Le vieux rêve de relier l’Atlantique à la Méditerranée par une voie navigable se concrétisa sous le règne du Roi-Soleil. Pierre-Paul Riquet fut le concepteur et le réalisateur du canal du Midi et Vauban perfectionna son fonctionnement. Terminé en 1681, ce canal de 240 kilomètres permit de transporter de grandes quantités de fret, pendant trois siècles, entre Sète et Toulouse, puis Bordeaux, par le canal de Garonne.
Le tunnel de la persévérance
Riquet s’adaptait le plus possible au terrain. Cependant, quand survint à nouveau un obstacle naturel, face à la colline d’Ensérune dans l’Hérault, il ne voulut pas faire de détour et entreprit de creuser un tunnel-canal, le tunnel de Malpas. Ce fut, une fois de plus, une entreprise incertaine et unique au monde.
Riquet était ambitieux et prêt à bien des prouesses pour livrer le canal au Roi, dans les délais. Mais il se heurta à nouveau à une grande difficulté technique. Il fut desservi par la qualité de la roche, qui allait provoquer des éboulements et rendre le chantier difficile à réaliser.
Le chantier était surveillé par du personnel à la solde du Roi. Devant l’obstination de Riquet pour percer le tunnel, les hommes du Roi, en février 1679, avertirent Colbert, qui envoya l’intendant du Languedoc, Henri d’Aguesseau, dans le but d’arrêter le forage.
Néanmoins, Riquet organisa un chantier clandestin. En quelques jours, avec des ouvriers de confiance, fut réalisée une voute de taille modeste qui prouvait, au ministère du Roi et à l’intendant du Languedoc, que le forage était possible et qu’il suffisait d’agrandir cette petite voûte pour réaliser le tunnel du Malpas. L’agrandissement et la maçonnerie du tunnel nécessitèrent une année de travail. Le tunnel du Malpas, long de 170 mètres sur dix mètres de hauteur, creusé dans les grès sableux de la colline d’Ensérune, fut une nouvelle réussite de Riquet.
Des écluses pionnières et ingénieuses
Dix kilomètres plus loin, à Béziers sa ville natale, Pierre-Paul Riquet entreprit la réalisation des écluses de Fonséranes. Sur une distance de 54 km avant ces écluses, le canal fut creusé à une altitude constante de 32 mètres et il devait descendre maintenant à une altitude de sept mètres pour pouvoir continuer son itinéraire vers l’est et l’étang de Thau. Pour descendre ou monter de 25 mètres, il fallait créer neuf portes d’écluse permettant le franchissement de huit bassins. Cet escalier d’eau s’étend sur une longueur de 315 mètres. Le temps de passage de l’ouvrage était estimé à une heure, quel que soit le bateau et son tonnage.
Les écluses de Fonséranes sont de forme ovoïde pour mieux résister à la poussée du terrain. C’est l’ouvrage du XVIIe siècle, inchangé, que l’on peut admirer actuellement. A cette époque, les vannes et les portes massives en bois étaient ouvertes et fermées, à l’aide de cordes, par des équipes d’hommes qui se relayaient jour et nuit. Aujourd’hui ce travail fastidieux se fait à l’aide de l’électricité.
Plus au sud, au niveau de la ville d’Agde, le canal devenait un carrefour stratégique. Riquet fit construire la première écluse ronde de l’histoire. Cette écluse fait 30 mètres de diamètre Elle permet aux bateaux de prendre trois directions différentes, Sète, Agde ou Toulouse. Agde était un port important au XVIIe siècle et beaucoup de marchandises arrivant par la mer y transitaient.
Cette écluse était justifiée également par le passage du canal dans le fleuve Hérault sur plusieurs centaines de mètres au nord d’Agde. Cet ouvrage permit de contourner un barrage ancien sur l’Hérault, construit aux portes de la ville d’Agde et de faire passer les bateaux venant du port d’Agde ou du canal du Midi à un niveau plus élevé dans l’Hérault fluvial en amont du barrage, et inversement.
La mort de Pierre-Paul Riquet et l’achèvement du canal
Les 240 kilomètres du canal du Midi furent creusés en quinze ans : un record à l’époque ! Les travaux du canal coûtèrent environ 18 millions de livres de l’époque (soit 45 millions d’euros), dont 40 % investis par le Roi, 40 % par la province du Languedoc et 20 % par Riquet lui-même.
La propriété et l’exploitation du canal furent attribuées, par édit royal, à Riquet et à ses descendants, ce qui garantissait la continuité et l’entretien du canal. Riquet avait également, par cet édit royal, des droits d’expropriation, de construction de moulins, d’entrepôts et d’habitations, relatifs au fonctionnement du canal. C’était un domaine exempt d’impôts. Les droits de navigation, de pêche ou de chasse sur ce domaine, revenaient aux descendants Riquet. L’Etat devint propriétaire du canal en 1898.
Pierre Paul Riquet, épuisé, atteint de goutte et d’accès de fièvre, meurt à Toulouse le 1er octobre 1680, un an avant la fin des travaux du canal. Il avait heureusement vu une partie de son canal en eau et la navigation des bateaux sur la portion de Toulouse à Castelnaudary.
Après son décès, son fils aîné prit le relais et six mois plus tard la construction du canal fut achevée. Un premier convoi de barques partit de Toulouse en mai 1681 et arriva au port de Sète quinze jours plus tard.
Les débuts difficiles du fonctionnement du canal du Midi résolus par Vauban
Cinq ans après le décès de Riquet, en 1685, son chef-d’œuvre fut menacé. Il était même question de l’abandonner.
Tous les cours d’eau qui se déversaient dans le canal apportaient, lors des crues, de grandes quantités de boue, de limons et surtout énormément d’eau qui faisait monter le niveau et détruisait les berges. En conséquence, le trafic était devenu faible et non rentable. Les enfants de Riquet devaient faire souvent appel aux entreprises pour nettoyer et réparer le canal, ce qui engendrait de grosses dépenses.
Les enfants Riquet lancèrent un appel au secours à Louis XIV. Le Roi demanda alors à son commissaire aux fortifications, Vauban, de tenter de trouver une solution. Pour résoudre les deux problèmes majeurs, l’ensablement et les débordements incontrôlés, Vauban allait proposer une série d’améliorations urgentes. Il recommanda la construction de 60 ponts-canaux, et d’épanchoirs pour évacuer les trop-pleins d’eau en période de crue. Il recommanda aussi l’amélioration de l’écoulement des eaux depuis la Montagne noire et l’alimentation du réservoir d’eau du canal, à Saint-Ferréol. Tout cela fut accepté par l’administration royale.
Vauban augmenta d’environ un tiers la capacité du réservoir de Saint Ferréol, en rehaussant de huit mètres le barrage, tout en le consolidant, pour assurer de ne jamais manquer d’eau dans le canal, même lors de grandes sécheresses. De plus, il entreprit un nouvel ouvrage « la percée des Cammazes », un tunnel long de 122 mètres, en montagne Noire, afin d’amener l’eau de la rigole de la montagne dans le réservoir de Saint Ferréol et d’augmenter ainsi les réserves.
Un autre problème auquel Vauban dut remédier était la gestion du trop-plein d’eau lors des fortes pluies et des orages, qui chargeaient le canal de boue et provoquaient des dégâts sur les structures. Il fit construire des épanchoirs, ouvrages d’art par lequel, dès qu’elles dépassent un certain niveau, les eaux du canal se déversent dans une rivière en contre-bas. Le trop-plein d’eau du canal était donc contrôlé.
Le casse-tête du croisement des rivières avec le canal
Le troisième problème majeur que Vauban devait résoudre était le croisement des rivières avec le canal. Il voulait éviter que les eaux des rivières se mélangent à celles du canal et le bouchent avec le limon et le sable. Il prit une mesure radicale pour la pérennité du canal. Il décida de la construction d’une soixantaine de ponts-canaux pour faire passer toutes les rivières qui croisaient le canal au-dessous de celui-ci.
Toutes ces modifications d’ampleur pour le bon fonctionnement du canal demandaient beaucoup d’argent et Vauban dut négocier une nouvelle enveloppe avec le Roi.
Le commissaire aux fortifications du Roi avait un savoir-faire et une expérience de la construction que n’avait pas Riquet. Il fit des prouesses avec les mêmes techniques et les mêmes matériaux.
Entre 1688 et 1693, Vauban fit construire une série de nouveaux ponts-canaux beaucoup plus aériens que celui de Riquet sur la rivière Répudre. Il passa du pont-canal à une arche au pont-canal à trois arches plus grandes. Les maçonneries étaient moins massives, et les rivières lors des crues passaient allégrement sous ces arches bien dégagées. Ces ponts-canaux résolurent une grande partie des problèmes qui, sinon, auraient pu entraîner l’abandon du canal.
Un dernier point noir à résoudre
À Vias, près d’Agde, coule le Libron, un petit fleuve qui traverse le canal avant de se jeter dans la mer. À sec en été, il peut, lors d’un orage, avoir un débit dépassant les 300 mètres cube par seconde.
Là, Vauban ne pouvait pas faire de pont-canal, car le fleuve et le canal étaient à peu près au même niveau. Vauban imagina une première solution avec une barge spéciale, mise en place juste au-dessus du canal, au moment de la crue du fleuve, qui faisait office de guide pour le fleuve Libron, sans déposer de limon ou de débris dans le canal. Toutefois, le trafic sur le canal était alors interrompu. De plus, s’il y avait déjà trop de courant sur le fleuve, il n’était plus possible de mettre la barge en place.
Au XIXe siècle, avec l’arrivée du train, la concurrence était rude dans les transports. Le trafic fluvial ne pouvait plus être stoppé par cette barge lors des crues du Libron. En 1855, un ingénieur toulousain dessina une structure qui réglait la question de la navigation à ce croisement du canal avec le Libron : un système ingénieux de doubles portes et de cuvelages suspendus sur rails, sur deux ouvrages voisins, permit à la fois aux bateaux de passer et à la rivière en crue de couler juste au-dessus du canal.
La rivière est divisée en deux branches et en fonction de l’arrivée des bateaux, on dévie le débit de la crue sur l’une ou l’autre branche. Le bateau passe la première branche, qui a été fermée au fleuve en crue, puis il attend quelques minutes au milieu des deux branches du fleuve, le temps d’ouvrir au fleuve la branche qu’il vient de passer et de fermer au fleuve celle qu’il doit passer maintenant. L’ouvrage est une belle réussite et fonctionne toujours depuis plus d’un siècle.
Evolution de l’utilisation du canal du Midi
Le canal du Midi rejoint le port de Sète. Sète est née en 1666 de la volonté de Pierre Paul Riquet et de Louis XIV. Le port de Sète, comme tous les ouvrages d’origine du canal, réalisés par Riquet et Vauban, ont traversé le temps et sont encore dans un état de fonctionnement remarquable. Globalement, tous ces ouvrages, s’ils sont entretenus correctement, pourront certainement durer quelques siècles encore.
Le canal du Midi fut classé par l’UNESCO en 1996 dans la liste des sites relevant du patrimoine mondial de l’humanité.
Le canal assura pleinement le transport de fret durant presque trois siècles. Les péniches permettaient de transporter d’importants volumes de céréales, de vin, de sel, de fourrage, etc. Elles servaient également aux cargaisons de pierres (marbres locaux par exemple), de bois et charbon, d’engrais et de soufre, essentiels au travail de la vigne et divers produits manufacturés.
Il assura aussi, pendant un siècle et demi, le transport de passagers. L’année 1856 constitua un record pour l’activité marchande : plus de 110 millions de tonnes de marchandises et 100 000 passagers transitèrent sur le canal du Midi !
Les embarcations étaient toutes tirées, à l’aide d’une longue corde, par des chevaux, des mulets ou des bœufs, sur le chemin de halage.
1857, année de l’ouverture de la voie de chemin de fer Bordeaux-Sète, vit quasiment aussitôt l’arrêt du transport de passagers et le déclin du transport de marchandise via le canal du Midi. De 1900 à 1970, il y eut une nette reprise de l’activité avec la modernisation et la motorisation des bateaux sur le canal. En 1960, le transport d’hydrocarbures par des bateaux spécialisés atteignait 120 000 tonnes. Le transport de céréales, quant à lui, était à son apogée !
Les dernières péniches de fret naviguèrent jusqu’aux années 1980, à nouveau concurrencées par le train et d’autres moyens de transports. Le dernier bateau de transport sur le canal, affecté au transport de vin, cessa son activité en 1989.
La navigation de tourisme a pris le relais maintenant et 30 % du trafic fluvial en France passe par le canal du Midi. Grâce à cet engouement des plaisanciers, le canal du Midi reste en activité et entretenu.
Le transport de fret par les voies navigables reste un des plus écologiques dans notre pays. La dépense d’énergie est faible, au regard du volume et du poids transporté.
Peut-être les péniches et bateaux de transport de marchandises auront-ils, à l’avenir, de nouvelles opportunités pour reprendre la navigation sur le canal du Midi et perpétuer ainsi l’œuvre colossale de Riquet, de Vauban et des nombreux ouvriers qui y participèrent ?
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