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Histoire. L’action remarquable d’une femme au cours de la Révolution culturelle

CHINE ANCIENNE > Histoire

Il y a plus de 20 ans, Zhu Renxiu, l’oncle du pianiste Fu Cong (1934-2020), m’a parlé de l’action remarquable d’une femme. Après de longues recherches, j’ai fini par localiser la maison de cette femme dans une modeste ruelle de Shanghai. Je lui ai demandé sincèrement de partager son histoire. Elle m’a répondu : « Si vous me promettez de ne pas révéler mon nom, je parlerai ». J’ai accepté et c’est ainsi que je peux la partager à travers cet article.

Elle n’avait aucun lien personnel avec le célèbre traducteur Fu Lei (1908-1966), le père de Fu Cong, mais elle avait grandi en lisant ses traductions et l’avait admiré à travers ses livres. Elle aimait également jouer du piano et avait assisté à certaines de ses représentations.


Début septembre 1966, alors était au cours de piano avec son professeur, la fille de ce dernier, étudiante au conservatoire de musique de Shanghai, lui a rapporté une nouvelle bouleversante : « Fu Lei et sa femme se sont tous deux suicidés ». Cette nouvelle l’a profondément troublée. Plus tard, elle a appris que « la famille Fu avait été classée dans les " Cinq catégories noires " et que, puisqu’ils s’étaient suicidés, leurs cendres ne pouvaient pas être conservées ». Ces rumeurs l’ont tenue éveillée toute la nuit : elle était agitée et incapable de dormir.

Une décision courageuse dans une période troublée

Un sentiment de justice et d’indignation face aux malheurs de la famille Fu l’a poussée à entreprendre une série d’actions secrètes, à tel point que même ses parents n’en n’ont jamais rien su.

Elle s’est présentée à l’International Funeral Home, prétendant être la « fille adoptive » de Fu Lei, et a demandé avec insistance l’autorisation de conserver les cendres du couple. Sa sincérité a fini par émouvoir le personnel. Elle a obtenu l’adresse de l’oncle de Fu Cong dans le registre du funérarium. Avec son aide, elle a placé les cendres dans un grand sac en plastique et les a transférées au cimetière de Yong’an pour les conserver. Pour éviter tout incident, elle a étiqueté l’urne sous le pseudonyme de Fu Lei, Fu Nuan.

Ainsi, bien que le célèbre traducteur et intellectuel soit mort injustement, une fidèle lectrice a risqué sa vie pour sauvegarder ses cendres.

Sa lettre au Premier ministre

Indignée, elle a écrit au Premier ministre Zhou Enlai (1898 – 1976), détaillant l’injustice de la mort de Fu Lei et de sa femme et déclarant que Fu Lei était un patriote. Elle n’a pas signé la lettre. À l’époque, elle n’avait que 27 ans et était considérée comme « sans emploi » : elle était l’assistante en peinture de son père et s’occupait de lui à la maison.

Élève brillante à la première école secondaire pour filles de Shanghai, elle était promise à un bel avenir. Cependant, lors du mouvement anti-droitier de 1958, son école n’a pas atteint son quota d’identification des « droitiers ». Une enseignante a été étiquetée comme « droitière », mais ses prétendues « remarques droitières » n’étant pas suffisantes, les autorités ont fait pression sur elle, la proche collaboratrice de l’enseignante, pour qu’elle dénonce l’enseignante.

« La famille Fu avait été classée dans les " Cinq catégories noires " et que, puisqu’ils s’étaient suicidés, leurs cendres ne pouvaient pas être conservées ». (Image : wikimedia / Wcam / Domaine public)

Le prix à payer pour l’action remarquable d’une femme

Elle ne se doutait pas que sa lettre au premier ministre finirait entre les mains des factions rebelles du Bureau de la sécurité publique de Shanghai. Après l’envoi de sa lettre, elle a été immédiatement qualifiée de « contre-révolutionnaire » pour avoir pris la défense d’une « vieille dame de droite » : l’histoire survenue quelques années auparavant ayant été mise en avant.

Après une enquête approfondie, le Bureau a déterminé qu’elle avait agi seule. Ainsi, elle n’a donc pas été qualifiée de contre-révolutionnaire « active ». Néanmoins, elle a vécu dans l’ombre d’une « contre-révolutionnaire » pendant 12 longues années.

En 1972, au décès de son père, elle a été affectée à une équipe de production communautaire à l’âge de 33 ans. Le stigmate d’être une « contre-révolutionnaire » a consumé sa jeunesse et l’a empêchée de se trouver un époux. Ce n’est qu’en 1978, lorsque l’affaire Fu Lei a été réparée, qu’elle a pu sortir de l’ombre, mais elle avait déjà 39 ans.

J’ai publié un rapport intitulé She, a delicate woman (Elle, une femme délicate), qui raconte ses actions vertueuses. J’ai tenu ma promesse en n’utilisant que le mot « elle » tout au long de l’article.

Une héroïne modeste

Ce qui m’a encore plus émue, c’est qu’en dépit du fait qu’elle ait sacrifié son éducation, sa carrière et son mariage pour sa conscience, cette femme est restée réservée et humble face à la gratitude exprimée par la famille Fu. La famille Fu a souhaité trouver une occasion pour lui rendre sa gentillesse, mais elle a insisté disant : « Je n’ai rien à voir avec la famille Fu ! »

En octobre 1997, le deuxième fils de Fu Lei, Fu Min, est venu à Shanghai, espérant rencontrer cette femme qu’il n’avait jamais vue auparavant. Elle a accepté cette rencontre. Au moment où Fu Min a commencé à exprimer ses remerciements, elle l’a immédiatement arrêté.

J’étais présent le jour de cette rencontre et j’avais apporté mon appareil photo, espérant prendre une photo d’elle en compagnie de Fu Min et de son épouse. Mais elle a poliment refusé : elle ne m’a jamais autorisé à la prendre en photo. Au fil des ans, la seule demande qu’elle a acceptée a été de permettre que son nom soit rendu public, Jiang Xiaoyan.

Quant aux cendres de Fu Lei qu’elle avait pu préserver, elles ont été ramenées en 1979 au cimetière des Martyrs de la Révolution de Shanghai, après sa réhabilitation officielle.

En hommage à Fu Lei, le Prix Fu Lei a été créé par l’ambassade de France en Chine, en 2009. Ce prix récompense le travail de traducteurs et d’éditeurs d’œuvres francophones en langue chinoise.

Rédacteur Charlotte Clémence

Source : An Ordinary Woman’s Extraordinary Deeds During the Cultural Revolution
www.nspirement.com

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