Au lendemain de la censure du gouvernement Barnier, le président de la République, Emmanuel Macron, a tenté de rassurer tout en fixant un nouveau cap lors d’une allocution solennelle, le jeudi 5 décembre. Depuis, il a consulté les acteurs politiques en vue de nommer un nouveau Premier ministre, recevant les chefs de partis de « l’arc républicain » – en excluant LFI et le RN. Mais, quel est aujourd’hui son véritable pouvoir ? Quel sera-t-il dans les mois qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle ?
Au lendemain de la censure, Emmanuel Macron a voulu légitimer sa décision de dissolution de juin, montrant qu’il était soucieux de défendre ses décisions passées tout comme son bilan, qu’il ne souhaite pas voir détricoté. Il a aussi rappelé son souhait de convaincre certaines forces politiques de gouverner ensemble et de nommer un premier ministre pouvant échapper à une censure immédiate.
Il affirme avoir « laissé le Premier ministre gouverner, le Parlement légiférer. » Il s’est montré très sévère à l’égard des partis situés aux extrêmes de l’échiquier politique qui auraient organisé le désordre et le chaos, en ne pensant qu’à l’élection présidentielle et en organisant « un front anti-républicain ».
Il a donc voulu se situer en surplomb, jugeant les acteurs politiques, signalant son souhait de se mettre en retrait mais pas de s’éclipser, comme certains le voudraient. En ce sens, il a également repoussé l’idée de sa démission, demandée par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, assurant vouloir mener son mandat jusqu’au bout.
Il a également donné l’interprétation la plus large possible de son pouvoir de nomination du Premier ministre. Emmanuel Macron veut un « gouvernement d’intérêt général » avec des acteurs qui, à défaut d’y participer directement, s’engagerait à le soutenir et à ne pas le censurer.
Enfin, à deux reprises, il a affirmé ne pas souhaiter de hausse d’impôts. Cette prise de position montre que le président de la République tente au maximum de peser sur l’orientation politique du futur gouvernement, sans être certain de pouvoir y arriver.
Si Emmanuel Macron a finalement perdu l’essentiel de son pouvoir d’impulsion et de décisions sur les politiques menées par le gouvernement, il ne lâche rien et s’accroche à tout ce qui lui permet de maintenir son influence.
Contrairement à ce que certains laissent plus ou moins entendre, il n’y a rien d’inconstitutionnel ni d’illégal dans son action pour nommer un nouveau Premier ministre. La loi fondamentale lui demande de nommer un Premier ministre (article 8) mais le laisse libre sur la manière d’y parvenir : c’est un pouvoir discrétionnaire, sans validation par d’autres.
Au-delà de ce choix important, qui évidemment tient compte du rapport de force parlementaire, quel sera son rôle dans la future cohabitation ?
Une cohabitation différente des précédentes
Dans les cohabitations antérieures – entre Mitterrand et Chirac (1986-1988), Mitterrand et Balladur (1993-1995), Chirac et Jospin (1997-2002), l’existence d’une majorité parlementaire claire de droite ou de gauche laissait peu de pouvoir d’interprétation au président qui devait choisir le Premier ministre souhaité par la coalition gagnante.
La situation actuelle de tripartition de l’assemblée, avec peu d’écart de sièges entre les trois principaux camps, lui ouvre des possibilités pour se donner un rôle actif, au moins pendant cette période de choix d’une équipe au pouvoir. Ainsi, en septembre, il a choisi un chef de gouvernement issu de la droite modérée (47 élus) qui, avec Ensemble pour la République (93), Horizons (34) et le MoDem (36), réunissait un peu plus de sièges (210) que la coalition des partis de gauche (193 députés) ou que la droite radicale (142).
Dans les cohabitations précédentes, le président devenait une sorte de leader de l’opposition et se refaisait une santé politique en critiquant les choix gouvernementaux depuis son Aventin. La présidence du conseil des ministres, qu’il continue d’assurer conformément à la constitution – ce qui est quelque peu étonnant – lui offre un très bon observatoire des décisions et des échanges gouvernementaux. Le président ne pouvait plus « faire la politique » mais pouvait contester celle du pouvoir et préparer son retour ou celui de son camp.
Dans la situation présente, il peut conserver un pouvoir d’influence né de sa proximité avec le bloc central – qui sera probablement la pièce maîtresse du nouveau gouvernement – même si la dissolution ratée a généré de nombreuses critiques dans son propre camp et même si ses anciens soutiens ont tendance à s’autonomiser, d’autant qu’il ne pourra pas se représenter en 2027.
Cette influence sur la politique intérieure, dont on ne sait encore quelle sera l’importance, s’accompagnera d’un rôle fort maintenu dans les relations internationales, les affaires européennes et la défense, comme sous les cohabitations précédentes. Dans ces secteurs, le président n’acceptera certainement pas la nomination de ministres qui ne soient pas compatibles avec ses orientations. C’est aussi lui qui nomme les ministres, sur proposition du premier d’entre eux.
Au-delà de ce pouvoir conservé dans ces domaines majeurs, Emmanuel Macron va certainement utiliser au maximum les possibilités d’influence sur l’opinion offertes par les célébrations mémorielles et les inaugurations en tous genres. Les cérémonies de réouverture de Notre-Dame de Paris ontmontré son habileté à rester dans la lumière tout en utilisant l’événement au plan diplomatique en réunissant Donald Trump et Volodymyr Zelensky.
Réunion des partis : Emmanuel Macron au centre du jeu
En réunissant les partis à l’Élysée le 10 décembre, Emmanuel Macron a annoncé vouloir dégager un « accord de méthode » et non le contenu d’un programme gouvernemental, ce qui sera le travail du premier ministre nommé. Il vise ainsi à définir la manière dont les acteurs politiques pourraient débattre à l’assemblée pour dégager des « accords » sur chaque projet sans censurer le gouvernement. Le périmètre de la réunion, un « arc républicain » dont sont exclus les extrêmes, vise à insérer une partie de la gauche, socialistes, voire écologistes et communistes, dans le processus.
Les socialistes se distancient de plus en plus de LFI : ils sont sensibles à la nécessité de stabilité gouvernementale et veulent éviter que le gouvernement ne soit sous la menace permanente d’une censure. Ils réclament toujours un premier ministre de gauche mais se doutent qu’ils ne devraient pas obtenir satisfaction.
Les partis de l’arc républicain s’engageraient donc à ne pas censurer ce gouvernement pour autant que celui-ci n’utiliserait pas le 49.3 pour faire passer ses lois en force. Si les socialistes ne votent pas une censure des extrêmes, elle ne devrait pas pouvoir être adoptée. Ce gouvernement devrait donc rester en place, selon le président, jusqu’aux élections présidentielles de 2027, puisque l’absence de censure ne le contraint pas à une démission lorsque ses textes sont repoussés ou très fortement amendés.
Pour l’instant, ce projet d’engagement réciproque est verbal et risque de le rester, les uns et les autres n’aimant pas se lier les mains. Il n’est pas certain que les acteurs politiques résistent à la tentation d’utiliser le 49.3 ou la censure sur le budget ou les lois les plus emblématiques.
Le socle des partis de gouvernement n’ayant pu être élargi par rapport au gouvernement Barnier, le premier ministre devrait être issu d’un parti de la majorité présidentielle.
On voit donc que le président conserve un pouvoir non négligeable dans cette situation de cohabitation. Ce n’est au fond guère étonnant dans un système politique qualifié de semi-présidentiel, où le président dispose, au moins en début de mandat, d’une légitimité issue du scrutin universel direct, mais qui lui est contestée par le résultat d’élections législatives anticipées.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Pierre Bréchon : Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation France
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
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