Les parts de marché des grandes enseignes affichent un recul très net en 2019. Les suppressions de postes se succèdent en cascade. La grande distribution se porte mal. Va-t-on vers la fin des hypermarchés ? L’année 2020 marquera-t-elle la fin ou l’évolution de cette spécificité française ?
Un bilan préoccupant
Avec ses 10692 grandes surfaces, soit 25000 points de vente, la France est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre d’hypermarchés, d’après l’Atlas de la distribution paru en 2008. Cependant de nombreux observateurs tirent la sonnette d’alarme. Citons en référence ces quelques lignes publiées le 01/05/2019 selon un reportage RTL : «Douche froide chez Auchan. Le groupe a annoncé qu’il allait vendre 21 magasins qui ne sont pas rentables. Plus de 700 emplois sont menacés. Carrefour et Casino ont fait le même type d’annonces il y a quelques mois. Le modèle de l’hypermarché tel qu’on le connait depuis 60 ans est-il mort» ?
Dans un article du Figaro publié le 5 mai 2019, le journaliste Louis Bargues révélait qu’en 8 ans le chiffre d’affaires global des grandes enseignes aurait baissé de 3,3%. En ce qui concerne les produits non-alimentaires, le chiffre d’affaires aurait baissé de 30%.
Autre constat : l’internationalisation des hypermarchés à la française est en voie d’extinction. Les 2 tiers des surfaces installées à l’étranger ont été vendues.
Que s’est-il passé ? Revenons donc 60 ans en arrière.
Historique
Précisons en premier lieu qu’un hypermarché est une surface occupant plus de 2500 m². Le supermarché occupe lui une surface comprise entre 250 et 400m².
Le premier supermarché E. Leclerc ouvre ses portes en 1949. Puis vient le tour de Carrefour, en 1954, et de Auchan, en 1961.
1963 : ouverture du premier hypermarché européen sous l’enseigne Carrefour à Sainte Geneviève des Bois.
De 1963 à 1990 environ, les hypermarchés prennent leur envol. Ils représentant d’ailleurs une innovation française. La spécificité du «tout sous le même toit» connaît son heure de gloire. Quelques pistes pourraient expliquer cet âge d’or :
- l’avènement de la consommation de masse galvanisée par les «Trente glorieuses», cette période de croissance économique exceptionnelle.
- le développement du libre service qui réduit considérablement le coût d’une main d’œuvre peu qualifiée.
- les prix bas des terrains périphériques. L’utilisation de la voiture désormais accessible au plus grand nombre, qui permet au consommateur de se rendre dans les grandes surfaces. Celles-ci étant situées à la périphérie des zones urbaines.
Les produits proviennent de 5 centrales d’achats réparties sur tout le territoire. Ce système est appelé «oligopole». Le chiffre d’affaires de la «grande distribution» explose, au détriment du petit commerce de détail et des petits producteurs.
Les hypermarchés se multiplient. Le modèle français de l’hypermarché s’exporte alors à l’étranger notamment en Espagne, en Italie, en Grèce, au Brésil. C’est la phase de «l’internationalisation».
Années 1990 : ces années charnières correspondent à l’apparition du web qui va propulser le e-commerce et révolutionner le commerce. La première commande en ligne par carte bancaire est enregistrée aux USA en 1994. «Derrière un petit clic pour un individu se cache un grand pas pour l’économie», titrait le New York Times.
La grande distribution commence à ralentir le pas.
Années 2000 : le déclin se confirme. Dans l’article du magazine de consommation LSA du 16/11/2000, nous pouvons lire : «Après tout, les supermarchés obtiennent de meilleures performances en terme de consommation… et dans le non-alimentaire, un ralentissement du nombre d’ouvertures.» Les supermarchés commencent dès lors à concurrencer les hypermarchés.
Pourquoi le déclin perdure-t-il ?
La concurrence du e-commerce est très significative : les consommateurs âgés de 20 à 30 ans font 1/5ème de leurs achats non-alimentaires sur internet ou via un Smartphone. (Image : William Iven / Pixabay)
Selon les spécialistes, les causes sont multiples. Nous retiendrons les points suivants :
-la course effrénée aux prix bas dans les grandes surfaces.
-la concurrence très significative du e-commerce (les consommateurs âgés de 20 à 30 ans font 1/5ème de leurs achats non-alimentaires sur internet ou via un Smartphone).
-les changements d’habitudes du consommateur.
Le consommateur désormais mieux informé est devenu plus exigeant. Aux dires de certains, le consommateur serait de nos jours un «consom’acteur».
Ces quelques lignes publiées dans le Figaro le 24 mars 2019 en témoignent : «Les enseignes au garde-à-vous devant les «consom’acteurs». ENQUÊTE - Pour les géants de la distribution, s’adapter aux exigences multiples et contradictoires des clients-citoyens est un casse-tête… et une question de survie».
Au coeur de ces exigences, on pourrait citer la planète, la santé, le bio. Dans le domaine alimentaire par exemple, le consommateur s’applique à rechercher l’origine du produit. Il veut savoir si celui-ci est exempt de tout pesticide.
Parallèlement le même consommateur se soucie du sort des petits producteurs.
Une autre tendance conséquente fait son apparition au cours de la dernière décennie : le goût affiché pour le commerce de proximité. Le circuit court est de retour après avoir été détrôné soixante ans auparavant en raison de l’expansion irrémédiable des hypermarchés.
Par ailleurs, le «consommer local» a des répercussions non négligeables sur l’emploi.
«Mais l’U2P (Union des entreprises de proximité) rappelait aussi qu’à chiffre d’affaires égal, une boutique de centre-ville crée trois fois plus d’emplois qu’une grande surface. Si l’affaiblissement des supermarchés de périphérie peut renforcer les supérettes et les métiers de bouches des villes en créant des emplois locaux, ce sera une évolution plutôt vertueuse», déclare Martial You dans un reportage sur RTL le 1er mai 2019.
Vers un commerce plus convivial ?
La nouvelle tendance du consommateur serait de privilégier le contact avec les petits producteurs. (Image : Martin Winkler / Pixabay)
Contrairement aux années 60 où le consommateur se rendait volontiers en voiture sur les zones périphériques éloignées de son domicile, de nos jours il marque sa préférence pour des surfaces de vente plus réduites, plus conviviales. Le commerce de proximité plus proche du centre-ville retrouve ses lettres de noblesse.
La nouvelle tendance du consommateur serait de privilégier le contact avec les petits producteurs.
Il serait intéressant de se pencher sur cette enquête réalisée entre le 25 septembre et le 11 octobre 2018 par l’Observatoire Société et Consommation (L’ObSoCo). Elle a été dévoilée le 18 janvier 2019 par la journaliste Valéry Xandry, spécialiste de la consommation.
Les consommateurs déclarent que les hypermarchés sont mal adaptés à leurs besoins. D’ailleurs ils associent les hypermarchés à l’idée de stress, de surconsommation et de suppression d’emplois.
Ils estiment que la grande distribution serait responsable de la crise économique car elle n’accorderait de l’importance qu’au profit.
Son appartenance aux grands groupes agroalimentaires générerait la malbouffe. Les petits producteurs seraient sacrifiés.
En résumé, cette enquête parvient aux conclusions suivantes : «Les hypermarchés, supermarchés et même les petites surfaces de proximité de la grande distribution sont moins appréciés que les boulangeries, petits producteurs ou encore les marchés».
Les nouvelles tendances de consommation évoquées plus haut ont, à l’évidence, conduit à la fin d’un modèle.
Comment interpréter le désintérêt du consommateur envers la grande distribution ? S’agit-il d’un simple caprice ? Ce nouvel engouement pour un commerce à taille humaine ne serait-il pas plutôt un fait de société ?
En tout état de cause les faits démontrent que le consommateur est en quête d’une certaine authenticité. Une nouvelle donne qui gagnerait sans doute à être prise en considération.
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