Il existe des personnalités dont l’itinéraire a de quoi surprendre, comme celui du professeur Émile Terroine, savant reconnu qui mena une action décisive en faveur des personnes spoliées durant la Seconde Guerre mondiale. En apparence, rien ne prédisposait au rôle d’administrateur ce scientifique français. En apparence seulement comme le démontre l’article suivant.
Spoliation et restitution
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement de Vichy élabore le pillage des biens appartenant à la communauté juive. Les Juifs sont marginalisés puis mis totalement à l’écart de l’économie en vertu de l’aryanisation, terme employé pour justifier la spoliation. Il s’agit en fait d’un vol légalisé. « La loi du 22 juillet 1941 prévoit le placement sous administration provisoire de tous les biens appartenant aux personnes considérées comme juives, à l’exception de leur résidence principale, et leur mise en vente au profit de l’État », peut-on lire sur le site du Ministère de la Culture. L’expropriation subie par les Juifs français débute dès l’année 1942. Dépossédés de tous leurs biens personnels et immobiliers, ils n’ont aucun recours. Les œuvres d’art en particulier attirent la convoitise des spoliateurs. Après la guerre, le gouvernement français montre la volonté de restituer les biens volés en toute légalité sous les lois de Vichy. L’ordonnance du 21 avril 1945 vient abolir les lois de spoliation émises sous couvert d’aryanisation. Un biologiste éminent, le professeur Émile Terroine se distingue par sa volonté d’appliquer cette ordonnance. Les experts rapportent que son nom apparaît dans de nombreux dossiers liés aux restitutions.
L’action déterminante du professeur Émile Terroine
En premier lieu, l’ordonnance du 9 août 1944 annule toutes lois « qui établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif ».
Le professeur Émile Terroine en poste à la Faculté des Sciences de Strasbourg et Président du comité d’honneur du mouvement national contre le racisme est nommé administrateur séquestre par le préfet du Rhône. La nomination a lieu le 6 septembre 1944 à Lyon. Avec une détermination sans faille, Émile Terroine s’attelle à la tâche, se montre inflexible envers les administrateurs qui avaient obtenu carte blanche dans le cadre du Commissariat général aux questions juives (CGQJ). Il traite tous les dossiers, s’ingéniant à soutenir les familles spoliées. Émile Terroine parvient à accomplir sa tâche en quatre mois. Au prix d’un labeur acharné, avec l’aide de quatre bénévoles seulement, il réussira à restituer 63 % des biens spoliés à Lyon. Par décision du 30 janvier 1945, son action concluante à Lyon mène à la création d’un Service des restitutions des biens des victimes des lois et spoliations. C’est lui qui dirigera ce poste à Paris du 9 février 1945 au 1er mai 1946. Par ailleurs ses efforts contribuent à la création de l’ordonnance du 21 avril 1945 plus favorable aux spoliés que l’ordonnance précédente signée en 1944.
L’action déterminante d’Émile Terroine en matière de restitution est quasiment oubliée. L’homme était peu enclin à rechercher la gloire. Qui donc était Émile Terroine ?
Une vie consacrée à la recherche
Émile-Florent Terroine est né à Paris le 21 janvier 1882 dans une famille modeste. Après l’obtention de son baccalauréat, il devient préparateur à l’École Pratique des Hautes Études en 1907, puis maître de conférences en physiologie. La Première Guerre mondiale terminée, il devient docteur ès sciences, puis nommé professeur de physiologie générale à la faculté des Sciences de Strasbourg, il dirige l’Institut de Physiologie générale de Strasbourg jusqu’en 1939. Cette même année les Nazis détruisent l’Institut qui sera transféré à Lyon et la faculté à Clermont-Ferrand. Le professeur Émile Terroine, humaniste convaincu, rejoint la Résistance, ce qui conduit à son arrestation en juin 1944 à la prison de Montluc à Lyon. Il sera libéré deux mois plus tard.
Après avoir animé et dirigé le service des restitutions de 1945 à 1946, il devient membre du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour ensuite se consacrer pendant 3 décennies au Centre national d’études et de recommandations sur la nutrition et l’alimentation créé à son initiative (CNERNA). Il met fin à ses activités en 1972, soit deux ans seulement avant sa mort survenue le 24 octobre 1974 à Paris.
Un homme de convictions, efficace et discret
Le professeur Émile Terroine, d’une discrétion exemplaire, évoqua très rarement ses fonctions d’administrateur. Il estimait qu’il avait seulement accompli son devoir. Il reste très peu de photos du personnage mais son entourage le décrivait ainsi : « Grand, élégant, affable, il ressemblait à Léon Blum. Ressemblance qu’il cultivait avec soin, tant par sa coupe de moustache que par son chapeau à large bord que par sa manière un peu précieuse, un peu voilée de parler ».
Son action de restituteur à Lyon puis à Paris a marqué les esprits. Un directeur du CNRS le qualifiait de « génie de l’organisation et même de la super-organisation ».
Dans le même temps, ses qualités morales ne laissaient pas indifférents. Lorsque le professeur Émile Terroine fut arrêté à Lyon par la Gestapo, dans l’article du journal Fraternité annonçant son arrestation on pouvait lire : « Son cœur généreux et sa probité intellectuelle augmentaient encore l’influence qu’il exerçait sur ceux qu’il approchait ». Sa notoriété apparaissait en ces termes : « Les travaux du Professeur Terroine avaient porté à l’étranger la renommée scientifique de la France ».
Humaniste et fervent défenseur des idées républicaines, Émile Terroine pensait que « la restitution des biens spoliés aux Israélites est une œuvre à la fois de justice et d’humanité, dont la signification morale et politique dépasse de beaucoup les valeurs matérielles ».
L’œuvre de restitution demeure un sujet préoccupant dans la France et le monde d’aujourd’hui. Il apparaît que le professeur Émile Terroine, pour son remarquable travail de pionnier mérite une considération toute particulière.
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