L’Institut d’études stratégiques de l’Académie militaire française (IRSEM) a publié, lundi 20 septembre, un rapport d’analyse des opérations d’influence chinoise. Il révèle la vaste entreprise de maillage mondial de la Chine. Le rapport de l’IRSEM affirme que l’objectif ultime de la deuxième puissance mondiale est de dépasser les États-Unis, d’exercer une influence sur les processus mondiaux et d’imposer….un modèle propre à la Chine.
Toutefois, ce rapport avance que le plus grand ennemi de la Chine en termes d’influence est la Chine elle-même.
Une stratégie d’influence devenue offensive
Le rapport de 650 pages, intitulé Les Opérations d’influence chinoises; Un moment machiavélien et rédigé par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’IRSEM, et Paul Charon, directeur du domaine Renseignement, anticipation et menaces hybrides, révèle comment la Chine a étendu son influence : tant par les moyens diplomatiques traditionnels que par la mise en place de nouveaux réseaux d’activité.
L’avant-propos du rapport de l’IRSEM note que contrairement à la Russie, la Chine cherche davantage à être aimée qu’à être crainte par le monde. Elle veut acheter les cœurs et les esprits, présenter une image positive d’elle-même dans le monde et être appréciée. Cependant, Pékin a de plus en plus recours à l’infiltration et à la coercition. Ainsi, ses efforts pour étendre son influence sont devenus sensiblement plus affirmés ces dernières années : avec des méthodes de consolidation du pouvoir ressemblant de plus en plus à celles de Moscou. Le rapport décrit les récents changements intervenus dans le régime de Pékin comme un « moment machiavélique ». Il souligne que le Parti communiste chinois (PCC) est désormais convaincu qu’il est plus sûr pour lui d’être craint que d’être aimé.
En se concentrant sur le développement de l’influence, le rapport de l’IRSEM trace la trajectoire du déploiement et du développement des réseaux de quatre manières.
La première est le principal concept théorique de la stratégie : le front uni central qui mobilise tous les leviers. En interne, la Chine les contrôle par le biais de la Ligue de la jeunesse communiste. À l’étranger, l’Armée populaire de libération de la Chine promeut les trois guerres : la « guerre de l’opinion publique » dans divers médias, la « guerre psychologique » qui tente de saper la confiance du gouvernement et du peuple et de perturber le processus décisionnel de l’ennemi, et la « guerre juridique » que Pékin a adoptée le 10 juin pour contrer les sanctions occidentales.
La seconde consiste à clarifier les différents aspects du jeu de rôle et de la participation à l’action, en soulignant que les opérations d’influence de la Chine sont le produit du parti, de l’État, de l’armée et des entreprises. Le rapport mentionne notamment la base militaire 311 de l’Armée populaire de libération chinoise dans la province du Fujian, qui s’est engagée dans la stratégie des « trois guerres ».
WeChat, Weibo, TikTok, Huawei et tous les autres doivent travailler avec cette base. Elle compte également des sociétés de production audiovisuelle et des éditeurs. Produire du contenu, de la désinformation, de la propagande par la voie traditionnelle de la guerre diplomatique du loup combattant : une stratégie d’influence agressive développée par Pékin.
Le rapport de l’IRSEM décrit la stratégie de manipulation de Pékin
Le rapport décrit également une « armée de trolls » informatiques qui rassemble au moins deux millions de citoyens chinois à temps plein et 20 millions à temps partiel pour diffuser la propagande chinoise et inonder les réseaux sociaux avec des actions telles que la manipulation psychologique de l’épidémie Covid-19 et l’incitation à la cyber haine contre les militants de Hong Kong.
L’industrialisation de la manipulation de l’information, la collecte massive d’informations et l’intelligence artificielle ont permis à la Chine de produire des contenus à grande échelle, et de tenter d’influencer les élections générales à Taïwan en 2020. Au cours de la dernière décennie, Pékin a tenté d’influencer au moins dix élections dans sept pays.
Les entreprises cotées en bourse et privées jouent un rôle important dans la collecte des données : notamment les infrastructures, avec des bâtiments et des câbles sous-marins disponibles pour la collecte de données. Les nouvelles technologies, y compris les plateformes numériques WeChat, Weibo et TikTok, Beidou et Huawei.
La troisième révèle le modus operandi de Pékin en termes d’influence à l’étranger : d’une part par des récits positifs pour gagner la bienveillance des populations étrangères, et d’autre part, par l’infiltration et la coercition. Ces domaines d’activité impliquent des actions dans la diaspora, les médias, la diplomatie, l’économie, la politique, l’éducation, les think tanks, et la manipulation de l’information. Ces actions ont quatre axes principaux : défendre le modèle chinois, vanter les traditions chinoises, mettre en avant les bonnes actions de la Chine, et établir son hégémonie.
La guerre politique de Pékin
Pour la quatrième manière, les deux chercheurs ont décrit l’immense stratégie d’exploitation des réseaux de la Chine comme des cercles concentriques. Taïwan et Hong Kong forment le premier front de la « guerre politique » de Pékin, les avant-postes, les terrains d’entraînement et les « laboratoires de recherche et de développement » des opérations de la Chine. Elles peuvent ensuite être affinées et appliquées à d’autres cibles dans le monde.
La première étape de l’expansion se concentre sur l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La deuxième phase se concentre sur d’autres parties du monde, notamment l’Europe et l’Amérique du Nord. La Suède, en revanche, est devenue le laboratoire de la Chine en Europe après l’incident touristique de 2018. Les études de cas présentent également des actions contre des manifestants à Hong Kong en 2019, ou des tentatives pour convaincre les gens en 2020 que la Covid-19 était originaire des États-Unis.
Le rapport conclut que la « russification » de l’influence de la Chine est à l’œuvre depuis sa confirmation en 2017. Le monde n’a pris conscience de la gravité du problème qu’après les élections municipales à Taïwan en 2018, le mouvement anti-révisionniste à Hong Kong en 2019 et la pandémie en 2020. Le monde n’a fait que réaliser la gravité : bien que la méthode chinoise soit plus sophistiquée, mais moins efficace.
Le rapport de l’IRSEM évalue l’efficacité de la nouvelle posture de la Chine, affirmant que la stratégie d’influence de la Chine est de plus en plus offensive. Mais, bien qu’un certain succès tactique ait été obtenu, il constitue également un échec stratégique.
En matière d’influence, le plus grand ennemi de la Chine est la Chine elle-même. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, l’image internationale de la Chine s’est sérieusement détériorée et son impopularité pourrait indirectement affaiblir le PCC à l’avenir, y compris face à son propre peuple.
Rédacteur Charlotte Clémence
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.