Selon David Beasley, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM) aux Nations unies (ONU), l’offensive militaire russe en cours en Ukraine met les marchés en « grave difficulté » et « les balles et les bombes en Ukraine pourraient porter la crise alimentaire mondiale à des niveaux dépassant tout ce que nous avons vu auparavant. »
L’Ukraine, tout comme la Russie, est une des régions les plus productives au monde. Cependant, en raison de l’invasion russe qui a débuté le 24 février, le travail dans les champs s’est pratiquement arrêté, ce qui a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires de base et des engrais à des niveaux presque record. Les prix du blé ont grimpé à un niveau jamais atteint depuis la crise alimentaire mondiale de 2007-2008.
Lorsque les cours du blé ont atteint des records historiques en 2007 et 2008, une vague de protestations s’est propagée dans près de 40 pays. Cette hausse du prix du blé aurait été l’un des éléments déclencheurs de la vague de soulèvements des « printemps arabes » en 2009 et 2010.
« Ce n’est pas seulement une crise à l’intérieur de l’Ukraine », a déclaré David Beasley. « Cela va affecter les chaînes d’approvisionnement, et notamment le coût des denrées alimentaires ».
Crise d’approvisionnement imminente
Selon Bloomberg, « l’Ukraine et la Russie représentent à elles deux plus d’un quart du commerce mondial de blé, utilisé dans tous les domaines, du pain aux nouilles en passant par l’alimentation du bétail », et « le conflit a entraîné la fermeture des principaux ports ukrainiens et la rupture des liens logistiques et de transport. Le commerce avec la Russie a également été étouffé par la complexité de la gestion des sanctions et la flambée des coûts d’assurance et de fret. »
En outre, « les contrats à terme à Chicago ont dépassé la limite quotidienne pour la sixième session consécutive, augmentant de 7 % à 12,94 dollars le boisseau. Cette hausse s’inscrit dans le prolongement d’une augmentation massive de 41 % la semaine dernière, la plus importante depuis six décennies », rapporte Bloomberg.
L’un des pays les plus touchés est la Chine qui, en 2021, a importé plus de 8 millions de tonnes de maïs d’Ukraine, soit près d’un tiers des importations totales de maïs de la Chine cette année-là. L’Ukraine fournit également de nombreux autres produits alimentaires à la nation la plus peuplée du monde.
Après l’invasion russe, le gouvernement de la République populaire de Chine (RPC) a ordonné aux agences et aux entreprises d’État de « parcourir les marchés pour trouver des matériaux, notamment du pétrole et du gaz, du minerai de fer, de l’orge et du maïs, afin de combler toute lacune potentielle provoquée par le conflit », selon le rapport de Bloomberg.
En Égypte, où le prix du pain est largement subventionné, le gouvernement envisagerait d’augmenter les prix. Le Premier ministre Mostafa Madbouly a déclaré que cette augmentation serait mise en œuvre de manière à ce que « les personnes les plus démunies ne soient pas lésées ».
Le blé n’est pas la seule denrée de base menacée. Si l’offensive russe se poursuit au printemps, les semis de printemps pour les cultures telles que le maïs et le tournesol pourraient être affectés et les experts s’attendent à ce que les rendements des céréales d’hiver soient entravés, ce qui prolongerait le choc de l’offre sur les marchés mondiaux.
L’Ukraine est le premier exportateur mondial d’huile de tournesol et la perte des échanges commerciaux du pays aurait déjà un impact sur l’offre mondiale d’huile végétale.
La Chine, qui dépend fortement des importations de blé russe et ukrainien, a levé toutes les barrières commerciales aux céréales en provenance de Russie, le plus grand pays du monde, dont Pékin a déclaré le 7 mars qu’il était le plus important « partenaire stratégique » de la Chine.
Le prix des engrais aggrave le problème
Le prix des engrais produits à partir de matières premières abondantes en Russie et au Belarus, notamment le phosphate, la potasse et l’ammoniac dérivé du gaz naturel, s’envole.
Svein Tore Holsether, PDG de l’entreprise chimique norvégienne Yara International, a déclaré à la BBC : « Nous étions déjà dans une situation difficile avant la guerre », faisant référence à la hausse des coûts du carburant et du transport ainsi qu’aux conditions météorologiques extrêmes qui ont ravagé de nombreuses régions du globe.
« La moitié de la population mondiale se nourrit grâce aux engrais… et si on les retire du champ pour certaines cultures, [le rendement] chutera de 50 % », a-t-il déclaré. « Pour moi, la question n’est pas de savoir si nous allons vers une crise alimentaire mondiale », a-t-il ajouté. « Il s’agit de savoir quelle sera l’ampleur de cette crise ».
Les commentaires de Svein Tore Holsether interviennent alors que les coûts alimentaires mondiaux ont atteint un pic historique le mois dernier, selon l’ONU, et que l’agression continue de la Russie en Ukraine devrait encore aggraver la pression inflationniste.
Les pays à faible revenu qui dépendent fortement des importations de céréales sont les plus exposés à l’insécurité alimentaire.
Par exemple, l’Ukraine fournit près de 90 % du blé consommé au Liban. L’Ukraine est également le principal fournisseur de pays comme la Somalie, la Syrie et la Libye, selon le Financial Times.
Le programme alimentaire des Nations unies lui-même est également menacé. Selon le Financial Times, « le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, qui achète des céréales et de la nourriture pour les distribuer aux pays les plus pauvres, a acheté un peu moins de 1,4 million de tonnes de blé l’année dernière, dont 70 % en provenance d’Ukraine et de Russie. Avant l’invasion, il était déjà confronté à une augmentation de 30 % du coût du blé, en raison des mauvaises récoltes au Canada, aux États-Unis et en Argentine. La dernière flambée des prix des céréales réduirait encore sa capacité à fournir de l’aide. »
Svein Tore Holsether a exposé à quel point la chaîne d’approvisionnement alimentaire mondiale est vulnérable aux chocs externes. Il a décrit la guerre en Ukraine comme « une catastrophe sur une catastrophe »
« Nous devons garder à l’esprit qu’au cours des deux dernières années 100 millions de personnes supplémentaires se couchent le ventre vide », a expliqué Svein Tore Holsether. « Donc, que cela vienne s’ajouter à cela est vraiment inquiétant ».
Rédacteur Fetty Adler
Collaboration Jo Ann
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