Pour les Chinois des temps anciens, la musique était le son le plus élégant et le plus beau, car elle permettait d’entrer en contact avec les dieux et offrait aux souverains la possibilité d’améliorer la moralité de leurs sujets. Parmi les instruments de musique chinois, les bianzhong ou cloches de bronze, apparus pour la première fois en Chine il y a plus de 2 000 ans, sont les plus surprenants pour les Occidentaux. Découvrons l’histoire légendaire de cet instrument ancien.
Les bianzhong vieux de plus de 3 500 ans
Les instruments de musique sont apparus pour la première fois en Chine sous la dynastie Shang (1570 av. J.-C.- 1045 av. J.-C.), avec l’apparition d’un instrument de percussion connu sous le nom de nao ou cymbale. Ces cymbales étaient tout d’abord individuelles, puis se sont progressivement formées en groupes de trois ou cinq cymbales de tailles différentes.
Sous la dynastie des Zhou (1046 av. J.-C.- 256 av. J.-C.), les musiciens ont fait évoluer les cymbales groupées en les suspendant sur des supports, puis ils ont modifié la forme des cymbales et augmenté leur nombre, créant ainsi les bianzhong.
Les bianzhong sont des cloches de tailles, de tonalités et de timbres différents, disposées de manière traversante dans l’ordre des tonalités et suspendues à un énorme cadre en bois. Ces cloches sont frappées à l’aide d’un maillet ou d’un long bâton en bois, en forme de T, pour produire une mélodie harmonieuse et agréable.
À la fin de la période des Royaumes combattants (476 av. J.-C. – 221 av. J.-C.) ou de la dynastie des Zhou, les bianzhong ont connu leur apogée. Un ensemble de bianzhong pouvait contenir une soixantaine de cloches de bronze, et la musique jouée était encore plus belle. Les bianzhong sont ainsi devenus un instrument de cérémonie, allant jusqu’à jouer un rôle politique et culturel important.
Plus tard, sous la dynastie des Han orientaux (25 av. J.-C. – 220 av. J.-C.), lorsque le bouddhisme a été introduit en Chine et que le taoïsme s’y est formé, la cloche a été dotée d’une nouvelle fonction : elle est devenue un instrument rituel accroché dans les temples bouddhistes et taoïstes, et ce, jusqu’à aujourd’hui.
Les bianzhong sont considérés comme le plus important des huit instruments classiques
Les Chinois de jadis utilisaient huit matériaux pour fabriquer différents instruments de musique : le lagenaria, l’argile, le cuir, le bois, la pierre et le jade, le métal, les cordes de soie et les tuyaux de bambou. En raison des différents matériaux utilisés, les sons produits par ces huit instruments de musique étaient distincts, d’où le nom de « huit sons ». Pendant une longue période de l’histoire chinoise, le bianzhong a été si important qu’il a été appelé le premier des huit sons, c’est-à-dire le plus important des huit instruments de musique classique.
Il s’agissait d’un instrument de cérémonie et de musique très estimé et utilisé par les anciens empereurs pour vénérer le ciel et la terre, les ancêtres, et pour recevoir les félicitations de leurs ministres à l’occasion du Nouvel An chinois ainsi que pendant le banquet *.
Dans la Chine ancienne, en fonction des occasions, les Chinois jouaient différentes musiques et chacun accomplissait des rituels en fonction de la musique, raison pour laquelle la Chine était connue sous le nom de « pays des rituels et de la musique ». Pour les Chinois anciens, la musique était un outil permettant d’entrer en contact avec les dieux et de promouvoir la moralité.
Les bianzhong du Marquis Yi de Zeng
Les bianzhong du Marquis Yi de Zeng (Zenghouyi) ont été mis au jour dans la tombe du Marquis Yi de Zeng qui a vécu il y a plus de 2 400 ans, pendant la période des Royaumes combattants (vers 475 – 221 av. J.-C.). Leur découverte a permis de réécrire l’histoire de la musique chinoise, de mettre en lumière les réalisations dans la musique chinoise ancienne tout en révélant l’immense richesse de la civilisation chinoise du bronze et de la culture Chu.
La communauté archéologique actuelle pense que les bianzhong sont apparus sous la dynastie des Zhou occidentaux. Mais en fait, la Chine possédait déjà des bianzhong sous la dynastie Shang. Les fouilles actuelles ont permis de découvrir des bianzhong de la dynastie Shang, qui étaient généralement groupés par trois ou cinq et n’avaient pas la même portée musicale que les bianzong de la dynastie Zhou.
Les bianzhong les plus grands et les mieux conservés que l’on trouve aujourd’hui sont ceux qui ont été mis au jour dans le tombeau du Marquis Yi de Zeng en 1978 dans la province de Hubei, avec un total de 65 cloches, accrochées sur trois niveaux, dont 19 cloches niu, 45 cloches yong et une cloche bo. Outre cet ensemble de cloches, d’autres instruments de musique ont également été mis au jour, notamment la cithare à cinq cordes et la cithare à dix cordes. En revanche, il n’y avait pas de cithare à sept cordes, la plus répandue par la suite.
La performance de cet ensemble de cloches est très surprenante, la mesure est tout à fait exacte et l’étendue totale atteint même cinq octaves, ce qui n’est que légèrement inférieur au piano moderne. Cela indique qu’il est très expressif et capable de jouer de nombreux styles de musique différents. De plus, il utilise le tempérament égal, ce qui en fait le premier instrument connu au monde à posséder les douze tons chromatiques.
Une technologie hors de portée
Tout d’abord, l’intonation, qui était très difficile à assurer à l’époque. La technologie moderne permet de couler les carillons et d’utiliser des appareils électroniques de mesure du son pour régler la fréquence de vibration des ondes sonores émises par l’instrument. Ensuite, à l’aide d’une meuleuse électrique, on peut ajuster l’épaisseur de la paroi de la cloche pour corriger le son.
Or, les cloches retrouvées dans la tombe du Marquis Yi de Zeng ont été fabriquées il y a plus de 2 400 ans, soit à une époque proche de celle où vivait Confucius. Le poids total de ces 65 cloches est de plusieurs tonnes. Comment les artisans de cette époque ont-ils pu polir et traiter ces cloches et calibrer leur tonalité avec précision ?
En outre, des protubérances ont été ajoutées à la face de la cloche, qui servent à accélérer la décroissance du son, sinon, lorsqu’on frappe à un rythme plus rapide, les échos de la cloche se rejoignent et interfèrent avec la mélodie. Il s’agit d’une conception très précise.
Il y a aussi la question de la tonalité de la cloche, qui est directement liée à la proportion d’alliage du bronze. Le cuivre pur est mou et ne peut pas être utilisé directement pour fabriquer des instruments de musique, il a un son terne. En revanche, l’ajout d’étain au bronze permet d’augmenter la dureté du matériau, mais l’ajout d’une trop grande quantité d’étain rendra le timbre de la cloche sec et non plus tendre et doux. Le rapport entre le cuivre, l’étain et le plomb dans cet ensemble de cloches est donc parfaitement équilibré pour que la cloche produise un son à la fois fort, tendre et doux.
Enfin, cet ensemble de cloches n’a pas seulement des sonorités précises, mais aussi des décorations extrêmement fines, ce qui montre que la technologie de fabrication et d’application des bronzes à cette époque avait déjà atteint le point de pure perfection et n’était pas inférieure au niveau technique d’aujourd’hui.
Une cloche pour deux types de son : une technologie perdue
La découverte la plus surprenante est que chaque cloche est comme deux tuiles qui s’emboîtent l’une avec l’autre et que sa surface présente de nombreuses protubérances. Ainsi, lorsqu’un musicien frappe deux parties différentes de la même cloche, deux sons différents sont produits sous l’action de fréquences de vibration différentes. Une fois émis, chaque son s’arrête immédiatement et les deux sons ne se superposent pas et n’interfèrent pas l’un avec l’autre, ce qui est une réalisation très rare et unique dans le domaine des instruments à percussion.
Ce phénomène de deux sons dans une seule cloche n’est consigné dans aucun document historique. Il n’existe aucune élaboration de ce type dans l’acoustique physique moderne, et aucune technologie similaire n’est utilisée dans la fabrication d’instruments de musique moderne. On peut considérer cette technologie de double tonalité comme la technologie essentielle des cloches avant la dynastie Qin (221 av. J.-C. – 206 av. J.-C.), mais elle s’est perdue après la dynastie Han (206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C).
Pendant la période de l’empereur Qianlong de la dynastie Qing (vers 1636 - 1912 ap. J.-C.), la famille impériale a également fait couler un ensemble de bianzhong de luxe en or, mais chaque cloche ne pouvait produire qu’un seul son. Aujourd’hui, sans la découverte archéologique de la tombe du Marquis Yi de Zeng, les gens ne croiraient peut-être pas que les anciens Chinois, il y a plus de 2 400 ans, possédaient de telles prouesses techniques. Cependant, aucun résultat archéologique ne permet d’affirmer si la technique de la bichromie a des origines plus anciennes.
Les bianzhong en France
En 2015, une usine de Wuhan a fabriqué une réplique des bianzhong du Marquis Yi de Zeng avant de l’expédier en France. Actuellement, la précieuse et rare réplique est conservée au Musikenfête, musée spectacle des musiques traditionnelles à Montoire-sur-le-Loir en France, où les curieux peuvent admirer ces merveilleuses cloches chinoise.
* Musique de cloche composée par Paul Chen, un disciple du Falun Dafa de Melbourne : Rites d’automne - Musique pour la grande cérémonie - Chapitre de la promotion de la vertu (秋礼 · 大典之乐 · 宣德之章).
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