Au temps de la dynastie Qing (1850-1876), sous le règne de Xianfeng et Tongzhi, vivait une femme connue pour sa piété filiale et pour son dévouement à sa belle-mère. Après une tragédie et un malentendu, elle fut accusée d’un crime horrible. Heureusement, grâce à la grande sagesse d’un magistrat du comté, son cas put être résolu.
De nos jours, il est très courant de placer nos aînés dans des maisons de retraite pour qu’ils soient pris en charge par d’autres. Pour comprendre l’importance que la piété filiale occupait dans la Chine antique, il faut comprendre l’école de pensée sur laquelle elle est fondée. Dans l’éthique confucéenne et bouddhiste chinoise, la piété filiale (chinois 孝, xiào) est une vertu qui se manifeste par le respect envers ses parents et ses aînés, y compris ses ancêtres.
De manière très générale, la piété filiale signifie que l’on doit être bon envers ses parents et en prendre soin, mais au-delà, cela implique que l’on doit bien se comporter avec ses parents au quotidien, et pas seulement à la maison, mais aussi en public, ce qui aura une influence positive à la fois sur l’ environnement familial et sur l’héritage de ses ancêtres vertueux. La piété filiale n’est pas seulement considérée comme une vertu essentielle dans la culture chinoise ou dans d’autres cultures d’Asie de l’Est, mais elle l’est aussi pour d’autres cultures plus anciennes du monde, où les besoins de la communauté et plus précisément ici de la famille, l’emportent sur les besoins parfois plus égoïstes de l’individu. Ainsi, l’histoire suivante s’est déroulée dans un contexte où les valeurs filiales étaient très répandues dans la société chinoise.
Une belle-mère qui ne supportait pas la honte
Une femme vertueuse prenait soin de sa belle-mère, balayant sa cour tous les matins et préparant ses repas. Cette femme était d’une grande sincérité et manifestait un cœur bienveillant envers sa belle-mère. Tous les matins, elle se rendait dans sa chambre et lui témoignait son respect. Elle mettait un bol d’eau fraîche sur la table pour que sa belle-mère puisse se laver, ainsi que deux œufs cuits. Elle faisait cela tous les jours. Un matin, comme à l’accoutumée, elle entra dans la chambre et remarqua une paire de chaussures d’homme sous le lit de sa belle-mère. Choquée, elle quitta doucement la pièce et referma la porte. La belle-mère, réalisant que sa belle-fille était entrée et avait vu les chaussures, ne put supporter la honte et se pendit.
Lorsque la nouvelle de la mort de la belle-mère se répandit, les autorités furent informées par le chef du village, qui accusa la jeune femme d’avoir assassiné sa belle-mère. Se sachant innocente la jeune femme pensa que si elle disait aux autorités ce qu’elle avait vu, elle pourrait prouver son innocence. Mais comme elle était très filiale, et ne voulait pas porter atteinte à la dignité de sa famille, de ses parents, et de ses ancêtres, elle décida de garder le silence et de ne pas révéler le scandale concernant sa belle-mère. En conséquence, elle fut accusée à tort et ne se défendit pas. Le magistrat du comté jugea l’affaire conformément à la loi et peu de temps après, la femme fut emprisonnée.
Une femme vertueuse prenait soin de sa belle-mère. (Image : Labour
et Tissage, peint par Chen Mei, Dynastie Qing (清朝,1644 - 1912) /
Musée national du Palais, Taipei / @CC BY 4.0)
Un magistrat consciencieux
Au bout d’un certain temps, il s’avéra que l’ancien magistrat fut remplacé par un nouveau qui était très respecté.
M. Zhang, le nouveau magistrat, pour se familiariser avec sa nouvelle situation, passa en revue certains des cas, y compris celui de la femme qui était accusée d’avoir assassiné sa belle-mère. Il sentit que quelque chose n’était pas clair et que les faits ne concordaient pas. Après avoir rendu visite à la femme dans sa cellule, et observé son expression calme et raffinée, il conclut : « Cette femme n’a pas l’air d’une criminelle capable de tuer sa belle-mère, peu importe dans quel sens on retourne cette affaire. »
M. Zhang interrogea la femme à plusieurs reprises; elle ne cessa de plaider coupable, disant : «Je suis responsable de mon manque de piété filiale et du crime qui en résulte. Pensez vous que je vaille la peine d’être défendue? Cher monsieur, tout ce que je demande, c’est une mort rapide.» Peu importe à quel point la femme essayait de le persuader, plus elle était convaincante, et plus M. Zhang croyait en son innocence : « Je n’arrive pas à résoudre ce mystère, car mon cœur et ma conscience me disent que tu es innocente. » Le magistrat décida d’aider cette femme à résoudre l’injustice dont elle était victime en raison de son caractère filial apparemment inébranlable.
Le magistrat mit en place une stratégie pour aider la femme, et élabora un plan. Dans son administration travaillait un huissier dont la femme était dure, déraisonnable, grossière et autoritaire. On la comparait souvent à un tigre. M. Zhang pensa que s’il pouvait utiliser ces faits à son avantage, son plan pourrait fonctionner. Il convoqua l’huissier et lui dit : « Il s’agit d’une affaire officielle dont je vous demande de vous occuper immédiatement. Prenez ma place, et allez dans le comté voisin. Mais d’abord, rentrez chez vous, changez-vous, et revenez vite prendre connaissance de votre mission. » Zhang savait qu’il ne serait pas facile à l’huissier de justice de rentrer chez lui et d’agir rapidement, compte tenu du tempérament de son épouse.
Un magistrat chinois au tribunal. (Image : Capture d’écran / YouTube)
Finalement, l’huissier réussit à revenir au bureau, après avoir changé sa tenue et fait face au tempérament de sa femme. M. Zhang, ayant auguré du résultat, dit à l’huissier sur un ton réprobateur : « Vous êtes resté chez vous bien longtemps et vous avez perdu trop de temps, retardant cette affaire importante. Ce retard est-il dû à votre épouse ? » L’huissier acquiesça d’un signe de tête et, dans l’instant qui suivit, M.Zhang, en tant que magistrat, ordonna la mise en garde à vue de cette redoutable femme, et fit en sorte qu’elle soit placée dans la même cellule que celle de la femme au cœur filial.
Bien que la femme de l’huissier fut cruelle, déraisonnable, grossière et autoritaire, elle était tout de même innocente. Ainsi, jour après jour, elle continuait à jurer et à protester contre l’injustice qui lui était faite. Elle hurla et pesta tellement qu’elle sema le trouble dans toute la prison, ne laissant un moment de répit à personne.
Un jour, la femme filiale, enfermée dans la même cellule que l’épouse de l’huissier, n’en pouvant plus, cria : « Qui n’a pas connu d’injustice sur cette Terre ! Même si je n’ai commis aucun crime, je fais toujours face à cette grave accusation et à cet immense injustice, sans dire un mot. En comparaison, votre affaire est si insignifiante, reposez-vous un moment et arrêtez de jurer ! » M. Zhang avait placé quelqu’un sous la fenêtre à l’extérieur de la cellule pour écouter la conversation entre les deux femmes, et lui faire un rapport... Il fut très heureux du contenu de la conversation. Aussitôt après, il convoqua une audience pour les deux femmes et demanda à la femme filiale ce que signifiait sa déclaration plus tôt. La femme sachant qu’elle ne pouvait plus cacher les faits, expliqua au magistrat les circonstances réelles. M. Zhang comprit et pardonna son mensonge, il la sauva in extremis d'une condamnation injuste.
Conclusion
Comme le dit ce vieux proverbe : « Le ciel aide ceux qui en sont dignes. » Peu après le dénouement de cette affaire, M. Zhang fut transféré à Donghu. Même s’il n’avait aucun lien de parenté, ni aucune affiliation avec elle. M. Zhang a été très touché par cette femme à la piété filiale, et son intuition lui a fait comprendre qu’elle était innocente. Il estimait qu’il était de son devoir de trouver un moyen de réhabiliter le nom de cette femme et de démêler cette affaire. C’était peut-être la manifestation de la compassion du Ciel pour cette femme qui, face à la vie et à la mort, n'a pas renoncé à ses valeurs.
Rédacteur Swanne Vi
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