La Chine ancienne a inventé les quatre grandes inventions, mais saviez-vous que la cryptographie chinoise était également très avancée ? Un célèbre général de la dynastie Ming (1368-1644) a inventé, à des fins militaires, une cryptographie basée sur la grammaire chinoise ainsi que les huit intonations d’un dialecte du Fujian. Il s’avère qu’il s’agit presque de la cryptographie la plus difficile à déchiffrer au monde, non seulement par leurs ennemis, les pirates envahisseurs japonais, mais aussi tous les Chinois qui ne parlent pas ce dialecte. Décodons ensemble.
L’histoire de la cryptographie en Chine
La Chine a été le premier pays au monde à utiliser le chiffrement du message. Indispensable pour la sécurité du renseignement, les espions modernes doivent maîtriser au moins une technique cryptographique. La cryptographie classique s’intéresse à l’écriture et à la transmission confidentielles d’informations, ainsi qu’aux méthodes de décryptage correspondantes. « La cryptographie consiste à savoir comment communiquer en présence de l’ennemi », a expliqué le célèbre cryptographe Ronald Levister.
Il semble que le premier pays au monde à utiliser le chiffrement fut la Chine. Selon le Liu Tao ou les Six Arcanes stratégiques (六韜), un traité militaire chinois de la période des Royaumes combattants (Ve siècle av. J.-C. à 221 av. J.-C.) dont la rédaction est attribuée à Jiang Ziya (1128 - 1015 av. J.-C.), le premier chiffrement militaire - Yin Fu (陰符, message chiffré)- fut inventé par Jiang Ziya, conseiller des rois Wen et Wu de la dynastie Zhou il y a 3 000 ans. Jiang Ziya conseilla au roi Wu d’utiliser 8 bandes de bois ou de bambou de différentes longueurs pour transmettre différents messages militaires.
Si un message plus riche devait être transmis, il devait être fractionné avant d’être envoyé, c’est ce que Jiang Ziya nomma Yin Shu (陰書, message chiffré fractionné). Le message secret à transmettre était d’abord écrit sur un support en lamelles de bambou, puis ces lamelles étaient fractionnées, désorganisées et divisées en trois lots, dont chacun était remis au général du roi par l’intermédiaire d’un correspondant. Lorsque le général recevait au complet les lamelles de bambou, il les rassemblait selon l’ordre original et pouvait ainsi voir le message complet qui lui avait été transmis. Cette méthode pouvait avoir pour conséquence que les généraux du roi ne recevaient pas le message complet, mais elle permettait également d’éviter que l’information ne tombe complètement entre les mains de l’ennemi.
L’invention de Qi Jiguang : une cryptographie impossible à déchiffrer par les non-sinophones
Sous la dynastie Ming, le général Qi Jiguang a inventé un système de message chiffré digne de mission impossible pour les non-sinophones, les pirates japonais qui ont envahi la Chine sous la dynastie Ming, et un vrai casse-tête même pour les Chinois qui ne maitrisent pas le dialecte de Fuzhou, ville côtière à l’est de la Chine. Il s’agit d’une méthode basée sur le système du fanqie (反切), une ancienne méthode de transcription phonétique des sinogrammes, propre à la grammaire chinoise traditionnelle.
La méthode fanqie a vu le jour en Chine pendant la dynastie des Han de l’Est avec l’introduction du bouddhisme en Chine, et certains chercheurs pensent que cette méthode vient de l’Inde. Elle consiste à prendre l’initiale d’un caractère chinois et la finale d’un autre caractère chinois pour transcrire la prononciation d’un troisième caractère chinois. La cryptographie inventée par Qi Jiguang utilise la même méthode, associée de plus aux huit tons du dialecte de Fuzhou, lieu où il dirigeait les batailles contre les Japonais.
Qi Jiguang a également compilé deux poèmes pour servir de livres de code. L’un d’eux se lit comme suit :
Liǔ biān qiú qì dī,
bō tā zhēng rì shí.
Yīng méng yǔ chū xǐ,
dǎ zhǎng yǔ jūn zhī.
« Les saules en bas veulent respirer de l’air, quand les vagues peinent à se développer en présence de la lumière du jour. La paruline jaune parle avec joie, et elle est heureuse de pouvoir vous le dire. »
(柳邊求氣低,波他爭日時。鶯蒙語出喜,打掌與君知。)
Et l’autre poème se lit ainsi :
Chūn huā xiāng,
qiū shān kāi,
jiā bīn huān gē xū jīn bēi,
gū dēng guāng huī shāo yín gāng.
Zhī dōng jiāo,
guò xī qiáo,
jī shēng cuī chū tiān,
qí méi wāi zhē gōu.
« Les fleurs de printemps sont parfumées, les collines d’automne sont ouvertes, les invités doivent chanter des chansons en tenant une coupe en or, et la lumière d’une lampe solitaire brûle une jarre d’argent. Je me dirige vers les faubourgs de l’est, en traversant le pont de l’ouest, le son du coq presse le lever du soleil, le prunier de forme curieuse couvre le fossé. »
(春花香,秋山開,嘉賓歡歌須金盃,孤燈光輝燒銀缸。之東郊,過西橋,雞聲催初天,奇梅歪遮溝。)
Comment utiliser la cryptographie fanqie de Qi Jiguang
Ces deux poèmes renferment tous les secrets de la cryptographie fanqie. Les 20 premières initiales du premier poème sont numérotées de 1 à 20, les 36 finales du second sont numérotées de 1 à 36, et les huit tons du dialecte de Fuzhou, la ville que Qi Jiguang garde, sont numérotés de 1 à 8, formant ainsi un système de chiffrage très complet et unique au monde.
Par exemple, si le renseignement contient une chaîne de chiffres « 5-25-2 », nous pouvons voir dans les poèmes que l’initiale est 5, ce qui correspond au sinogramme Dī (低), et que la finale est 25, ce qui correspond au sinogramme Xī (西), l’initiale et la finale des deux sinogrammes se rejoignent pour devenir Di, et le ton est le 2ème, ce qui nous permet de dire que le renseignement est Dí, ce qui correspond au sinogramme « Ennemi » (敵).
Qi Jiguang a également écrit un livre spécial intitulé Guide pratique de la signification des caractères de huit tons (八音字義便覽), qui a servi de manuel pour la formation des officiers de renseignement et des soldats chargés de la communication.
La vie de Qi Jiguang, héro national
Qi Jiguang, originaire de Shandong à l’est de la Chine, était un célèbre général de la dynastie Ming contre les envahisseurs Japonais, un militaire exceptionnel, un calligraphe, un poète et un héros national.
Pendant plus de dix ans, Qi Jiguang a combattu les envahisseurs japonais sur la côte sud-est de la Chine, pacifiant l’invasion japonaise qui sévissait depuis de nombreuses années et assurant la sécurité des vies et des biens de la population le long de la côte. Plus tard, il a combattu les envahisseurs mongols dans le nord pendant plus de dix ans, défendant la frontière septentrionale.
Par ailleurs, Qi Jiguang était un expert exceptionnel en matière d’armement et d’ingénierie militaire. Il a adapté et inventé diverses armes à poudre, il a construit de grands et de petits navires de guerre et des chars, ce qui a permis à l’armée maritime des Ming d’être mieux équipée que l’ennemi sur les voies navigables. Sa construction créative de plates-formes creuses surveillant l’ennemi sur la Grande Muraille, pouvait être utilisée pour l’attaque et la défense, est un exemple très caractéristique d’ingénierie militaire.
En 1560, alors qu’il était au Zhejiang, Qi Jiguang a rédigé ses méthodes d’entraînement militaire dans les 18 volumes du Nouveau livre de la discipline et de la performance militaire (紀效新書) qu’il publia en personne pour la première fois en 1562. Au cours de ses préparatifs pour la défense de Jizhou, une ville près de Pékin, Qi Jiguang a également compilé les neuf volumes de Chronique réelle de l’entraînement militaire (練兵實紀) et les six volumes de Chronique diverse de l’entraînement militaire (練兵雜記), qui résument son expérience de l’entraînement militaire et de la défense des frontières à Jizhou. Ils ont été publiés pour la première fois en 1571.
Rédacteur Simone Yang
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