La taxe lapin, confirmée par le Premier ministre Gabriel Attal, a fait couler un peu d’encre la semaine dernière. Elle relance la notion de lutte contre le patient fraudeur et semble faire porter une certaine responsabilité sur le patient, objet et sujet du système de santé. Mais au-delà de tout, sa mise en place pourrait ne pas satisfaire les différents acteurs de ce dit système.
Une taxe proposée par le Sénat pour « responsabiliser » le patient
La taxe lapin ne sort pas du chapeau de Gabriel Attal. En effet, lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), en novembre 2023, la Commission des Affaires Sociales avait adopté l’amendement du rapporteur LR, Corinne Imbert. Cet amendement proposait de : « mettre à la charge des patients qui ne se présentent pas chez leur praticien, ou qui annulent au dernier moment, une somme forfaitaire fixée par décret au bénéfice de l’assurance maladie ». Une partie de cette somme pouvant par la suite être reversée aux « professionnels de santé concernés en indemnisation ».
Cette logique reposait sur le constat d’une évaluation menée par l’Académie nationale de médecine et le Conseil national de l’ordre des médecins précisant que 6 à 10% des patients, « posent des lapins » et « n’honorent pas leur rendez-vous ». Cela correspondrait à « une perte de temps de consultation de près de deux heures hebdomadaires pour le médecin quelle qu’en soit la discipline et, par extrapolation, près de 27 millions de rendez-vous non honorés par an ». D’où la proposition de « responsabiliser le patient » tout en versant une indemnisation pour le temps médical mobilisé, mais non rémunéré.
La notion de responsabiliser le patient revient à un concept du système de santé français : le patient fraudeur.
Le patient fraudeur au sein du système de santé
Le patient fraudeur est une idée souvent mise en avant ces dernières années explique, dans un article publié par Alternatives Économiques, Taxe lapin : Attal réhabilite le mythe du patient fraudeur pour faire oublier le recul de l’Etat, Nicolas Da Silva, chercheur au Centre d’économie de l’Université Paris 13. « Le patient fraudeur est une figure centrale permettant de justifier le recul des droits dans le domaine des soins de santé. Une réforme contestée est d’autant plus facile à faire accepter qu’elle est présentée comme une solution à ses comportements immoraux », précise-t-il dans son article.
« Bien entendu, la fraude en tant que telle est présentée comme une manifestation parmi d’autres de l’opportunisme des patients. La fraude suppose de franchir la barrière de la légalité, tandis que l’abus implique de recourir à un droit alors qu’il serait plus légitime d’y renoncer. Acheter un faux arrêt de travail sur Internet est de la fraude, demander à son médecin un arrêt de travail alors qu’il est toujours possible d’aller travailler serait de l’abus », ajoute-t-il.
Cependant, son article met en avant l’aspect marginal de l’effet patient fraudeur. « Concernant la fraude, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) vient de publier son bilan annuel sur la lutte qu’elle engage contre ce phénomène (données sur l’année 2023). Les résultats présentés tendent à démontrer que la fraude des patients est un mythe. Un mythe non pas au sens où la fraude des patients n’existe pas (et il est tout à fait bienvenu que la lutte contre la fraude se développe), mais au sens où son importance est tout à fait marginale par rapport à l’espace qu’elle occupe dans le débat public et dans la conception de la politique publique », est-il avancé dans cet article.
Ainsi, « la fraude des patients représentait en 2023 environ 0,03 % de l’ensemble des dépenses de santé ». Alors que : « L’essentiel de la fraude (en euros) vient des professionnels (80,4 % des montants), en particulier les pharmaciens (60 millions), les centres de santé (58 millions), les infirmiers (50 millions) et les transporteurs (34 millions) ».
Les acteurs fraudeurs au sein du système de santé français paraissent donc être relativement plus nombreux.
La taxe lapin et sa mise en place
Responsabiliser les patients certes, mais comment mettre en œuvre cette taxe lapin ? Ainsi, « la somme pourrait être réglée directement par l’assuré à sa caisse, prélevée sur son compte bancaire avec son autorisation ou récupérée, par l’organisme d’assurance maladie, sur les prestations de toute nature à venir », proposait l’amendement de Corinne Imbert.
Le 30 janvier, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre, Gabriel Attal avait prononcé ces mots : « Quand on ne vient pas à un rendez-vous médical sans prévenir, on paye ! ».
« Dès cette année, nous mettrons en place un mécanisme de responsabilisation avec une retenue de 5 euros qui ira directement au médecin si son patient ne se présente pas ou prévient moins de 24 heures avant », avait précisé Gabriel Attal.
Pour autant, la mise en place de cette retenue questionne le milieu médical et les plateformes de réservation de rendez-vous. Ainsi, Doctolib, bien que favorable à cette approche, s’interroge sur la lourdeur administrative de mise en œuvre. « Il ne faut pas créer un fardeau administratif nouveau pour les soignants et entraver l’accès aux soins », a déclaré sur France Inter, le PDG de cette plateforme, Stanislas Niox-Château. Car, « Il y a 15 % des patients qui sont en situation d’illectronisme [qui n’ont pas Internet ou qui ne savent pas l’utiliser] et 5 % qui n’ont pas de carte bancaire. C’est impensable d’entraver l’accès aux soins pour eux », a-t-il expliqué.
La question des rendez-vous non pris en ligne est aussi évoquée. Ainsi pour Stanislas Niox-Chateau, c’est à l’Assurance Maladie de gérer la collecte de cette taxe, afin de protéger les praticiens. Certains syndicats de médecins ont d’ailleurs souligné que cette mesure pourrait « tendre les relations » entre les soignants et leurs patients, et ceci alors que les signalements d’agressions verbales voire physiques contre les médecins ont déjà enregistré une hausse significative ces dernières années, peut-on lire dans un article des Échos, La « taxe lapin » de Gabriel Attal fait bondir le milieu de la santé, écrit par Alexandre Rousset.
Alors que toutes les logiques se focalisent sur la responsabilisation du patient, considéré comme fraudeur, et les problèmes, voire les responsabilités des différents acteurs, ce que pourrait révéler la mise en place de cette taxe lapin c’est aussi la non-prise en compte de la réalité du terrain. Ainsi, Nicolas Da Silva invite le gouvernement à se pencher sur les causes profondes qui seraient à la racine de ces rendez-vous non honorés. Il avance qu’une thèse de médecine soutenue en 2022 souligne que d’autres facteurs peuvent jouer : « statut précaire », « rendez-vous imprévu à la Caisse d’allocations Familiales », « changements d’horaire de travail à la dernière minute ou bien encore un enfant à garder », « des violences conjugales », etc.
C’est ainsi que chaque solution peut se révéler être une porte ouverte sur d’autres problématiques : un peu comme les poupées russes. La validation d’un amendement, proposé au cours du PLFSS 2024, ne fait que souligner les difficultés de financement du système de santé français, au sein d’une économie française que d’aucun juge sinistrée : au vu des chiffres annoncés pour 2023.
Dans ce contexte, la taxe lapin risque de se transformer en une artillerie lourde à mettre en place et en difficultés « d’accès aux soins » pour certaines catégories de personnes. Mais pourra-t-elle réellement couvrir l’indemnisation du temps des professionnels de santé concernés ? C’est une question qui reste d’actualité pour le moment.
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