Anne de France, ou Anne de Beaujeu, puis Anne de Bourbon : les trois facettes d’une même personnalité de sang royal. Femme de pouvoir, fille et sœur de roi, Anne a gouverné d’une main de fer le royaume de France. L’espace d’un instant, faisons sortir de l’ombre cette figure historique plutôt méconnue.
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Anne de France, une fille douée et comblée
Née en 1461 en Belgique, correspondant alors aux Pays-Bas bourguignons, Anne de France, appelée aussi Anne de Beaujeu ou Anne de Bourbon, est la fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie. Mariée très jeune, à l’âge de 12 ans, à Pierre de Beaujeu de 20 ans son aîné, elle reste proche de son père qui détecte en elle des qualités de dirigeante. Il disait d’elle qu’elle était la femme « la moins folle du royaume ». Dans la France de Louis XI et de ses successeurs, il n’était nullement question pour les femmes de régner, compte tenu de la « loi salique», interdisant le trône à ces dernières. Anne de France avait une sœur, Jeanne de France, née en 1464, et un jeune frère, né en 1470, le futur Charles VIII, appelé à régner en tant qu’héritier mâle. Louis XI, surnommé « l’universelle Araigne », connu pour son autoritarisme et son sens consommé de la ruse s’ingénia à enseigner à sa fille préférée l’art de gouverner.
Très affaibli par la maladie, sentant sa fin prochaine, c’est à Anne et à son époux qu’il confia la gouvernance du royaume de France et l’éducation du jeune Charles. Celui-ci n’avait que 13 ans quand son père mourut le 30 août 1483. Il n’avait pas atteint la majorité légale pour régner, à savoir l’âge de 14 ans. Le couple Beaulieu se vit attribuer une régence de fait. Telle fut la stratégie du fin limier qu’était Louis XI, évitant ainsi que la régence de droit revînt au duc d’Orléans, gendre rebelle, ambitieux et prétendant au trône.
Une régente redoutable
Âgée de 23 ans à la mort de son père, Anne de France, aux côtés de son mari, homme d’expérience issu d’une grande lignée, devait concilier l’exercice du pouvoir et l’éducation de son frère, le futur roi Charles VIII. Elle a su mener cette double mission d’une main de maître. Aussi habile que son père, elle parvint à déjouer les machinations et les velléités de rébellion du duc d’Orléans, allié non seulement aux puissants seigneurs féodaux, mais aussi aux dirigeants étrangers comme le roi d’Angleterre et l’empereur Maximilien de Habsbourg. Sans verser une goutte de sang, avec la finesse d’une femme d’État chevronnée, Anne de France put refouler ses adversaires. Elle sortit victorieuse de ce conflit dénommé « la guerre folle » (1485-1488). Sa plus belle réussite reste le mariage imposé par ses soins entre Anne de Bretagne et son frère Charles VIII devenu roi : le royaume de France était « augmenté ». Désormais, le très convoité duché de Bretagne était rattaché à la France. Anne de France poursuivait ainsi avec brio l’œuvre de son père, soucieux d’annexer de nouvelles provinces au territoire de France.
Anne de France se révéla « femme de l’ombre ayant mis autant de soin à cacher le pouvoir que d’autres de peine à le montrer », comme se plaisait à le dire Jules Michelet. Régente redoutable aux capacités hors du commun, elle était appelée familièrement « la grande dame ». On disait d’elle qu’elle se « tenait droite comme une lance ».
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Femme puissante et mécène influente
Le couple royal formé par Anne de Bretagne et Charles VIII, une fois installé, Anne de France ou encore Anne de Beaujeu se retire peu à peu de la gouvernance du royaume, du moins en apparence. Son destin de grande dame n’a pas dit son dernier mot : en 1488, Anne et Pierre deviennent duc et duchesse de Bourbon et s’installent au château de Moulins, capitale du Bourbonnais.
Leur demeure est un château imposant, remanié 100 ans plus tôt par Louis II de Bourbon. Anne en fera un somptueux palais digne d’une cour royale, y ajoutant une aile « en pur style gothique flamboyant ». Avec l’élégant pavillon Anne de Beaujeu, la France découvre « l’un des premiers édifices d’architecture Renaissance de France. »
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Educatrice renommée
Anne ne se contente pas d’être un mécène comblé. Elle fait aussi œuvre d’éducatrice avisée. Après avoir très habilement conduit l’éducation du jeune dauphin disparu prématurément en 1498 suite à un accident mortel, elle s’emploie à éduquer nombre de personnalités féminines aussi prestigieuses que Marguerite d’Autriche, Louise de Savoie, Diane de Poitiers, Marie Tudor !
À sa propre fille, Suzanne, son unique, âgée de 12 ans à la mort de Pierre de Beaujeu, duc de Bourbon, elle dédie un ouvrage intitulé Enseignements à ma fille. « Toujours un port honorable, des manières froides et assurées, un regard humble, la parole mesurée, constante et ferme, jamais un propos hésitant », lui recommande-t-elle, l’invitant à cultiver à tout prix la maîtrise de soi. Elle conseille à sa fille de s’entourer de personnes frugales et lui rappelle que la véritable noblesse vient du cœur.
Voici comment sont présentés sur le site Cour de France.fr les écrits d’Anne de France (éditions Eliane Viennot, 2007) : « Ces œuvres témoignent avant tout de l’extraordinaire personnalité d’Anne de France, des principes qui sont à l’origine de sa réussite personnelle, de sa perception des dangers qui guettaient les femmes de son époque, et d’un talent que Marguerite de Navarre fut la première, sans doute, à remarquer. »
Anne de France passe pour l’une des femmes les plus puissantes de l’Europe médiévale. Autour d’elle gravitent nombre d’artistes peintres, écrivains et maîtres verriers. Moulins et son château digne d’une cour royale constituent un véritable foyer culturel facteur de rayonnement pour la France.
Éprise du château de Chantelle situé à proximité du château de Moulins, Anne de France innove les lieux qui lui serviront de refuge jusqu’à sa mort. Elle s’éteint à l’âge de 62 ans en 1522, il y a cinq siècles… Figure d’exception, cette grande dame a fait preuve de qualités indéniables malheureusement oubliées.
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