Lu Hongen, chef d’orchestre de l’Orchestre symphonique de Shanghai, fut le premier intellectuel de grande notoriété à être exécuté publiquement pendant la Révolution culturelle. Le lendemain de son assassinat, le Bureau de la sécurité publique du Parti communiste chinois (PCC) alla voir sa femme et lui dit : « Vous devez payer 20 centimes ; c’est le coût de la balle qui a été utilisée pour tuer votre mari ! ».
Après l’exécution, personne n’osa aller chercher le corps de Lu Hongen ou organiser une cérémonie funéraire à son intention. Lors de la cérémonie commémorative organisée bien des années plus tard, le fils de Lu Hongen, Lu Yuwei, étouffé par les larmes, serrait une urne. La seule chose à l’intérieur était un fragment de la baguette de chef d’orchestre de son père.
Son crime ? Lu Hongen était trop honnête pour un régime totalitaire
Né en 1919 dans une famille catholique, Lu Hongen s’inscrit dès son plus jeune âge à l’école publique Xuhui, dirigée par des Français, puis est admis au conservatoire de musique de Shanghai en 1937. Il entre ensuite à l’Orchestre symphonique de Shanghai.
Caractérisé par son attitude franche et joyeuse, Lu Hongen n’hésitait jamais à exprimer ses véritables opinions. Sa vivacité d’esprit l’amenait souvent à parler sans réserve. Sous le régime du PCC, une telle franchise était considérée comme un signe de mauvaise moralité et un manque de « sensibilité politique ».
Il proposa de préserver l’intégrité artistique et la liberté de pensée
Au cours de la « campagne anti-droitiste », menée entre 1957 et 1963, Lu Hongen préconisa un « système de responsabilité du chef d’orchestre » dans lequel le chef d’orchestre aiderait les musiciens et l’orchestre à conserver l’intégrité artistique. De cette manière, les « musiciens resteraient fidèles à chaque note de la partition ».
Lu Hongen proposa que « les cinq heures quotidiennes d’activité de l’orchestre soient contrôlées et organisées par le chef d’orchestre ». C’est ainsi que le système de responsabilité du chef d’orchestre fut mis en place. « Donnez-moi des droits humains et des droits financiers, et je serai certainement en mesure de diriger un bon orchestre symphonique. »
Lu Hongen défia héroïquement les tentatives du PCC de contrôler la littérature et les arts
Au départ, Lu Hongen voulait améliorer le niveau de performance et l’efficacité de l’orchestre, mais sa suggestion fut ensuite considérée comme un « rejet fou du contrôle exercé par le PCC sur les domaines de la littérature et des arts ».
Lors d’un séminaire d’étude avec l’orchestre symphonique, Lu Hongen déclara avec fermeté : « En ce qui concerne Hai Rui (personnage d’une pièce de théâtre intitulée Hai Rui démis de ses fonctions), qui fut effectivement un homme de l’histoire, il se retira dans les champs. De plus, il est également vrai que des centaines de milliers de personnes ordinaires le virent partir lorsqu’il fut démis de ses fonctions. Le gouvernement ne peut pas nier l’histoire, n’est-ce pas ? Si Yue Fei, Wen Tianxiang et d’autres héros nationaux sont tous niés et dissimulés, alors quel autre patrimoine historique et culturel le gouvernement va-t-il détruire encore ? ».
Le 28 mai 1966, alors que l’orchestre discutait de la critique du Village des Trois Familles, la famille de Lu Hongen le supplia de garder le silence pendant la réunion. Il promit de le faire. Cependant, dès le début de la réunion, il fut accusé d’être un « révisionniste ». Vraisemblablement accablé, Lu Hongen répondit avec défi : « Est-ce que vous raisonnez ?… Si ce que je dis est du " révisionnisme ", alors vive le révisionnisme ! ».
Tout le monde fut stupéfait, et soudain quelqu’un s’écria : « Lu Hongen…. contre-révolutionnaire ! ». Puis un autre cria : « Oui…. contre-révolutionnaire ! ». En un instant, une foule se précipita sur lui et le battit jusqu’à ce qu’il saigne de la tête, avant d’être remis au Bureau de la sécurité publique.
Un homme sans nom, humilié et brutalisé
Après un an de détention, Lu fut officiellement arrêté et perdit son identité, n’étant plus connu que par un numéro: 1598.
À l’intérieur de la prison, Lu Hongen, âgé de 48 ans, se lia d’amitié avec Liu Wenzhong, un prisonnier politique de 19 ans. Liu Wenzhong ne s’attendait pas à devenir le confident d’un musicien.
Liu Wenzhong décrira plus tard dans ses mémoires La route de la vie orageuse : « Le pauvre professeur Lu Hongen était traîné dehors pour être critiqué quasiment tous les mois. Une fois, il fut traîné au Conservatoire de musique de Shanghai pour être vilipendé, il fut battu et revint avec un nez meurtri et un visage tuméfié ».
Après deux ans d’emprisonnement, de coups et d’humiliations, Lu Hongen, qui était dans la fleur de l’âge, devint rapidement un vieil homme faible, son corps était maigre et hagard, ses cheveux devinrent blancs et tombèrent, son visage était terne et ses yeux étaient troubles.
Rédacteur Albert Thyme
Source : Lu Hongen: Heroic Conductor Silenced by the Cultural Revolution (Part 1)
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