Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

Monde. Pourquoi la plupart des pays africains gardent le silence sur le bilan de la Chine en matière de droits de l’homme

ACTUALITÉ > Monde

À la suite du récent rapport des Nations unies sur les droits de l’homme relatifs au traitement des Ouïghours et des autres minorités dans la région du Xinjiang, la plupart des pays africains sont restés silencieux, alors que les pays Occidentaux et les organisations de défense des droits de l’homme ont condamné la Chine.

En août, Michelle Bachelet, alors Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a publié un rapport le dernier jour de son mandat. Elle a précisé que les actions de la Chine contre les Ouïghours et d’autres minorités dans la région du Xinjiang « peuvent constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité », citant entre autres abus les détentions arbitraires dans des camps de concentration, la torture et les violences sexuelles.

Une « fausse conclusion fondée sur de fausses informations » ?

Certains pays occidentaux et leurs alliés font pression sur l’Organisation des Nations unies (ONU) pour qu’elle crée une commission d’enquête, afin d’approfondir les conclusions de ce rapport. Mais la poursuite de cet objectif dépend du nombre d’États membres qui soutiennent cette demande.

Le représentant permanent de la Chine auprès des Nations unies à Genève, Chen Xu, a publié une déclaration commune lors de la 51ème session du Conseil des droits de l’homme, ce 13 septembre. Il a qualifié l’évaluation du Xinjiang de « fausse conclusion fondée sur de fausses informations ». La déclaration a été signée par 28 autres pays, près de la moitié de ses partisans venant de pays africains tels que le Burundi, le Cameroun, les Comores, l’Égypte, la Guinée équatoriale, la Guinée, l’Érythrée, l’Éthiopie, la Sierra Leone, le Sud-Soudan et le Zimbabwe.

L’année dernière, seuls deux des 43 pays africains, le Swaziland et le Liberia, avaient signé un communiqué des Nations unies condamnant la politique chinoise au Xinjiang. En juin, ces deux pays ont à nouveau signé, mais ils ont été les rares exceptions parmi les pays africains.

Le cas de l’Afrique du Sud

L’Afrique du Sud, troisième économie du continent, n’a ni signé une lettre de soutien à la position de la Chine, ni exprimé une position critique à son égard. Des analystes ont déclaré à Voice of America (VOA) que l’Afrique du Sud, considérée comme la principale démocratie du continent, est restée largement silencieuse sur la question.

Magnus Fiskesjo, professeur associé au département d’anthropologie de l’université Cornell, a précisé que : « L’Afrique du Sud, qui est fière aujourd’hui de passer pour un brillant modèle en matière des droits de l’homme, est maintenant en difficulté et se bat pour qu’il ne soit pas fait mention de l’apartheid en Chine ». Il faisait référence au système de discrimination raciale et de ségrégation pratiqué par l’Afrique du Sud entre 1948 et 1994.

Les responsables du Département des relations internationales et de la coopération d’Afrique du Sud n’ont pas répondu à la demande de commentaires de VOA.

Favoriser la Chine en raison de sa puissance économique ?

Cobus van Staden, expert Chine-Afrique à l’Institut sud-africain des affaires internationales, a avancé que la plupart des pays africains ne veulent tout simplement pas être « provocateurs » sur la question du Xinjiang en raison de la puissance économique de la Chine, qui semble inattaquable pour de nombreux pays.

« Nous avons vu que la plupart des pays africains sont du côté de la Chine, y compris de nombreux pays à majorité musulmane », a-t-il déclaré. …… « Quant à savoir comment les partenaires africains voteront au Conseil des droits de l’homme (s’ils ont un droit de vote), je crains davantage qu’ils ne votent pour la Chine ».

Il y a une raison à cela, a-t-il poursuivi. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique, dépassant de loin l’Occident, et de nombreux pays africains « ont tendance à être sceptiques à l’égard des mouvements séparatistes et à se méfier de l’islam radical ou politique ». Le Nigeria, par exemple, est en proie à des groupes islamistes radicaux.

Une animosité plus large entre l’Occident et ses anciennes colonies ?

Des analystes mettent en avant les faits que certains pays africains peuvent comprendre la position de la Chine selon laquelle, comme le dit l’agence de presse officielle du Parti communiste chinois (PCC), Xinhua, « les questions liées aux frontières ne sont pas des questions ethniques, religieuses ou de droits de l’homme, mais des questions de lutte contre la violence et la sécession ».

Selon M. Van Staden, tout cela alimente une animosité plus large entre l’Occident et ses anciennes colonies sur le continent. De plus, certains pays africains considèrent qu’il est hypocrite pour l’Occident de soulever des questions relatives aux droits de l’homme telles que le Xinjiang, étant donné les violations des droits de l’homme commises par les États-Unis à Guantanamo Bay et ailleurs.

Les observateurs soulignent que les pays africains sont également réticents à s’aliéner la Chine, un bailleur de fonds par le biais de l’Initiative Belt and Road, ou Nouvelle route de la soie, et une source de prêts importants pour les infrastructures.

« Une campagne de marketing très puissante… », menée par le PCC

Pékin avait invité des diplomates africains dans la région du Xinjiang pour tenter de faire connaître sa position. L’agence de presse Xinhua a rapporté l’année dernière que les ambassadeurs de la République du Congo et du Soudan en Chine avaient défendu les efforts « antiterroristes » du gouvernement de Pékin, lors d’un discours à Pékin. L’ambassadeur du Burkina Faso en Chine, Adama Compaoré, aurait notifié que les « forces occidentales », « exagèrent » la question.

Zeenat Adam, directrice exécutive adjointe du Centre Afrique-Moyen-Orient de Johannesburg et ancienne diplomate sud-africaine, a révélé que ces visites organisées par la Chine constituaient « une campagne de marketing très puissante pour essayer d’amener les pays d’Afrique (…) à voir les choses du point de vue du gouvernement chinois et donc maintenir l’influence de la Chine en Afrique ».

« Cela garantit que leurs investissements et leur commerce en Afrique sont sans entrave et incontestables. Les investissements de la Chine sont lucratifs non seulement pour l’Afrique du Sud mais aussi pour toute la région africaine et cela influence la mesure dans laquelle l’un de ces gouvernements remet en question les politiques musulmanes de la superpuissance chinoise », a-t-elle ajouté.

Les partisans musulmans en Chine

Bradley Jardine, analyste politique spécialiste de la Chine, affirme que l’Égypte est l’un des pays africains musulmans qui ont soutenu la Chine sur la question des Ouïghours. Bradley Jardine a récemment publié une étude sur la campagne mondiale de la Chine contre les Ouïghours pour le Wilson Center, un groupe de réflexion américain.

« Le monde musulman dans son ensemble est une région très diverse avec des intérêts stratégiques très divers. Il y a beaucoup d’intérêts économiques en jeu, notamment pour des acteurs comme l’Égypte, qui a détenu des centaines d’étudiants ouïghours et les a rapatriés en Chine en 2017 », a-t-il affirmé.

Les recherches de Bradley Jardine montrent que plus de 1 500 Ouïghours à l’étranger ont été détenus ou extradés, dont beaucoup en provenance de l’Afrique du Nord.

Carine Kaneza Nantulya, directrice du plaidoyer pour l’Afrique à Human Rights Watch, constate une légère baisse du nombre de déclarations conjointes avec la Chine sur le Xinjiang. « Le nombre de signataires n’a pas seulement stagné, mais a en fait récemment diminué », a-t-elle affirmé.

« De nombreux autres pays africains se sont abstenus et ont refusé de se joindre au récit de confrontation de la Chine », a-t-elle relaté. Elle faisait référence au Swaziland et au Liberia, qui se sont joints à d’autres pays pour condamner la politique de la Chine au Xinjiang.

Rédacteur Jean-Baptiste Adrien-Clotaire

Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.