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Monde. Comprendre les ambitions de Pékin en mer de Chine méridionale

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Depuis plusieurs années, et tout particulièrement depuis fin 2023, la République populaire de Chine (RPC) ne cesse d’intensifier ses actes d’intimidation en mer de Chine méridionale, spécialement à l’encontre des Philippines, pour assurer sa suprématie dans cet espace maritime contesté de longue date.

Usage de sonars et d’armes soniques de surface, emploi de projecteurs pour aveugler les navires adverses, brouillage de leurs capteurs, GPS et moyens de communication, tirs à bout portant à l’aide de canons à eau sur des navires de ravitaillement philippins non armés… Récemment, la RPC est allée jusqu’à peindre des navires de sa milice maritime  aux couleurs de sa garde côtière afin de leurrer les autorités philippines.

Ces procédés agressifs n’ont rien de nouveau. Que veut la Chine dans cette zone, et quels sont les arguments qu’elle emploie pour justifier son attitude ?

Comprendre les ambitions de Pékin en mer de Chine méridionale
Rappelons qu’en 1988 déjà, 64 soldats vietnamiens non armés avaient été tués par les tirs d’artillerie de navires chinois au large de Johnson South Reef, dans l’archipel des Spratleys, un ensemble d’îles et récifs coralliens situé au milieu de la mer de Chine méridionale. (Image : wikimedia / Nzeemin / Domaine public)

Une politique musclée qui ne date pas d’hier

Rappelons qu’en 1988 déjà, 64 soldats vietnamiens non armés avaient été tués par les tirs d’artillerie de navires chinois au large de Johnson South Reef, dans l’archipel des Spratleys, un ensemble d’îles et récifs coralliens situé au milieu de la mer de Chine méridionale.

Dès lors, la RPC a progressivement établi son emprise sur sept récifs. Tout d’abord via l’installation de marqueurs de souveraineté, puis par la construction d’« abris pour pêcheurs » puis d’installations permanentes sous le couvert de « stations météorologiques ». La présence chinoise s’est soldée par une poldérisation massive de ces récifs ainsi que la construction de bases navales et aériennes malgré l’engagement public pris par Xi Jinping de ne pas militariser la zone.

De plus, deux incidents majeurs sont survenus dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) du Vietnam en 2014 ainsi qu’en 2019. La Chine avait tenté de déployer une plate-forme offshore, puis un navire de prospection d’hydrocarbures, sans permission du Vietnam. Ces deux incidents avaient donné lieu à des affrontements brutaux en pleine mer, pour la première fois diffusés massivement par les médias locaux et internationaux.

En 2012, la ZEE des Philippines a été visée par Pékin. D’autres actions ont également eu lieu dans le détroit de Taïwan autour des îles Senkaku (huit îlots et rochers inhabités, revendiqués par la RPC, Taïwan et le Japon) ainsi qu’en mer Jaune.

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Si les tenants d’une posture « offensive », dite des « loups guerriers », à l’instar de l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, prétendent que Taïwan fait partie de la Chine de toute éternité, la réalité est quelque peu différente. (Image : wikimedia / Bookish Worm / CC-BY-3.0)

Au fil des années, les experts ont avancé diverses raisons pour expliquer un tel comportement. Nous examinerons quelques-unes de ces pistes, pour tenter de comprendre les raisons de l’agressivité de la Chine à l’égard de ses voisins.

Taïwan dans le viseur de la RPC

Si les tenants d’une posture « offensive », dite des « loups guerriers », à  l’instar de l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye , prétendent que Taïwan fait partie de la Chine de toute éternité, la réalité est quelque peu différente.

En dehors d’échanges culturels et commerciaux occasionnels, la présence chinoise à Taïwan s’est longtemps limitée à deux petits villages peuplés d’environ 1500 pêcheurs situés dans le Sud de l’île : face à l’archipel des Pescadores qui servaient à la pêche saisonnière. La première migration d’importance depuis la Chine continentale a été le fait des colons néerlandais pour travailler sur les plantations qu’ils possédaient sur le territoire taïwanais (l’Espagne, le Royaume-Uni et le Portugal ont également maintenu une présence sur l’île).

Taïwan n’a pas été occupée par la Chine avant 1683. Des loyalistes de la dynastie Ming et des pirates ont régné sur une partie de l’île après avoir défait les Néerlandais. Cette même année, l’île est apparue pour la première fois sur une carte officielle chinoise sans susciter, toutefois, un grand intérêt ou une relation particulière. L’empereur Kangxi, alors à la tête de l’Empire chinois, avait dépeint l’île comme un simple « tas de boue au-delà de la civilisation ».

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La présence chinoise à Taïwan s’est longtemps caractérisée par une présence limitée et des conflits constants avec la population locale. En 1895, au moment de l’invasion japonaise, seule la moitié de l’île était sous le contrôle effectif de la Chine. (Image : wikimedia / MikeEdwards~commonswiki / Domaine public)

La présence chinoise à Taïwan s’est longtemps caractérisée par une présence limitée et des conflits constants avec la population locale. En 1895, au moment de l’invasion japonaise, seule la moitié de l’île était sous le contrôle effectif de la Chine. Et ce, malgré de nombreuses campagnes menées par les gouverneurs successifs pour combattre les tribus locales et ouvrir les campagnes à la pénétration des colons.

Entre 1922 et 1942, durant la retraite des forces communistes chinoises à Yan’an, qui devint le berceau de la révolution, la position officielle du Parti communiste chinois (PCC) était que Taïwan ainsi que la Corée, étaient des nations indépendantes qu’ils souhaitaient aider à se libérer de l’occupation japonaise. Position confirmée par Mao Zedong lui-même, en 1937, lors d’une interview accordée au journaliste américainEdgar Snow.

Cependant, cette volonté a radicalement changé après que le PCC ait renversé le gouvernement du Kuomindang, le parti nationaliste jusqu’alors au pouvoir, et que ce dernier trouva refuge à Taïwan. Les yeux de la RPC, désormais rivés sur l’île voisine, voient dans cette dernière et son système politique démocratique une menace à neutraliser.

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Ce n’est qu’après la revendication Française sur les archipels des Paracels (1932) puis des Spratleys (1933), et le début d’exploitation de l’île de Pratas Island par un entrepreneur japonais, Nishizawa Yoshizi, que les autorités chinoises se sont également mises à revendiquer ces territoires. (Image : wikimedia / Trecătorul răcit / CC-BY-SA-4.0,3.0,2.5,2.0,1.0)

Un poids historique minime en mer de Chine méridionale

Concernant la mer de Chine méridionale, toutes les cartes publiées par la Chine, jusqu’en 1932, mentionnaient l’île de Hainan, près du Vietnam, comme son territoire le plus méridional.

Ce n’est qu’après la revendication Française sur les archipels des Paracels (1932) puis des Spratleys (1933), et le début d’exploitation de l’île de Pratas Island par un entrepreneur japonais, Nishizawa Yoshizi, que les autorités chinoises se sont également mises à revendiquer ces territoires. Elles repoussèrent progressivement le point le plus méridional jusqu’à atteindre le récif de James Shoal, à près de 2000 km de Hainan. Les cartes officielles ont été mises à jour pour accompagner ces revendications.

Pourtant, alors que certains prétendent que la Chine aurait découvert et nommé l’ensemble de ces éléments maritimes depuis les « temps anciens » jusque dans les années 1990, la topographie de la mer de Chine méridionale sur ces cartes, comportait des noms qui n’étaient qu’une simple traduction phonétique de noms anglais…

Ces revendications reposent en effet sur des justifications fragiles car les autorités chinoises, avant le début du XXe siècle pour les Paracels et les années 1950 pour les Spratleys, n’ont jamais occupé, ni peuplé, ni développé la moindre infrastructure sur aucun des éléments aujourd’hui contestés. La seule présence chinoise attestée, au fil des siècles, se résume à celle des pêcheurs qui occupaient ponctuellement certaines îles exclusivement dans les Paracels pour se reposer et se ravitailler.

Aussi, en 1938, Wang Gong Da, alors directeur de l’influent média Peiping New, écrivait : « Ne commettez pas de bévue diplomatique […]. Au Sud de l’île Triton, il n’y a aucun lien avec le territoire chinois. Nos soi-disant experts, géographes et officiers de la Marine sont une honte pour notre pays. »

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Les dirigeants communistes avaient alors décidé de reprendre à leur compte l’ensemble de ces revendications nationalistes, afin de priver leur adversaire de toute légitimité, et de rallier une population dont ils savaient le soutien fragile. (Image : wikimedia / HueMan1 / Domaine public)

Des incohérences juridiques

Les revendications du PCC sur les archipels des Paracels et des Spratleys ont certainement émergé en réaction à la conception en 1947, suivie de la publication en 1948 d’une carte, par les forces du Kuomintang, comprenant la fameuse « langue de bœuf » : une ligne qui englobe, au mépris du droit international, l’essentiel de la mer de Chine méridionale.

Les dirigeants communistes avaient alors décidé de reprendre à leur compte l’ensemble de ces revendications nationalistes, afin de priver leur adversaire de toute légitimité, et de rallier une population dont ils savaient le soutien fragile.

Mais il y a une grande différence entre revendiquer et agir. Après la prise de contrôle de l’île de Hainan, il a fallu attendre vingt-cinq ans pour que la Chine communiste s’empare de l’ensemble des Paracels, et quatorze années de plus pour les Spratleys – à l’issue de deux batailles navales, en 1974 puis en 1988 contre le Vietnam.

Depuis 1948, le nombre de traits que comporte la ligne imaginaire chinoise « ligne en neuf traits » (ou « 9-dash line ») visant à revendiquer l’essentiel de la mer de Chine méridionale n’a cessé d’évoluer avec le retrait d’un trait dans le golfe du Tonkin suivi de l’ajout de deux nouveaux traits au large de Taïwan. De sorte qu’il existe près d’une dizaine de versions de ces revendications, circulant entre les différents ministères, administrations et think tanks de la RPC. Aucune de ces versions n’a à ce jour été rendue officielle.

La « langue de bœuf » ou la « ligne en 9 traits » a d’ailleurs été rendue caduque après la ratification par la RPC de la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer, comme l’a parfaitement démontré la décision de la Cour permanente d’arbitrage en 2016 dans l’affaire opposant les Philippines à la Chine.

Il en va de même pour la récente notion de « droits historiques ». N’ayant été mise en avant par Taïwan qu’en 1993, avant d’être copiée par la Chine entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Cette notion s’ajoute à des formulations vagues et pseudo-légales telles qu’« eaux sous juridiction chinoise » ou « eaux adjacentes » utilisées par Pékin.

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La RPC cherche également à renforcer son influence sur ses voisins et à créer un espace permettant à ses sous-marins de se « diluer » en toute sécurité dans ces eaux avant d’atteindre l’océan Pacifique. (Image : wikimedia / Hariboneagle927 / Domaine public)

Des motivations économiques peu probantes

Il a été dit à plusieurs reprises que la Chine pourrait être motivée par l’accès aux ressources naturelles, du fait d’une population avide de produits de la mer (de 5 à 35 kg par personne et par an entre 1960 et 2020). Mais ces besoins sont déjà satisfaits par les flottes de pêche hauturière chinoises qui sillonnent les océans Pacifique, Indien et Atlantique. De plus, l’industrie aquacole nationale produit 60 millions de tonnes produites par an, soit 82 % de la production totale annuelle du pays.

En ce qui concerne le pétrole et le gaz, les travaux d’exploration et de production n’ont pas connu l’essor espéré en mer de Chine méridionale. Au début des années 2000, la signature d’un accord, non suivi d’effet, aurait établi l’idée d’une coopération entre la Chine, le Vietnam et les Philippines pour la production d’hydrocarbures dans ces eaux partagées. Une seconde tentative, entre la Chine et les Philippines sous la présidence Duterte, s’est aussi révélée infructueuse : Pékin ayant refusé de reconnaître la zone d’exploitation comme appartenant à la ZEE philippine. Aucune autre initiative n’a été discutée depuis.

Par ailleurs, après les incidents dans la ZEE vietnamienne (motivés par l’exploitation pétrolière), la Chine a connu bien plus de succès dans sa propre ZEE, avec les gisements de pétrole de Kaipingnan, au Sud de Shenzhen (2023), et de Bohai 26-6 dans la mer de Bohai (2024), ainsi que le gisement de gaz Lingshui 36-1 au Sud de Hainan (2024).

Ajoutons que la Chine s’orientant vers une électrification massive, a beaucoup investi dans des centrales solaires et des parcs éoliens et a réduit sa dépendance vis-à-vis des lignes d’approvisionnement traditionnelles en pétrole et en gaz en provenance du Moyen-Orient en augmentant sa production nationale et en construisant des infrastructures avec la Russie.

Dès lors, l’élargissement de la ZEE chinoise de même que les multiples agressions dans celles de pays voisins ne semblent pas être motivées par le souci d’acquérir davantage de ressources naturelles. Pékin n’a nul besoin, à court ou moyen terme, des éventuelles réserves contenues en mer de Chine méridionale.

D’autres intérêts, non économiques, semblent ainsi prendre le pas. À commencer par le désir ou la nécessité de construire une zone tampon, afin de maintenir à distance les États-Unis et leurs alliés du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (l’Australie, l’Inde et le Japon). La RPC cherche également à renforcer son influence sur ses voisins et à créer un espace permettant à ses sous-marins de se « diluer » en toute sécurité dans ces eaux avant d’atteindre l’océan Pacifique.

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Le scénario d’une reconquête de Taïwan, quel qu’en soit le prix aurait un coût humain, mais aussi, financier extrêmement élevé pour l’ensemble du globe, si l’on en croit les analyses de la société d’information boursière Bloomberg. Une catastrophe qui n’aurait pas de frontières. (Image : wikimedia / KOKUYO / CC-BY-2.0)

Une aversion croissante pour l’instabilité politique

Les autorités chinoises cherchent à prouver leur légitimité en soutenant un projet de réunification nationale qui mettrait fin au « siècle d’humiliation » pour effacer les désastres d’anciennes grandes réformes menées par le Parti communiste.

À l’instar des campagnes « trois anti » en 1951 et des « cinq anti » au printemps 1952, celle des cent fleurs (1957), le Grand bond en avant (1958-1961) au bilan humain tragique (plusieurs dizaines de millions de morts) ou encore la Révolution culturelle (1966-1976). À ce titre, il semble que la Chine considère le Vietnam et les Philippines comme des dommages collatéraux de sa vaste et croissante campagne de guerre asymétrique en mer de Chine méridionale.

Xi Jinping a réussi, via ses revendications dans ces eaux territoriales, à tirer profit d’une situation juridique complexe et ainsi détourner l’attention des citoyens chinois des difficultés économiques et sociales du pays.

Le gouvernement s’est évertué à rassembler la population chinoise autour de cette politique agressive. En augmentant la production de nouvelles frégates, de destroyers et d’autres infrastructures militaires, les autorités comptent engendrer des actifs à long terme et de nouveaux emplois dans l’industrie.

Il reste désormais à espérer que les scénarios d’une confrontation majeure entre la Chine et Taïwan, ou avec les Philippines, ne se concrétiseront pas. Le scénario d’une reconquête de Taïwan, quel qu’en soit le prix aurait un coût humain, mais aussi, financier extrêmement élevé pour l’ensemble du globe, si l’on en croit les analyses de la société d’information boursière Bloomberg. Une catastrophe qui n’aurait pas de frontières.

Rédacteur Charlotte Clémence

Auteur
Benjamin Blandin, Doctorant en relations internationales, Institut catholique de Paris (ICP
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

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