En 1949, alors que le Parti communiste chinois (PCC) s’apprêtait à prendre le contrôle de la Chine continentale et que le gouvernement nationaliste se repliait à Taïwan, de nombreux intellectuels influents se trouvèrent à la croisée des chemins : rester ou partir. La majorité d’entre eux choisit de rester, se préparant à construire une « nouvelle Chine » avec le PCC. Qian Mu (1895-1990), quant à lui, fit un choix différent : il consacra sa vie à l’étude, à la recherche et à la renaissance des traditions chinoises.
Qian Mu décida de quitter le continent et de s’installer à Hong Kong, qui était encore sous domination britannique à l’époque.
Malgré les appels de ses collègues et de ses confrères respectés, à rester pour aider à façonner la nouvelle Chine, Qian Mu émit des réserves. Il voyait dans la rhétorique et les politiques des nouveaux dirigeants communistes un mépris de la liberté et de la diversité intellectuelles qu’il appréciait au plus haut point. Sa décision de partir était motivée par sa conviction que le régime à venir ne créerait pas un environnement dans lequel il pourrait s’épanouir ou apporter une contribution significative. Il confia donc sa famille au commandant de la défense de la ville de Suzhou et s’embarqua pour Hong Kong en octobre 1949, entamant ainsi un nouveau chapitre de sa vie.
Un érudit autodidacte
Qian Mu fut l’un des quatre grands historiens de la Chine moderne. Né le 30 juillet 1895 à Wuxi, dans la province de Jiangsu, dans une famille d’érudits, il fit preuve dès son plus jeune âge d’une mémoire extraordinaire et d’un grand talent pour les études. En raison du déclenchement de la Révolution Xinhai en 1911, l’école qu’il fréquentait fut fermée, ce qui mit fin à son éducation formelle. Néanmoins, il continua à apprendre de manière indépendante, en enseignant dans des écoles primaires pendant 10 ans, dans des collèges pendant 8 ans. Il devint un professeur respecté dans plusieurs universités.
Au cours de sa vie, Qian Mu fut professeur dans plusieurs institutions prestigieuses, dont l’Université de Pékin, l’Université de Tsinghua, l’Université de Yanjing, l’Université nationale associée du Sud-Ouest, l’Université de Wuhan et bien d’autres encore. Fervent défenseur de la culture chinoise traditionnelle, il a laissé une marque indélébile avec près d’une centaine d’ouvrages universitaires, totalisant environ 17 millions de mots. Parmi ces ouvrages importants figurent Le néoconfucianisme sous les dynasties Song et Ming, L’histoire académique de la Chine au cours des trois derniers siècles, Examiner le peuple chinois et la culture à travers l’histoire de la Chine et Une nouvelle biographie de la vie académique de Zhu Xi.
Gardien de la culture et des traditions chinoises
Alors que la Chine continentale tombait sous le joug communiste et que la culture traditionnelle chinoise était confrontée à des défis sans précédent, Hong Kong et Taïwan apparurent comme des havres de paix importants pour la préservation de ces traditions culturelles. Qian Mu s’imposa comme l’un des érudits les plus éminents de ces régions, œuvrant sans relâche à la transmission du riche héritage culturel de la Chine.
En 1950, Qian Mu fondait avec des amis le New Asia College à Hong Kong. Dans le journal de l’école, il précisa sa mission. Qian Mu écrivit ces propos : « La fondation de ce collège à l’automne 1949 a été inspirée par nos préoccupations concernant la destruction délibérée de notre culture nationale sur le continent par le Parti communiste chinois. Par conséquent, la promotion de la culture chinoise est l’objectif principal de notre éducation… Dans la lutte actuelle entre la démocratie et le totalitarisme, les jeunes Chinois doivent avoir une compréhension correcte pour éviter de s’égarer, ce qui compromettrait non seulement leur propre avenir, mais nuirait également à notre nation et à la paix dans le monde ».
Au début, le New Asia College était petit, avec seulement quelques douzaines d’étudiants, et seulement trois dans la première promotion. Cependant, grâce aux efforts constants de Qian Mu et de ses collègues, l’institution grandit en taille et en réputation. En 1963, sous les auspices du gouvernement colonial de Hong Kong, le New Asia College fusionna avec le Chung Chi College et l’United College pour former l’Université chinoise de Hong Kong, dont Qian Mu fut le premier vice-chancelier.
Par son dévouement à l’éducation et à la préservation de la culture, Qian Mu devint un fervent défenseur des traditions chinoises, contribuant de manière significative à la continuité et à la vitalité du patrimoine culturel chinois.
Rejeter le régime communiste
Le Parti communiste chinois, au cours de son ascension au pouvoir et dans les années qui suivirent, utilisa diverses stratégies politiques et outils idéologiques pour consolider son autorité et transformer la société. L’une de ces stratégies était le « Front uni », une tactique d’alliance ou de coalition utilisée par le PCC pour collaborer avec d’autres factions politiques, puis les absorber ou les affaiblir progressivement.
L’un des aspects essentiels de la réforme idéologique du PCC était un processus connu sous le nom de « réforme de la pensée » ou « remodelage idéologique ». Il s’agissait de vastes campagnes d’autocritique et de rééducation, visant non seulement les membres du PCC, mais aussi les intellectuels et d’autres segments de la société. Les individus étaient encouragés, souvent sous la pression, à critiquer leurs croyances et comportements passés, à s’aligner sur les doctrines du PCC et à exprimer leur loyauté envers le nouveau régime.
Le PCC promouvait le marxisme, le léninisme et le stalinisme comme fondements idéologiques de la nouvelle Chine. Ces idéologies d’origine occidentale constituaient une rupture, voire un rejet, des traditions chinoises culturelles et intellectuelles. Pour de nombreux intellectuels comme Qian Mu, le fait de reconnaître Marx, Lénine et Staline comme des « ascendants » idéologiques signifiait rompre les liens avec la tradition culturelle millénaire de la Chine.
Qian Mu fut invité à retourner sur le continent, mais il refusa. Il estimait que même s’il ne risquait pas de subir un châtiment physique, il devrait se soumettre à une transformation de sa pensée et de son identité qu’il jugeait insoutenable. En voyant des collègues respectés comme Feng Youlan et Zhu Guangqian subir une autocritique et une transformation idéologique, il estima qu’une telle voie le dépouillerait de sa dignité et de sa personnalité. Il ne voulait pas vivre sous un régime où il voyait les traditions de sa patrie subverties et interrompues.
Après avoir quitté le continent, Qian Mu resta un critique virulent de la mauvaise gestion du Parti communiste chinois. En 1957, il écrivit un article intitulé Historical Truth and the Business of Killing (Vérité historique et massacres de masse), dans lequel il déclara : « Mao Zedong a peut-être réglé ses comptes avec l’histoire et le peuple chinois, mais cela signifie-t-il que l’histoire et le peuple chinois ne régleront pas leurs comptes avec Mao Zedong ? … Tuer impunément, oser tuer et tuer en grand nombre n’a pas de légitimité historique. Si tuer acquiert une légitimité historique, il n’y aura plus d’humains, et les humains n’auront plus d’histoire … En appliquant des méthodes statistiques objectives pour vérifier l’histoire passée, … lequel des meurtriers de masse n’a pas été rattrapé par la vérité, à la fois avant et après sa mort ? ».
Par ses actes et ses paroles, Qian Mu resta un ardent défenseur de la culture chinoise et un critique intrépide du régime communiste, reflétant son attachement à la vérité, à la justice et à la préservation des traditions culturelles chinoises.
Rédacteur Albert Thyme
Source : Qian Mu: Guardian of Chinese Tradition in the Shadow of Communism (Part 1)
www.nspirement.com
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.