Zheng He (1371 – 1433), l’explorateur maritime a dirigé à sept reprises une immense flotte de navires vers l’Ouest, chaque voyage durant deux à trois ans et comptant 27 000 à 28 000 participants. Un groupe aussi important de personnes aurait-il souffert de la faim au cours de ces longs voyages en mer ? Auraient-ils pu digérer les différents aliments disponibles dans les pays et régions traversées ? Pourquoi la flotte de Zheng He n’a-t-elle pas été confrontée à la menace de la septicémie, comme l’ont été celles de Colomb et de Magellan ? Peut-être toutes ces questions ont-elles tourbillonné dans votre esprit. Voici l’explication.
La nourriture de la flotte de Zheng He était soigneusement préparée par le palais avant son voyage
Dans le document de commande impériale accompagnant le Xiyang fanguo zhi (Annales des barbares de l’océan occidental), Gong Zhen, l’auteur du document qui a accompagné Zheng He lors de ses voyages, a écrit ce qui suit à propos de la préparation des aliments et des boissons pour la flotte de Zheng He lors de ses voyages : « Les fonctionnaires internes (eunuques) qui iront à l’océan occidental s’accompagneront des ravitaillements du sel, de la sauce de soja, du thé, de l’alcool, de l’huile, des bougies, etc. la quantité se calcule en fonction du nombre de personnes. Le 16ème jour du 10ème mois lunaire de la 19ème année de Yongle ».
Toutefois, ce récit du long voyage ne donne pas une image complète du régime alimentaire : selon ce document, le sel, la sauce de soja et l’huile sont des condiments de cuisine qui ajoutent de la saveur aux aliments, le thé et les alcools sont des boissons de loisir, ils ne sont pas des aliments pour remplir l’estomac et ne répondent pas aux besoins nutritionnels, par conséquent, on s’attend à ce qu’il y ait d’autres aliments. Une analyse détaillée des récits historiques révèle que la nourriture de Zheng He était soigneusement préparée avant son voyage.
La volaille et le bétail étaient élevés à bord, les légumes et le gingembre étaient cultivés à bord, et de grandes quantités d’eau douce étaient stockées à bord
La flotte de Zheng He a traversé des régions tropicales où la température était souvent supérieure à 20 °C, même pendant les mois d’hiver. Afin de se prémunir contre la détérioration des aliments, la plupart des aliments transportés à bord devaient être capables de résister au stockage, en plus de ceux qui devaient être consommés frais.
Au début de la dynastie Ming, les méthodes de transformation des aliments permettaient déjà de traiter les aliments à courte durée de conservation, comme le salage de la viande, du poisson et des légumes avec du sel, de la sauce, du vinaigre ou de la lie d’alcool de riz, le fumage ou le séchage au soleil, la fabrication de fruits séchés par exposition au soleil, ou la conservation en mode confit avec du miel ou du sucre, ou en les faisant rôtir sur le feu.
Par conséquent, la nourriture transportée à bord, outre le sel, la sauce de soja, le thé, les alcools et l’eau potable, devait comprendre des céréales non périssables telles que le riz et le blé, des haricots, des fruits et légumes transformés, de la viande, des produits de la mer, ainsi que du vinaigre, du miel, du sucre et d’autres assaisonnements.
Lorsque la flotte de Zheng He prenait la mer, outre les réserves de nourriture, les poissons pouvaient être pêchés localement et élevés dans la cale du navire, la volaille pouvait être élevée à bord, et les légumes pouvaient être cultivés à bord.
Selon un récit du voyageur nord-africain Ibn Battuta (25 février 1304-1369, Zheng He a navigué pour la première fois en 1405, et Battuta a peut-être vu une flotte antérieure) dans la première moitié du XIVe siècle, les équipages des navires chinois se rendant dans l’océan Indien ou en revenant à cette époque plantaient souvent des légumes et du gingembre dans des pots en bois pour fournir des ingrédients quotidiens.
Cependant, la production sur le navire étant limitée, il fallait se réapprovisionner en grande quantité de fruits et légumes frais, de viande et d’eau potable lors de l’embarquement, en particulier de l’eau douce, indispensable pour vivre à bord.
Comme écrit dans la préface des Annales des barbares de l’océan occidental : « le manque de nourriture et de boisson était la source de difficultés principales des matelots, et l’eau de mer était trop salée pour être consommée. Le transport de l’eau douce par bateau, l’entrepôt de stockage des navires de ravitaillement, la préparation des ravitaillements comme l’eau douce et les nourritures, constituaient les affaires urgentes et ne pouvaient pas être temporairement relâchées ».
Pendant le voyage, la flotte se nourrissait quotidiennement de poulet et de mouton, et occasionnellement de viande de cerf, de lapin et de chameau pour améliorer leurs conditions de vie
Ma Huan, l’auteur du livre Yingya Shenglan (récit du voyage achevé en 1416 et publié en 1451, est un livre sur les pays visités par les Chinois au cours des voyages au trésor de la dynastie Ming, menés par Zheng He). Il a accompagné Zheng He dans ses voyages vers l’Ouest et a servi d’interprète lors des quatrième, sixième et septième voyages.
Ce livre retrace le passage de la flotte de Zheng He à travers la péninsule de Chine méridionale (L’Indochine, péninsule indochinoise ou encore Asie du Sud-Est continentale Chiêm Thành, le Siam (thai : สยาม Sayam, l’ ancien nom de la Thaïlande.), la péninsule malaise (Kesultanan Melayu Melaka), Java, l’île de Sumatra (Sumatra, Palembang, Aru, Nakur, Lide, Lambri), Sri Lanka (ex-Ceylan), le Sous-continent indien (Quilon, forme européanisée de Kollam), Cochin (Inde), Kochi, Kozhikode (Inde), (Bengale), L’archipel des Maldives (Il s’agit des îles Maldives et Laccadives dans l’océan Indien) et la péninsule arabique (Dhofar, Aden, La Mecque, Ormuz).
Dans cet ouvrage, on trouve la géographie, le climat, la religion, les coutumes et les produits de ces 20 endroits. La flotte de Zheng He a eu la chance de découvrir une grande variété d’aliments provenant de différents pays.
Les féculents consommés en bouillie ou cuits à la vapeur par la flotte de Zheng He : riz, blé, haricots, millet et sétaire
Le riz et le blé étaient produits dans de nombreux endroits traversés par Zheng He, tels que la péninsule centrale du Sud, Java, Sumatra et la péninsule indienne, mais ces régions tropicales n’avaient pas de blé ni d’orge. La péninsule arabique produisait également du riz et du blé, et bien que du blé ait été vendu à Kozhikode (ancien pays au Sud-Ouest de l’Inde) et à Ormuz (l’entrée du golfe Persique sur l’île d’Ormuz), il n’y était pas cultivé.
Dans certaines parties des régions traversées par la flotte, il n’y avait ni riz ni blé. Par exemple, les champs de Sultanat de Malacca (pays de l’Asie du Sud-Est, au sud de la Malaisie aujourd’hui) étaient si pauvres qu’ils utilisaient du sagou (fécule extraite de la pulpe du tronc de sagoutier) pour cuisiner. Les Maldives, un archipel de récifs coralliens dans la mer, étaient encore plus stériles et avaient des difficultés d’irrigation, ses habitants ne connaissaient pas le riz ni le blé. L’équipage risquait de souffrir à l’arrivée dans ces zones.
Les protéines animales consommées par la flotte Zheng He
Les principales sources de protéines animales pour la flotte étaient le bétail, la volaille, le poisson et le fromage. Les régions décrites par Ma Huan (l’auteur du récit de voyage) étaient toutes situées sur le littoral ou sur les rives des rivières qui remontaient la côte, et les habitants s’adonnaient généralement à la pêche. Les Chinois consommaient généralement de la viande, principalement du porc et du poulet, tandis que les musulmans s’abstenaient de manger du porc et les bouddhistes (Ceylan, actuellement Sri Lanka), Quilon (ville en Inde), Cochin (ville en Inde) et Kozhikode (au Sud-Ouest de l’Inde)) vénéraient les éléphants et les vaches et s’abstenaient de manger de la viande de bœuf.
Les endroits visités par la flotte de Zheng He, à l’exception du centre de la péninsule du Sud, de la péninsule indienne et de Ceylan, étaient majoritairement musulmans et ne mangeaient donc qu’une partie de la viande d’élevage, abandonnant les porcs et les vaches au profit des poulets et des moutons.
On ne trouve des traces de porcs qu’à Champa (zone centrale du Vietnam moderne), Nakur (au Nord-Ouest de Sumatra), Bengale, Java et Palembang où vivaient les Chinois, mais Kozhikode a la particularité d’avoir des cerfs et des lapins, Zufar (Dhofar aujourd’hui au sud du sultanat d’Oman, un ancien royaume qui a établi les relations diplomatiques avec la dynastie Ming en 1421) disposait de la viande de chameau. Les produits laitiers et les fromages étaient moins populaires et ne se trouvaient qu’à Sumatra, Ceylan et Kozhikode.
Les recettes de la flotte de Zheng He comprenaient une grande variété de légumes et un large éventail de fruits qui constituaient une riche source de vitamine C
Les récits de voyage de Ma Huan portent sur la partie alimentaire et font ressortir majoritairement les variétés de légumes et de fruits. On distingue trois grandes catégories : les légumes et fruits faciles à stocker tels que les courges cireuses, concombres, luffas, courgettes, calebasses, aubergines, radis et carottes, tous stockables et vraisemblablement les plats principaux apportés à bord, les plantes aromatiques comme les ciboules, le gingembre, l’ail, la coriandre, les ciboules de Chine et les oignons de Chine, qui servaient à assaisonner ou à cuisiner.
En ce qui concerne la dernière catégorie : les légumes-feuilles, qui constituent une part importante du régime alimentaire des Chinois, la péninsule indochinoise devait en produire une grande variété, mais comment se fait-il qu’un seul type de moutarde brune soit mentionné dans les récits de voyage de Ma Huan ?
C’est intéressant, peut-être parce que la moutarde brune est davantage produite dans la vallée du fleuve Yangtze et dans les provinces méridionales de Chine, et que Ma Huan, originaire de la région du sud de la Chine, la connaissait bien, non seulement pour la consommer fraîche, mais aussi pour la faire mariner pour produire de la choucroute chinoise, la rouge neige (feuilles de moutarde brune marinée avec les tiges) et la moutarde séchée (prenant les tiges et les feuilles des espèces de moutarde, marinées et séchées avec du sel). D’autres légumes-feuilles ne sont pas encore disponibles pour la transformation alimentaire.
À Java, dans la péninsule malaise et dans la péninsule indienne, les principaux fruits sont la noix de coco, la banane, la canne à sucre et la pastèque, mais il existe également des spécialités tropicales telles que le mangoustan, le langsat, le durian, le jaquier et la mangue.
Les descriptions détaillées et réalistes de ces fruits par Ma Huan, qui ne sont que familiers dans les régions tempérées, sont vives en couleur et en saveur. Ces fruits sont encore abondamment consommés aujourd’hui et il note que dans ces régions, il n’y a « ni pêches ni prunes ».
Le climat aride et désertique de la péninsule arabique produit d’autres fruits, principalement des grenades, des pommes, des pastèques et des melons, ainsi que des dattes et des raisins secs séchés au soleil.
Les « fruits » dont parle Ma Huan ne sont pas seulement des fruits, mais aussi des graines, des pignons de pin, des amandes et des noix. Ces oléagineux sont produits dans la péninsule arabique et apportent des protéines et des graisses, avec une valeur nutritionnelle différente de celle des fruits, qui apportent de la vitamine C et des fibres.
En chemin, l’équipage a trouvé de l’aréquier et de l’alcool. Au Siam (Thaïlande), en Sultanat de Malacca (au sud de Malaisie), à Bengale, à Kozhikode (Inde), à Sri Lanka (ex-Ceylan) et dans l’archipel des Maldives, l’alcool est produit à partir de noix de coco et de riz, mais pas dans la péninsule arabique, où l’alcool est interdit. En ce qui concerne les condiments, Ormuz produit du sel gemme, Ceylan et Kozhikode du sucre à partir de noix de coco, et il n’est pas mentionné de vinaigre ni de thé sur le chemin.
La nourriture de la flotte de Zheng He était une fusion de saveurs « orientales » et « occidentales », favorisant l’échange de cuisines orientales et occidentales
La flotte de Zheng He comptait un grand nombre de personnes. Superviser la préparation de la nourriture et des boissons, déployer la main-d’œuvre pour le service alimentaire, s’approvisionner et conserver la nourriture fraîche achetée à quai et leur stockage, tous ces gestes nécessitaient un gigantesque travail de management. De plus, fournir de la nourriture pour maintenir en bonne santé les dizaines de milliers de membres d’équipage afin qu’ils puissent effectuer les sept longs voyages représentait un énorme défi.
La plupart des denrées alimentaires en provenance des pays traversés par Zheng He étaient des produits locaux, alors que Sumatra, Kozhikode et Cochin, dans le sud-ouest de la péninsule indienne, et Ormuz, à l’embouchure du golfe Persique, étaient des ports commerciaux importants sur la route reliant l’Est et l’Ouest, où les commerces étaient florissants et les marchandises étrangères disponibles, ce qui ajoutait à la variété des denrées alimentaires.
La production et la culture des aliments dans chaque région étant influencées par les conditions naturelles comme le climat, le sol et le terrain, ainsi que par des facteurs externes tels que la religion, les coutumes, le commerce et l’économie, la flotte de Zheng He a choisi et sélectionné les aliments en se référant à ses habitudes alimentaires d’origine. Dans l’ensemble, le voyage a permis de découvrir certains des aliments familiers de la flotte, ainsi que les saveurs exotiques de l’Orient et de l’Occident, contribuant ainsi aux échanges culinaires sous la dynastie Ming.
Rédacteur Jessica Wang
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.