement longs à sécher. Les suies, microparticules, et autres sels naturels ou apportés ont été retirés grâce à des mortiers sacrificiels à base de kaolin.
Or, le kaolin est délicat à ôter sans dommage. Il nécessite un décapage approfondi (mécanique ou manuel) qui fait disparaître toute trace archéologique, notamment les marques de taille, gravures, signes lapidaires, traces d’enduits. Cette pratique complique aussi l’analyse pétrographique différenciée entre les pierres médiévales et celles du XIXe siècle.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Bruno Phalip : Professeur d’Histoire de l’Art et d’Archéologie du Moyen Âge, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
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