Les entreprises américaines accélèrent leur exode hors de Chine. (Image : wikimedia / Windmemories, CC BY-SA 4.0)
Dans un virage spectaculaire pour l’économie mondiale, les entreprises américaines accélèrent leur exode hors de Chine. Sous l’effet des tensions géopolitiques croissantes, des incertitudes économiques et du besoin croissant de diversifier les chaînes d’approvisionnement, près de sept des dix principales entreprises américaines ont prévu de réduire ou de délocaliser leurs activités hors de Chine en 2024, selon un nouveau rapport de Bain & Company.
Alors que les entreprises cherchent à réduire les risques liés à une dépendance excessive vis-à-vis du marché chinois, ce départ massif marque un changement clé dans la stratégie économique mondiale en remodelant les chaînes d’approvisionnement et en ouvrant de nouvelles opportunités dans d’autres régions comme l’Inde, l’Amérique du Nord et l’Asie du Sud-Est. L’exode marque également une forte augmentation par rapport à il y a seulement deux ans.
L’exode massif
Selon le rapport, 69 % des entreprises interrogées ont prévu de réduire ou d’abandonner complètement leurs activités en Chine en 2024, contre 55 % en 2022, soit une augmentation de 14 points de pourcentage. Ce sentiment croissant souligne la perte de confiance des grandes entreprises américaines dans le marché chinois, qui croule sous les dettes, la montée en flèche du chômage, l’effondrement du secteur immobilier et les difficultés des entreprises locales.
Les destinations alternatives pour ces entreprises sont vastes et diverses, le sous-continent indien s’imposant comme un choix de premier ordre. Environ 39 % des dirigeants l’ont identifié comme la région idéale pour la délocalisation, compte tenu des capacités de production croissantes de l’Inde, de ses coûts de main-d’œuvre compétitifs et de l’expansion de son marché de consommation. Les autres destinations sont l’Amérique du Nord (16 %), l’Asie du Sud-Est (11 %), l’Europe occidentale (10 %) et l’Amérique latine (8 %).
Cette tendance au « nearshoring » et au « reshoring » reflète également une volonté plus large des entreprises d’atténuer les risques liés à une dépendance excessive à l’égard de la main-d’œuvre chinoise en diversifiant les chaînes d’approvisionnement plus près des marchés nationaux. L’étude de Bain & Company a montré que 81 % des cadres en 2024 avaient l’intention de réaligner les chaînes d’approvisionnement pour réduire la dépendance, contre 63 % en 2022.
Pourquoi les entreprises américaines fuient-elles
1. Risques géopolitiques et politiques américaines
Bain & Company a attribué l’une des principales raisons de l’exode à la montée des tensions géopolitiques et à l’escalade des coûts opérationnels. Des mesures telles que la loi américaine sur la réduction de l’inflation et la loi CHIPS ont incité les entreprises à rapatrier leur production. Ces initiatives, soutenues par l’actuel président américain Joe Biden, visent à accorder des allègements fiscaux et des subventions aux industries clés, notamment celles de l’énergie verte et des semi-conducteurs, afin de promouvoir la fabrication nationale.
En outre, l’administration Biden a maintenu les droits de douane imposés pendant la présidence Donald Trump et a introduit des restrictions sur les investissements américains dans la technologie chinoise. Les droits de douane imposés par l’ancien président Donald Trump sur les produits chinois associés à son programme «America first » avaient déjà démontré les risques d’une dépendance excessive à l’égard de la base manufacturière chinoise. Les experts estiment que cela a ouvert la voie aux politiques actuelles et futures visant à encourager les entreprises américaines à diversifier leurs activités.
2. Instabilité économique et politique
Les risques géopolitiques, notamment les guerres commerciales, les réglementations strictes et les pressions inflationnistes, ont joué un rôle central dans les décisions relatives à la chaîne d’approvisionnement, note Bain & Company. L’enquête a également mis en évidence les conditions de travail, les facteurs environnementaux et les risques de catastrophe, tels que les calamités naturelles, le terrorisme et les menaces pour la santé publique, comme des considérations clés pour les entreprises qui choisissent de quitter le marché chinois.
La pandémie de Covid-19 a également servi de signal d’alarme pour de nombreuses entreprises, en exposant les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement d’une seule région. Les contrôles stricts « zéro Covid » dans toute la Chine, associés à de graves perturbations de la chaîne d’approvisionnement, ont souligné l’urgence d’établir une production dans plusieurs régions afin de garantir une production continue et une bonne réactivité.
3. Impact des droits de douane potentiels
Les experts préviennent que l’augmentation des droits de douane américains sur les produits chinois pourrait encore aggraver les difficultés économiques de la Chine. La puissance asiatique est déjà aux prises avec plusieurs défis économiques, notamment un effondrement du marché de l’immobilier, des dettes croissantes et une déflation localisée. Ces problèmes ont considérablement affaibli le moteur économique de la Chine, les investissements étrangers dans le pays ayant chuté pendant trois années consécutives. Au cours des seuls neuf premiers mois de 2024, les investissements étrangers en Chine ont chuté de 13 milliards de dollars.
En tant que grand exportateur de produits bon marché, l’économie chinoise dépend fortement des marchés mondiaux. Si les pays qui importent ces biens imposent de plus en plus de droits de douane et de restrictions pour protéger leurs industries nationales, cela pourrait créer davantage d’obstacles et de revers pour les exportations et l’économie chinoises à long terme.
4. Évolution vers des chaînes d’approvisionnement diversifiées
Enfin, le rapport de Bain & Company met en évidence une tendance croissante à l’« externalisation décentralisée », qui combine la fabrication à l’étranger et la production localisée. Cette stratégie permet non seulement de réduire les risques politiques et économiques, mais aussi d’améliorer la réactivité de la chaîne d’approvisionnement. La réduction des distances dans les chaînes d’approvisionnement permet également aux entreprises de s’adapter plus rapidement aux changements du marché.
Les entreprises qui quittent la Chine ne se contentent pas de diversifier leurs activités, elles « relocalisent » activement leurs activités. Cette tendance est amplifiée par les incitations économiques telles que les subventions et les allègements fiscaux. L’accent mis par le gouvernement américain sur la production nationale est un facteur déterminant de cette évolution.
Perspectives d’avenir
Dans un contexte économique mondial en constante évolution, l’exode des entreprises américaines de Chine ne devrait pas ralentir, note Bain & Company. La fracture géopolitique entre les deux pays, associée aux incitations offertes par les politiques américaines, remodèle le paysage du commerce et de l’industrie manufacturière mondiaux.
Dans le même temps, les difficultés économiques de la Chine pourraient dissuader encore davantage les investissements étrangers, obligeant Pékin à repenser ses stratégies pour conserver son attrait en tant que pôle industriel mondial. « L’abandon de la Chine n’est pas seulement une question de coût, c’est aussi une question de résilience, de diversification et de positionnement stratégique à long terme dans une économie mondiale en évolution rapide », souligne le rapport.
