On raconte que pendant la dynastie des Song du Sud (1127-1279), au XIIe siècle, un homme appelé Zhang Sanfeng (張三豐) est venu sur terre. Adepte du kung-fu Shaolin et incomparablement compétent dans d’autres styles d’arts martiaux, Zhang Sanfeng avait le cœur pour la culture de soi et avait pour objectif la poursuite du Tao, ou la Voie. Il a passé beaucoup d’années dans les montagnes de Wudang, où il s’est finalement installé pour cultiver et établir un nouveau style d’art martial qui a survécu jusqu’à ce jour.
L’histoire des Ming le décrit comme un homme de deux mètres de haut, avec des moustaches en forme de lance et la posture d’un pin. Zhang Sanfeng a abandonné sa vie séculaire, laissant derrière lui sa richesse et ses biens, pour errer dans le monde. Il a porté la même robe taoïste toute l’année et a vécu en ermite pendant un certain temps afin de se débarrasser de ses désirs mondains.
Bien que l’on ignore quand il a « disparu » et que certains récits affirment que le célèbre taoïste erre toujours sur la terre, on dit que Zhang Sanfeng a vécu en tant qu’humain pendant plus de 130 ans avant d’atteindre l’immortalité en tant que divinité.
La pratique lente d’un art martial
Maître Zhang maîtrisait les arts martiaux internes (內家) qui, contrairement à leurs homologues externes, axés sur les aspects physiologiques, plaçaient la culture mentale et spirituelle au cœur de la discipline.
La légende raconte qu’une nuit, le souverain du Ciel, le grand Empereur de Jade (玉皇), lui rendit visite en rêve et lui enseigna les précieux secrets du Tao. L’expérience fut si solennelle qu’à son réveil, Zhang Sanfeng eut l’inspiration de créer un style d’art martial sans précédent dans lequel l’esprit et la pensée étaient la source de la force.
C’est ainsi qu’est né le taï-chi-chuan (太極拳), ou taï-chi. L’énergie interne l’emportant sur la force physique, la douceur s’avérait plus puissante que la dureté, et céder devenait plus efficace qu’attaquer.
La force douce du taï-chi a été démontrée dans un épisode où Maître Zhang a été soudainement attaqué par un groupe de bandits qui ont commencé à lui donner des coups de poing et de pied. Maître Zhang esquiva tous les coups en se déplaçant rapidement et resta indemne au milieu des tentatives vigoureuses des assaillants.
Zhang Sanfeng savait que ses adversaires finiraient par s’épuiser, il a donc décidé d’attendre patiemment et, le moment venu, il les a tous terrassés en même temps.
L’essence du taï-chi
Aujourd’hui, le taï-chi est surtout connu pour ses bienfaits sur la santé, mais l’essence de cette pratique s’est perdue au fil des années. En fait, Maître Zhang a d’abord fondé cette discipline en tant que moyen d’élévation spirituelle , ou de culture de soi, l’une des activités les plus nobles de la Chine ancienne et un élément fondamental de sa culture traditionnelle.
Le mot taï-chi lui-même signifie « le faîte suprême ». Il fait référence au concept taoïste du yin et du yang, qui décrivent ensemble toutes les matières et les choses du monde.
Bien que la discipline du taï-chi ait été reconsidérée et commercialisée d’une manière que son fondateur n’aurait probablement pas approuvée, nombreux sont ceux qui se souviennent encore des sages enseignements de Maître Zhang, qui soulignait que la clé du progrès spirituel était l’abandon des désirs du monde et l’obtention d’un cœur paisible.
« Pour atteindre un esprit tranquille, il faut se débarrasser de toutes les envies et vexations. Ce n’est qu’alors que la tranquillité, la concentration et la sagesse peuvent s’épanouir, comme des graines dans un champ envahi par les mauvaises herbes. Les envies et les ruminations sont les mauvaises herbes de l’esprit. »
Les montagnes Wudang : le berceau du Taoïsme
Au milieu des nuages brumeux se dressent les pics majestueux des monts Wudang (武當山). Située dans la province du Hubei, en Chine centrale, cette chaîne de montagnes mystiques a été le lieu choisi par Zhang Sanfeng pour s’installer après ses nombreuses années d’errance, et est devenue par la suite la principale destination des chercheurs assidus du Tao.
Un regard attentif révèle le caractère sacré d’un paysage dans lequel la nature imposante mais sereine des hauts sommets incarne la philosophie taoïste de l’harmonisation des opposés.
Le chant des pins vertigineux accompagne le recueillement de ceux qui sont plongés dans la méditation et, en même temps, il entoure les mouvements doux des fervents pratiquants d’arts martiaux qui s’élancent dans le combat et reviennent rapidement au calme, accomplissant ainsi l’équilibre de la force et de la grâce.
Le point culminant de la montagne s’élève à 1 613 mètres dans le ciel - soit près de deux fois la hauteur de la Burj Khalifa, la structure et le bâtiment les plus hauts du monde à ce jour - et mérite bien son nom : le sommet du pilier céleste (天柱峰, Tiān zhù fēng).
Incroyablement érigés sur les flancs des falaises vertigineuses, les anciens temples taoïstes magnifient les pentes du panorama vallonné. Construits au cours de près d’un millénaire d’histoire chinoise, ces temples usés par le temps sont une précieuse réminiscence de la dynastie Ming du XVe siècle.
La plupart des innombrables temples ont été construits en signe de gratitude de l’empereur Yongle envers Maître Zhang. L’histoire raconte que l’empereur lui a un jour écrit une lettre pour lui demander conseil, et bien que Zhang Sanfeng se soit révélé difficile à trouver, l’empereur a eu la chance de recevoir une réponse.
Le vieux sage savait que la seule chose qui manquait à l’empereur était la longévité, il a donc fait preuve de compassion envers le souverain et lui a révélé que la clé de la longévité était d’atteindre un cœur paisible en renonçant aux désirs du monde.
Ce sage conseil a tellement ému l’empereur qu’il a ordonné la construction de 9 palais, 72 temples et 36 couvents à Wudang, afin de promouvoir le Tao et de préserver la sagesse des sages pour la postérité.
Vaincre la violence par la douceur
Lorsque les gardes rouges sont arrivés à l’un des temples de Wudang, ils ont été surpris de trouver une nonne taoïste centenaire, Li Chengyu, méditant avec une tranquillité impressionnante sur les marches du temple. Ayant scellé ses lèvres avec de la colle, elle s’était plantée devant son temple sacré en guise de résistance non violente.
C’était l’apogée de la Révolution culturelle de Mao Zedong (1966-1976) et les gardes avaient reçu des ordres clairs de détruire les temples et de supprimer les croyances traditionnelles, qui, selon l’idéologie athée communiste, étaient superstitieuses et constituaient une menace pour la consolidation du Parti. Dans tout le pays, des moines et des nonnes taoïstes ont été assassinés, tandis que d’autres étaient contraints au mariage (pour rompre leur vœu de célibat) ou au travail forcé.
Cependant, la douceur de Li Chengyu a surmonté l’agressivité des jeunes voyous. Son calme et sa détermination ont fait une telle impression sur les gardes rouges qu’ils l’ont épargnée et que les temples de la région ont été sauvés.
Aujourd’hui, ces temples demeurent dans les majestueuses montagnes de Wudang, rappelant une vérité supérieure que nos ancêtres connaissaient et que les générations récentes ont été forcées d’oublier : aussi pervers et déchaîné que puisse être le mal, rien ne peut vaincre le pouvoir d’un cœur bon et impassible.
Rédacteur Albert Thyme
Source : Tai Chi: The Daoist Martial Art of Winning Without Fighting
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