La puissance émotionnelle et rassembleuse des fêtes traditionnelles ne pouvait qu’intéresser le marketing. De plus en plus d’entreprises tentent d’associer leur image à une fête comme Noël. Pourquoi ? Quels risques prennent-elles en agissant de la sorte ?
Les grandes fêtes, qu’elles soient religieuses ou culturelles, occupent une place au cœur de nos vies. Pourtant, ces célébrations, autrefois centrées sur des valeurs symboliques ou spirituelles, sont aujourd’hui de plus en plus liées à la consommation de produits devenus emblématiques.
Qui, désormais, n’associe pas Noël à Mariah Carey ? Son tube All I Want for Christmas Is You est devenu un incontournable du mois de décembre, à tel point que le magazine Billboard a estimé qu’en 2021, Sony avait gagné environ 2,95 millions de dollars grâce à ce seul titre.
Ce chiffre illustre bien l’ampleur de la commercialisation de certaines fêtes collectives. Comment en sommes-nous arrivés là ? Par quels mécanismes les marques ont-elles transformé les célébrations collectives ? Quels risques prennent-elles ?
Quand fêtes traditionnelles et capitalisme se rencontrent
Les grandes fêtes, qu’elles soient religieuses ou culturelles, sont de plus en plus influencées par des stratégies marketing d’entreprises qui cherchent à profiter de leur popularité et de leur symbolique. En intégrant des produits lors des rituels liés à ces fêtes : qu’il s’agisse des bûches glacées de Noël chez Picard, du calendrier de l’Avent Bonne Maman ou des M&M’s personnalisés pour la Saint-Valentin , les marques cherchent à créer un attachement symbolique et émotionnel avec les consommateurs.
Ces pratiques visent à transformer de simples objets en symboles iconiques, comme l’a démontré la théorie du transfert de signification culturelle. Par exemple, en faisant de leur emblématique lapin doré un incontournable des célébrations de Pâques, Lindt se voit associé aux valeurs de cette fête, soit la joie et le renouveau. Cela permet à la marque de se positionner comme un symbole de plaisir et de célébration festive, s’ancrant ainsi dans l’imaginaire collectif.
Des marques au cœur de la culture populaire
Cette transformation de produits en symboles renforce la perception des marques comme acteurs centraux de la culture populaire. De plus, ces rituels, qui relient souvent le passé et le présent, génèrent un sentiment de nostalgie et de communauté. Ainsi, ils deviennent aussi des outils puissants pour le marketing, comme le montre leur usage massif dans les campagnes marketing de Coca-Cola en période de Noël. Cependant, cette commercialisation modifie aussi le sens des célébrations elles-mêmes. Lorsqu’une fête est associée à des produits ou des marques, sa dimension collective et symbolique peut être éclipsée.
Cette commercialisation grandissante change en partie la signification des fêtes collectives, en y intégrant de nouveaux rituels axés sur la consommation. Pour de nombreuses personnes, la consommation de certains produits, comme le café de Noël chez Starbucks ou les bonbons Halloween de Haribo, fait désormais partie intégrante du plaisir associé aux fêtes.
Les marketeurs influencent non seulement le lieu et les produits liés aux rituels de consommation, mais aussi la temporalité de ces rituels. Par exemple, les offres saisonnières de Noël sont affichées bien avant le jour même et beaucoup de consommateurs attendent avec impatience les produits saisonniers exclusifs à la période.
Ainsi, un produit comme le Pumpkin Spice Latte offert par Starbucks en période d’Halloween participe à la création de nouveaux rituels. En effet, les fêtes associées à des produits spécifiques créent des rituels hybrides, combinant traditions anciennes et nouvelles pratiques commerciales. Si ces rituels sont souvent perçus comme modernes et attrayants, ils ont tendance à diluer les significations originelles des fêtes.
Une appropriation sans limites ?
La transformation des fêtes collectives par certaines marques ne date pas d’hier : l’entreprise de cartes de vœux Hallmark a joué un rôle central dans la création de cartes personnalisées au début du XXe siècle et en a fait une composante essentielle de la Saint-Valentin. Mais certaines entreprises vont désormais plus loin et tentent (en vain) de transformer ces célébrations en marques déposées.
En 2021, Mariah Carey, surnommée la « Reine de Noël », a tenté de faire de ce titre une marque déposée. Cette tentative de s’approprier légalement une partie de Noël a suscité un rejet immédiat, par le grand public mais aussi par d’autres artistes. Elizabeth Chan, surnommée elle aussi « Reine de Noël » par The New Yorker en 2018 pour ses albums de Noël, a publiquement critiqué Mariah Carey pour avoir tenté de monétiser Noël. Elizabeth Chan a même intenté un recours juridique pour bloquer la demande de dépôt de Mariah Carey, avançant que Noël « est destiné à être partagé, pas à être possédé ».
Plus tôt, en 2013, Disney avait tenté de déposer le nom « Día de los Muertos » (le Jour des morts) en vue d’accompagner la sortie de son film Coco. Disney espérait ainsi sécuriser les droits pour cette fête mexicaine, ancrée dans des traditions spirituelles et familiales, pour des produits dérivés comme des confitures, des jus de fruits, des jouets, ou encore des vêtements.
Mais les consommateurs ont vivement protesté sur les réseaux sociaux, critiquant Disney pour sa volonté de commercialiser leur patrimoine culturel. Cette volonté de déposer comme marque une fête étrangère par Disney a été perçue comme une tentative d’effacement des significations spirituelles et communautaires de cette fête au profit d’une logique purement capitaliste.
Préserver l’essence des fêtes
On le voit, l’intersection entre tradition et commercialisation pose ainsi une question centrale : comment préserver l’essence collective des grandes fêtes tout en permettant leur adaptation à une société de consommation globalisée ?
Il a été démontré que la focalisation sur les aspects matériels des célébrations de Noël peut diminuer le bien-être des individus, alors que les activités familiales et spirituelles favorisent une meilleure satisfaction personnelle. Pourtant, les consommateurs perçoivent les produits offerts en période de fête comme authentiques tant qu’ils restent alignés avec les valeurs qu’ils associent avec la célébration. Il s’agit non pas de posséder ces fêtes, mais de les célébrer, en reconnaissant leur rôle central dans la culture collective.
La frontière entre une participation respectueuse et une commercialisation pure reste souvent floue. Certaines marques, comme Coca-Cola à Noël ou Hallmark à la Saint-Valentin, illustrent bien cette tension. Bien que leurs initiatives soient devenues emblématiques, elles soulèvent également des questions sur l’équilibre entre la préservation des valeurs culturelles et l’appropriation à des fins commerciales. Les marques doivent naviguer prudemment entre enrichissement et appropriation, en veillant à ne pas effacer les significations symboliques qui font l’âme de ces célébrations.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Benjamin Boeuf : Professeur en marketing, IESEG School of Management et LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
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