Amorcé par le précédent gouvernement, le Beauvau des polices municipales reprend le 21 novembre et devrait rendre ses conclusions en mars prochain. L’enjeu est de baliser la future « loi-cadre » que le ministre délégué chargé de la Sécurité du quotidien, Nicolas Daragon, appelle de ses vœux. Ce dernier souhaite renforcer les prérogatives de la police municipale.
La fin de ce mois de novembre a enregistré l’ouverture d’une nouvelle séquence du Beauvau des polices municipales, un espace de discussion associant ministres, représentants de syndicats de la fonction publique territoriale, associations d’élus locaux, parlementaires et membres de l’institution judiciaire.
L’objectif explicite est de trouver des moyens d’augmenter le pouvoir des polices municipales : le ministre délégué à la Sécurité du quotidien, Nicolas Daragon a déclaré que si la police municipale est « bel et bien la troisième force de sécurité du pays, (elle est bridée) dans sa capacité à intervenir ». L’extension de ses pouvoirs s’inscrirait en particulier dans le cadre de la répression du trafic de stupéfiants.
Les policiers municipaux sont placés sous l’autorité du maire, et n’ont pas de pouvoir d’enquête. Contrairement aux policiers nationaux, ils ne peuvent par exemple pas réaliser de contrôle d’identité ou de fouille de personnes ou de véhicules. Depuis la loi de 1999 qui a fixé le cadre légal de la profession, les pouvoirs des agents sont restés globalement inchangés.
Des tentatives retoquées par le Conseil constitutionnel
Plusieurs tentatives de renforcement des pouvoirs des policiers municipaux ont déjà eu lieu : en 2011, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure II et plus récemment, en 2020, la proposition de loi « sécurité globale », qui listait une série de délits pour lesquels les policiers municipaux auraient été autorisés à agir de manière autonome.
Ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel qui a jugé qu’elles contrevenaient au principe de placement de la police judiciaire sous le contrôle de l’autorité judiciaire. D’où la recherche par le pouvoir central d’une nouvelle solution, le placement temporaire et optionnel des policiers municipaux sous l’autorité du procureur de la République.
Nicolas Daragon a insisté sur le caractère facultatif de cette délégation, échouant toutefois à désamorcer l’expression de réticences de la part d’élus locaux. Bien que la prise de plainte par les policiers municipaux : une possibilité que redoutent les maires et les agents car elle entraînerait un important transfert de charge administrative de la police nationale vers les polices municipales, n’est pas sur la table aux dires du ministre, il est à prévoir que les maires n’accueilleront pas tous favorablement une mesure qui se traduirait par une diminution de leur mainmise sur la police municipale.
Même s’il a été présenté comme procédant du libre choix des communes, ce placement pourrait vite devenir un objet de négociation dans l’établissement des conventions de coordination entre villes et services étatiques.
Trois pistes pour étendre les pouvoirs de police municipale
Le ministre a annoncé trois mesures phares pour les polices municipales : le droit de consulter des fichiers (comme le fichier des personnes recherchées, le système des immatriculations de véhicule ou le fichier national des permis de conduire), d’effectuer des contrôles d’identité, et la possibilité d’infliger des amendes forfaitaires délictuelles (AFD) pour le délit de détention de stupéfiants.
Concernant l’AFD, il ne s’agit pas du premier essai de ce type, l’article premier de loi dite « sécurité globale » visait à donner ce pouvoir aux agents de police municipale, et a fait partie des éléments
censurés par le Conseil constitutionnel.
Si la solution qu’explore le gouvernement permettait de passer cette fois l’épreuve du contrôle de constitutionnalité, les policiers municipaux pourraient alors verbaliser le délit de détention de stupéfiants dans certains cas.
Cependant, les études sur ce dispositif mettent surtout en lumière des effets socio-économiques négatifs sur les populations visées (avec une multiverbalisation qui peut générer de très importantes dettes au Trésor public), et peut créer chez les personnes mises à l’amende un sentiment d’un arbitraire policier de fait affranchi du contrôle judiciaire.
La Défenseure des droits a d’ailleurs préconisé l’abandon de ce dispositif, arguant entre autres des problèmes en matière d’accès aux juges par les personnes sanctionnées et de respect des droits de la défense.
Pour ce qui est de l’accès aux fichiers administratifs, le gouvernement souhaite que les agents puissent les consulter sans avoir besoin de solliciter la police nationale. L’objectif est de leur permettre d’accéder rapidement à des informations sur les individus qu’ils contrôlent. Si cet enjeu est devenu aussi important, c’est en partie car les usages de ces bases de données par les policiers nationaux se sont multipliés. Les policiers municipaux, eux, n’ont qu’un accès indirect et limité à ces informations.
Nicolas Daragon souhaite que les policiers municipaux puissent effectuer des contrôles d’identité. Cet outil est massivement utilisé par les policiers nationaux tandis que les agents de police municipale ne peuvent, en droit, réaliser que des relevés d’identité. Ils peuvent demander la présentation de documents d’identité lorsqu’il s’agit de verbaliser une infraction mais ne peuvent pas obliger les personnes contrôlées à justifier leur identité.
Dans les faits pourtant, les pratiques des policiers municipaux peuvent s’avérer assez proches de celles des agents de police nationale.
J’ai pu constater au cours de mes enquêtes de terrain que les policiers municipaux utilisent des infractions prétextes (avoir traversé en dehors du passage clouté par exemple) pour obtenir les papiers d’identité d’individus. Ils peuvent aussi jouer sur l’ambiguïté entre des injonctions légales et des demandes cherchant à obtenir le consentement des individus ciblés. Par exemple, demander : « est-ce que vous pouvez ouvrir votre sac s’il vous plaît ? », sachant qu’ils n’ont pas le pouvoir de l’imposer mais comptant sur le consentement et l’ignorance de la loi des personnes contrôlées.
Une étape supplémentaire dans la judiciarisation des missions de police municipale ?
Si elles devaient être adoptées, les mesures envisagées renforceraient clairement le pouvoir des policiers municipaux. Elles interrogent néanmoins le rôle des polices municipales, et présentent des risques de dégradation des rapports de ces agents à la population en les dotant d’outils générateurs de conflits.
Mais dans les faits, cette réforme ne signerait pas une évolution notable des missions de police municipale vers la répression de la délinquance, elle ne ferait qu’accompagner un processus déjà bien engagé.
En s’appuyantsur l’article 73 du Code de procédure pénale, les policiers municipaux sont déjà en mesure d’interpeller dans le cadre du flagrant délit. J’ai pu observer que le recours à cet article ne se fait pas seulement lorsque des policiers municipaux tombent « par hasard » sur un délit en train de se commettre.
La possibilité d’interpeller ouvre en fait la possibilité d’une recherche active du flagrant délit, c’est-à-dire d’orientation des patrouilles et des modes de présence dans l’espace public pour maximiser les chances d’assister à un délit, avec une focalisation croissante des agents sur la vente de stupéfiants.
Bien que diversement investie en fonction des villes, des unités et des profils d’agents, la répression de la détention et de la vente de stupéfiants est déjà prise en charge par les policiers municipaux. Tout indique qu’elle le sera de plus en plus, avec ou sans extension des compétences judiciaires, sans que cette politique n’ait produit d’effets positifs clairs.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Adrien Mével : Docteur en science politique, Université de Rennes 1 - Université de Rennes
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.