Après le rapport de l’IRSEM, c’est au tour du Sénat de suivre de près la stratégie du Parti Communiste Chinois. Deux rapports, présentés respectivement aux séances du 22 et du 29 septembre 2021, mettent en garde contre les risques liés aux tentatives d’influence venant de pays étrangers, dont, notamment la Chine. Ces risques touchent « les moyens mis en place par la Chine pour déployer sa puissance en Europe », le domaine de la recherche scientifique et les libertés académiques.
Un rapport sur le rôle de la France au sein de l’UE
Le Rapport d’information N°846 (2020-2021), du 22 septembre 2021, fait au nom de la Commission des Affaires Étrangères, de la Défense et des Forces Armées (CAED), sur La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIème siècle chinois, a été présenté par les sénateurs - rapporteurs, M. Pascal Allizard et Mme Gisèle Jourda.
Ce rapport fait suite à celui établi par la CAED en 2017, sur les nouvelles routes de la soie. En 2021, l’objectif global porte sur la stratégie de la France qui assurera la présidence tournante de l’Union Européenne le 1er janvier 2022.
L’examen en commission
Au cours de la séance, M. Pascal Allizard a tout d’abord rappelé que le rapport de 2017 avait analysé la politique des nouvelles routes de la soie, évoqué « l’amorce d’un nouvel ordre mondial » et examiné « comment la France pouvait se positionner face à l’expression nouvelle de cette puissance chinoise dans une démarche lucide qui soulignait le rôle du parti communiste chinois (PCC) ».
Il a aussi insisté sur les avancées technologiques de la Chine, notamment dans le domaine de la 5G : « S’agissant de la participation des acteurs économiques chinois à la construction et au fonctionnement du réseau 5G, nous estimons que la législation française mise en place avec le concours de notre commission est adaptée au contexte, mais, qu’il convient de rester attentif à l’évolution des risques sur l’ensemble du territoire européen ».
Cette remarque fait écho au rôle joué par Huawei qui a tenté de devenir le leader de la 5G dans les pays démocratiques. Alors que son rôle dans la transmission des données personnelles, et le non-respect de la souveraineté nationale, a été dénoncé dans de nombreux pays : notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dernièrement en France dans un rapport de l’IRSEM, qui cite l’obligation faite aux entreprises chinoises, des secteurs publics et privés, de transmettent les données aux autorités de Pékin.
En abordant le rapport de l’IRSEM, M. Allizard a précisé : « Il ne nous a pas échappé que la Chine ne fonctionne pas comme les démocraties occidentales. Je me souviens par exemple de la visite du président chinois, il y a deux ans, à Paris : elle avait été préparée par le ministre des Affaires étrangères du parti communiste chinois. Ce n’était pas le ministre des affaires étrangères du gouvernement chinois ! Ce n’est pas un point de détail ».
Mme Gisèle Jourda, le second rapporteur a aussi apporté des éléments explicatifs à titre d’exemples sur l’influence des autorités chinoises en avançant : « Concernant l’aspect culturel, le bras armé demeure le Front uni[i], comme pour les diasporas. Il innerve toutes les associations. On n’a pas parlé de la dimension régionale et des marchés qui existent entre les régions et la Chine. On a voulu établir des ponts amicaux et économiques pour développer nos produits. Il faut être vigilant sur cette question. Il existe un exemple frappant à Nantes, où était prévue une grande exposition sur Gengis Khan. La Chine a eu de telles exigences en matière de muséographie que Nantes a renoncé à l’organiser. Les Chinois ne négligent donc pas les leviers culturels. Ils sont présents partout, au travers d’événements dont ils dressent l’architecture. Nous en parlons dans le rapport et conseillons d’être vigilant par rapport au Front uni, qui intervient tous azimuts et inonde la toile culturelle ».
Rapport sur les Influences étatiques extra-européennes
Le second rapport n°873 (2020-2021) du 29 septembre 2021, fait au nom de la mission d’information sur les Influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, présenté par sénateur-rapporteur M. André Gattolin, analyse la manière de « Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques ».
La mission a retenu, que bien que d’autres États étaient aussi ciblés, « La Chine apparait à ce jour comme l’État le plus en mesure de conduire une stratégie d’influence globale et systémique, de par sa puissance et sa capacité à mener des politiques de long terme ». Tout en citant l’exemple des Instituts Confucius : « S’inspirant du réseau de l’Alliance française, les Instituts Confucius, présents en France depuis 2005, sont la manifestation la plus connue d’une influence étrangère, celle de la Chine ».
Présents dans le monde entier et comprenant plus de 500 instituts dont 17 en France, la différence major avec l’Alliance française, est que les Instituts Confucius « sont souvent directement intégrés au sein des établissements d’enseignement supérieur » peut-on lire dans le rapport, « Pour cette raison, ils font régulièrement l’objet d’accusations d’ingérence dans le monde académique ».
L’implantation des Instituts Confucius en France est stratégiquement choisie par le communiste chinois. « Cette concentration sur les villes de taille moyenne comprend de nombreux avantages pour les instituts » peut-on lire dans le rapport. « Elle leur permet d’assurer un maillage territorial complet de la France, tout en conservant une certaine discrétion. Certaines de ces villes ont un intérêt stratégique important. Brest, par exemple, où est installé un Institut Confucius, comprend le deuxième port militaire de France. Dans plusieurs cas, il s’agit d’établissements qui ne possédaient pas de département de langue chinoise, ou alors uniquement en niveau débutant. Les Instituts Confucius viennent donc satisfaire une demande au niveau local. Enfin, ces universités ont également des budgets plus faibles que les plus grandes universités. Or les Instituts Confucius sont donnés " tout frais en main " aux établissements, et ils sont pour cette raison particulièrement intéressants d’un point de vue financier. »
Examen en commission des risques liés aux tentatives d’influence
Lors de l’examen en commission, M. Gattolin a affirmé que : « la Chine élabore aujourd’hui des modalités d’influence radicalement nouvelles, qui pourraient, demain, inspirer d’autres grands États. Ce pays dispose d’ores et déjà d’un réseau très visible en France, avec les 17 instituts Confucius, qui sont autant de relais de son influence, même si nos travaux ont montré que cette modalité d’action était en perte de vitesse ».
Il a aussi précisé : « J’avoue que j’ai été très surpris par les auditions. Elles ont révélé l’ampleur de la volonté politique et de l’énergie déployée sur l’ensemble de la planète par la Chine. J’étais un peu naïf : je n’avais pas pris conscience de l’ampleur de ces réseaux, du caractère extrêmement coordonné de la machinerie du parti communiste chinois et, surtout, de l’immense avantage qu’ont les dictatures sur nos démocraties, par leur capacité à mener des projets durant trente ans sans connaître l’alternance… ».
Ces deux rapports ont pu éclairer l’étonnante stratégie des autorités communistes, en proposant des recommandations. Mais au-delà de l’indépendance académique ou des moyens mis en place par le PCC pour développer sa stratégie devenir le numéro 1 mondial, pourrait-on dire que c’est la souveraineté d’une Nation et la survie de la démocratie dont il est aujourd’hui question ?
[i] Le département du Travail de Front uni (DTFU) est l’un des cinq acteurs importants des opérations d’influence au sein du Parti Communiste Chinois. Source rapport IRSEM : LES OPÉRATIONS D’INFLUENCE CHINOISES. Un moment machiavélien
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.