Relier l’Atlantique à la Méditerranée par une voie navigable était un vieux rêve de plusieurs souverains du passé tels Charlemagne, François 1er et Henri IV, mais qui semblait irréalisable et trop coûteux. Pourtant, ce rêve se concrétisa au XVIIe siècle, sous le règne du Roi-Soleil, et devint sa deuxième plus importante réalisation après le château de Versailles. Pierre-Paul Riquet fut le concepteur et le réalisateur du canal du Midi et Vauban perfectionna son fonctionnement.
Terminé en 1681, ce canal de 240 kilomètres permit de transporter de grandes quantités de fret par bateau ou péniche depuis le port de Sète jusqu’à Toulouse. Depuis Toulouse, les bateaux pouvaient continuer leur navigation sur la Garonne et, à partir de 1856, sur le canal latéral à la Garonne, jusqu’à Bordeaux. Dès lors, ces deux canaux formèrent ensemble le canal des Deux-Mers.
Avec ses 350 ouvrages d’art (dont 130 ponts et 63 écluses) qui étaient aussi, pour beaucoup, des innovations et des prouesses techniques à cette époque, le canal du Midi n’avait pas d’équivalent en Europe. Un des plus grands défis était le relief du terrain, avec le point le plus élevé du canal à 185 mètres d’altitude. Même si le projet était onéreux, épuisant et risqué, ce fut une entreprise glorieuse où des hommes et des femmes se surpassèrent.
Douze mille ouvriers (dont 600 femmes) réussirent à mener à bien l’un des plus gros chantiers du XVIIe siècle en seulement 15 ans. Le plus grand barrage au monde à l’époque allait être bâti pour alimenter le canal. Des bateaux allaient naviguer dans un tunnel ou franchir des ponts-canaux. À Fonséranes, les péniches passeraient neuf écluses d’affilée. C’était une aventure extraordinaire.
Après trois siècles de transport commercial, le canal est devenu maintenant un lieu réputé du tourisme fluvial. Dix mille bateaux y naviguent chaque année et des centaines de milliers de personnes visitent ces ouvrages.
Pierre-Paul Riquet : un concepteur inspiré et entrepreneur audacieux
Pierre-Paul Riquet, né à Béziers en 1609, mena une carrière prospère de « gabelou » (douanier collectant l’impôt sur le sel) au service de l’administration royale. Il s’enrichit également dans le transport du sel entre les entrepôts de Narbonne et les greniers à sel du Haut-Languedoc. Pour améliorer le commerce du sel en France, Pierre-Paul Riquet réfléchit à la construction d’un grand canal fluvial de la Méditerranée à l’océan Atlantique.
En 1652, il acheta la Seigneurie de Bonrepos, près de Toulouse. Sur cet immense domaine, il commença à mettre en pratique son projet de canal. Il cherchait des réponses claires à des questions précises d’alimentation en eau d’un canal. La science de l’hydraulique n’était pas encore maîtrisée. Dans sa propriété, il fit construire un système de trois bassins reliés entre eux par un canal, de petites écluses et des épanchoirs.
Avant de présenter son projet aux autorités royales, il devait avoir tout calculé. Quelle quantité d’eau allait s’évaporer, allait s’infiltrer dans les sols, et en conséquence quelle quantité d’eau devait-on remettre dans le canal pour avoir un volume d’eau stable où pourraient naviguer les bateaux ?
Il proposa ce projet ambitieux à Jean-Baptiste Colbert, le surintendant du Roi. Il lui écrivit une lettre en 1862, lui expliquant qu’un canal fluvial reliant les deux mers permettrait une meilleure circulation des marchandises dans le royaume, car les routes étaient en mauvais état, dangereuses et sous la menace de brigands. Le transport maritime, en contournant l’Espagne, était lui aussi peu sûr. Et le royaume d’Espagne faisait payer le prix fort aux bateaux qui devaient passer par le détroit de Gibraltar.
Quand Colbert lui présenta le projet, le Roi s’y intéressa. Le projet du canal fut validé en 1665. L’année suivante, Louis XIV signa l’édit royal autorisant la construction du « canal royal du Languedoc » qui sera renommé « canal du Midi » sous la révolution française.
Pierre-Paul Riquet lança le creusement du canal à partir de Toulouse, en direction du port de Sète. Le canal devait être profond d’environ 2 mètres et large de 16 à 20 mètres en surface et de 10 mètres au fond. Il fallait régler la question cruciale de l’eau : remplir au niveau requis les 240 km du canal pour le rendre constamment utilisable pour le transport de fret et le commerce de marchandises. Comment faire dans cette région aride, souvent touchée par la sécheresse ?
Plusieurs anciens projets envisageaient de capter les eaux de fleuves et rivières descendant des Pyrénées plus au sud, mais c’était trop complexe, coûteux, voire impossible pour rejoindre le plus haut point du canal. Au sud du Massif Central, se trouve le massif de la montagne Noire au climat particulier : il y pleut fréquemment, même pendant la saison estivale. Pierre-Paul Riquet avait vécu un moment en montagne Noire. Il est probable qu’il connaissait l’abondance de cours d’eau de cette région.
Capter, stocker et acheminer les eaux de rivières pour remplir en permanence le canal du Midi
Il capta une partie d’un de ses cours d’eau (le Sor) pour alimenter par une rigole le canal du Midi. Puis il capta un deuxième cours d’eau (l’Alzeau) de la même façon, plus haut dans la Montagne noire. Mais, malgré leur bon débit, ces deux rivières ne suffisaient pas pour alimenter le canal à la saison estivale, il fallait trouver un moyen de stocker l’eau en hiver pour s’en servir en saison sèche. Ce fut un grand défi technologique que dut affronter Pierre-Paul Riquet : construire un grand barrage capable de retenir plusieurs millions de mètres cubes d’eau. Cela n’avait encore jamais été réalisé.
Sur la commune de Saint-Ferréol, adossée à la montagne Noire, il y avait une sorte de cuvette naturelle que l’ingénieur allait agrandir. Cette cuvette avait l’avantage d’être traversée par une autre rivière (le Laudot) qui alimenterait le barrage en eau. À l’extrémité de la cuvette, se trouvait une barre rocheuse sur laquelle s’appuierait la digue du barrage. Ce barrage, pouvant retenir 4 millions de mètres cubes d’eau, était une première mondiale. C’était un barrage droit, car on ne connaissait pas encore la technologie des barrages voûtes, qui, à l’avenir, résisteraient beaucoup mieux à la pression hydraulique. Ce barrage droit de 150 mètres d’épaisseur, 871 mètres de longueur et 27 mètres de hauteur, fut réalisé avec des briques, des pierres et du remblai de terre. Tout était fait manuellement ou avec des chevaux. 800 ouvriers travaillèrent sur ce chantier.
La construction du barrage put être achevée en 1674. A l’intérieur de l’ouvrage, entre 50 et 60 mètres sous terre, se situent plusieurs galeries. Trois galeries assurent l’écoulement des eaux. La quatrième, longue de 130 mètres, conduit à la salle des robinets permettant de régler les volumes d’eau pour les besoins du canal lorsque son niveau d’eau baisse.
S’ajoutant à la réserve de Saint-Ferréol, toutes les eaux de la Montagne noire pouvaient rejoindre la rigole de la montagne et la rigole de la plaine pour atteindre le lieu clé du canal, le seuil de Naurouze. C’est le point le plus haut du canal, à 185 mètres au-dessus du niveau de la mer. C’était là que l’eau de la Montagne noire devait arriver pour alimenter les deux versants (méditerranéen et océanique) du canal. Riquet avait prévu aussi le temps qu’il fallait à l’eau de la montagne pour arriver dans le canal, soit environ 24 heures. Il fallut alors construire une sorte de bassin tampon à Naurouze, près du canal, pour pallier ce délai d’attente quand les besoins en eau du canal changeraient rapidement.
Au XVIIe siècle, ces ouvrages concernant l’alimentation en eau, étaient menés en parallèle avec la construction du canal. Alors qu’on recherchait et prenait soin de l’eau pour remplir le canal, l’eau pouvait aussi être un gros obstacle. Le canal du Midi traverse le Languedoc d’est en ouest globalement, mais les cours d’eau de la région vont plutôt du nord au sud. Il était donc prévu que la plupart iraient se déverser dans le canal.
Un site particulièrement novateur et spectaculaire : le pont-canal de Répudre
A 100 kilomètres environ à l’ouest de Toulouse, après deux ans de travaux, Riquet affronta un obstacle majeur. Un petit cours d’eau, la rivière Répudre, traverse le canal à la perpendiculaire. Cette rivière devient un torrent redoutable quand il y a des orages dans l’arrière-pays, et elle aurait emporté le lit du canal à chaque crue.
Riquet imagina une superstructure unique au monde : le pont-canal de Répudre permettait aux bateaux de traverser l’obstacle. C’est le principe d’un aqueduc romain, mais surdimensionné pour faire passer le canal, les bateaux et les péniches. L’ouvrage massif répond à des contraintes naturelles très violentes. Lorsque la Répudre est en crue, l’eau de la rivière ne peut plus passer dessous, elle va déborder par-dessus le pont-canal et se déverser de l’autre côté du pont-canal.
L’ouvrage devait être extrêmement solide pour résister à l’énorme poussée de l’eau des crues. Le ciment et le béton n’existaient pas à cette époque. Pour faire tenir l’ouvrage en pierre de taille et assurer son étanchéité, comment faire ? Car le mortier traditionnel ne pouvait pas prendre et durcir sous l’eau. Riquet trouva la solution dans les techniques de construction romaine. Il avait déjà expérimenté depuis quelques années la pouzzolane d’Italie. Le mortier fait avec cette poudre volcanique a la particularité de prendre lentement sous l’eau et de devenir extrêmement dur.
Quatre cents hommes et femmes travaillèrent tous les jours sur ce chantier. Beaucoup d’ouvriers agricoles y participèrent et cela posait quelques problèmes. Ces ouvriers devaient s’absenter pour travailler dans leurs champs, ce qui mettait en péril le bon déroulement du chantier. Pour fidéliser ses ouvriers, Riquet trouva un système de rémunération novateur : les ouvriers furent payés au mois et non plus à la journée.
D’une manière générale, les travailleurs sur le canal étaient des paysans et des ouvriers locaux dont le nombre variait suivant les périodes. Riquet pouvait faire appel aux militaires pour pallier cette variation d’effectifs. Riquet payait relativement bien ses ouvriers sur le canal du Midi et offrait certains avantages sociaux comme les jours de pluie chômés, les dimanches et jours de fête rémunérés et les congés maladie.
La suite de la réalisation du canal du Midi réservait encore de grands défis et de beaux ouvrages d’art…
Source principale : documentaire L’incroyable histoire du canal du Midi : le projet de Louis XIV
À suivre...
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