Un nouveau regard sur les rois mérovingiens
Les Mérovingiens ont été pendant longtemps mal jugés, les dernières fouilles archéologiques ont changé l’interprétation des historiens, notamment celle de Bruno Dumézil spécialiste du Haut-Moyen Âge qui a mis la lumière sur cette première dynastie royale de notre pays dont les frontières ont maintes fois évolué. Je me sers ici principalement de son analyse pour expliquer ce « miracle mérovingien ».
Longévité de cette dynastie et étendue de leur territoire
Les Mérovingiens, loin d’être des rois fainéants, ont régné pendant près de trois siècles, du Ve au VIIIe siècle. C’est l’une des seules dynasties qui occupa le trône si longtemps à l’exception des Capétiens.
Les Mérovingiens sont arrivés à diriger un territoire qui faisait environ deux fois la France actuelle. Le territoire comprenait une grande partie de la France d’aujourd’hui, ainsi qu’une partie des territoires de la Belgique, de l’Allemagne, de la Suisse et des Pays Bas. Cela dit, ces frontières ont beaucoup fluctué.
Les Mérovingiens ont-ils été mal jugés et étaient-ils victimes de leur apparence
Ils ont été nommés, par leurs différents successeurs, les « rois chevelus », car pour être roi, il fallait selon leur coutume avoir les cheveux longs. Leur apparence fut qualifiée d’archaïque, Bruno Dumézil écrit à ce sujet dans Des Gaulois aux Carolingiens, des éditions puf : « Les cheveux longs des Mérovingiens n’étaient-ils pas eux-mêmes une imitation de la coiffure des rois de l’Ancien Testament ? »
Le fait d’avoir choisi des noms germains plaidait également en leur défaveur. Mais, cela ne faisait tout de même pas d’eux des Germains, d’ailleurs ils avaient également une forte empreinte romaine. Bruno Dumézil écrit à ce sujet que « leur mode de gouvernance et leur culture politique provenaient (…) de Rome ou de la Jérusalem biblique ».
Ces rois avaient aussi pour coutumes de se faire enterrer avec leurs armes : ce choix funéraire était d’ordre social, pour situer un individu. Plus l’homme avait d’armes, plus son statut dans la société était élevé. Cette coutume funéraire ne doit pas faire d’eux des êtres plus violents. Au contraire, au vu des sources retrouvées, ils recherchaient la paix plus que la justice.
Au temps des Mérovingiens, l’État était faible. Ainsi, il fallait pour que la justice soit faite réunir plusieurs conditions, les deux parties devaient accepter de se présenter au tribunal. De plus, chacun avait un statut particulier : un Romain devait être jugé selon le Code Théodosien, un Franc selon la Loi Salique, un Burgonde selon la Loi Gombette et les clercs étaient soumis au Droit Canon.
Quand la situation devenait trop complexe le juge ne voulait pas donner une condamnation univoque envers la partie coupable et essayait d’organiser une conciliation entre les deux parties, il cherchait à obtenir la paix même s’il fallait pratiquer par moment une entorse au droit.
Toutefois la pratique de « la faide » existait aussi. Ce système de vengeance privée opposant deux familles, deux clans, consistait à éviter une montée de la violence par « un équilibre de la terreur ». L’idée malgré tout restait de tendre vers la paix.
De la Gaule romaine au royaume Franc, qui sont les Mérovingiens
Les Mérovingiens viennent des peuples Francs, il n’est pas facile de définir qui sont les Francs qui arrivent au Ve siècle par manque de sources de l’époque. Ils seraient d’origine germanique et considérés comme des barbares, ils se définissent eux-mêmes en tant que tels puisque non-Romain. Selon la définition du dictionnaire Larousse, barbare est le « nom donné aux peuples frontaliers de l’Empire romain qui ont envahi celui-ci durant les premiers siècles de notre ère ».
C’est d’ailleurs à eux que l’on doit le nom de notre pays, la France. Au Ve siècle, avec Childéric Ier à leur tête, les roi des Francs Saliens s’étaient installés dans le Nord de la Gaule, dans les régions de Cambrai, de Tournai ainsi que la Belgique. L’ethnonyme de Franc aurait été inventé pour signifier « hardis » ou « vaillant ». La langue franque, le francique, était parlée par les rois francs. Mais elle aurait été peu diffusée et ces rois parlaient également le latin.
Le terme mérovingien vient de Mérovée, personnage semi mythique, qui serait le père de Childéric Ier, roi des Francs Saliens et grand-père de Clovis.
De Clovis à l’empire mérovingien
Clovis va créer une royauté unitaire. Pour y parvenir et devenir le chef, il a dû éliminer ses cousins voisins. Ainsi, sa monarchie a pu devenir unique. Il va également créer une société chrétienne, en se mariant à Clotilde de Burgondie qui lui fera embrasser la foi chrétienne, au dépend de ses croyances polythéiste. Clovis sera le premier roi à se faire baptiser. Au VIe siècle on parlera alors des Mérovingiens en tant que rois très chrétiens.
Avec Clovis le sentiment ethnique apparaît, une royauté unitaire commence à se construire. La notion de Francs de Bavière, Francs alsaciens, Francs de Burgonde prend place en fonction de leurs particularités, et petit à petit c’est l’identité franque qui l’emporte.
Le monde franc se construit comme un petit empire romain. Clovis reçoit le titre d’Auguste de Constantinople. Il représente la seule puissance chrétienne nicéenne d’Occident : sachant qu’en religion, le christianisme nicéen affirme la consubstantialité du Père et du Fils, c’est le courant du christianisme ancien issu du concile de Nicée de 385.
En opposition avec les Ariens qui niaient la consubstantialité du Père et du Fils, ces derniers considéraient qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, le Père. En obtenant le soutien de l’Empire romain d’Occident qui était en guerre contre les Ostrogoths ariens, le soutien des Gallo-romains qui vivaient dans les territoires Wisigoths, Burgondes et Alamans, Clovis parvint à conquérir une partie du territoire wisigoth, le royaume des Alamans puis ses fils purent conquérir également le royaume des Burgondes, la Burgondie.
Les Mérovingiens des rois, mais aussi des lettrés
La dynastie mérovingienne est une dynastie de rois lettrés, c’est même une dynastie de rois légistes. Le problème c’est qu’ils écrivaient tous leurs actes sur des papyrus et beaucoup ont été perdus ou détériorés. On a donc perdu beaucoup de sources sur cette époque, la source qui nous reste est celle de Grégoire de Tours, évêque de Tours, qui a un regard très critique sur cette dynastie.
Puis, à partir de 650 la Chancellerie franque, lieu où l’on scelle le sceau du souverain, délaisse le papyrus au profit du parchemin qui se conserve mieux. Dès lors nous avons de nombreux actes authentiques émis par les rois francs qui nous livrent de nombreuses informations sur cette période. Les rois écrivaient leur nom au bas des actes, ils savaient donc l’écrire et le lire.
Des rois choisis par le Ciel, des lieutenants de Dieu
La lettre d’un évêque à Sigebert III lui écrivant ceci : « Sache que tu es ministre de Dieu institué à cette place pour que tu fasses le bien et pour que les hommes de bien t’aient pour bienveillant auxiliaire, et que ceux qui font le mal sachent que tu es un puissant justicier ». Dans cet écrit tout est dit, le roi Sigebert III, fils ainé de Dagobert I, est légitimé par l’Église, puisque reconnu comme chargé d’une mission par le Ciel et considéré comme juge suprême. En tant que ministre de Dieu sur Terre, le roi doit assurer le salut des fidèles. Le pouvoir royal est bien associé à la chrétienté. Cependant on comprend bien que le roi ne doit pas faillir à cette mission.
Des Mérovingiens à leur chute…
Les rois Mérovingiens étaient des rois semi-itinérants, ils devaient se déplacer pour gérer leur territoire ainsi que pour mieux le défendre. Ils le faisaient par devoir et devaient mettre en place des sites palatiaux. La fonction de ces palais était d’aider le roi qui devait mener cette semi-itinérance. Le palais se composait de nombreux officiers qui étaient fonctionnaires : des chambriers, agents comptables qui forment la chambre du roi, des notaires, responsables des écritures royales et des comtes du palais responsables de la justice royale. Ces personnes devaient suivre le roi et certains personnels restaient sur place. Ainsi, le lieu devenait alors « une villa » qui en la présence du roi redevenait « un palais », car les actes y étaient signés par le roi lui-même, puis par son représentant.
Les institutions centrales de l’État sont modestes avec son palais itinérant et son plaid annuel, sorte d’Assemblée des hommes libres. Cet État peut sembler faible, mais « cette modestie est compensée par une très forte décentralisation du pouvoir », a rappelé Bruno Dumézil
La règle de succession au trône chez les Francs, durant toute la période mérovingienne et au début de la période carolingienne, est fondée sur le partage du royaume entre les fils, et non pas sur le droit d’aînesse : ce qui divisait le royaume et à nos yeux pouvait le fragiliser. Ainsi le royaume a été divisé en quatre royaumes aux frontières fluctuantes : la Neustrie, l’Austrasie, la Bourgogne et l’Aquitaine.
Chacun de ses royaumes a un roi qui y met un intendant. Cet intendant est appelé maire du Palais. Cet aristocrate s’occupe des affaires du palais et gère la fortune du royaume. Le pouvoir du roi faiblit de plus en plus au profit des maires du Palais et pour fidéliser son maire le roi lui offre des terres ce qui renforce de plus belle le pouvoir du maire. Ils acquièrent progressivement du pouvoir politique, s’octroient des pouvoirs judiciaires et se mettent à diriger les fonctionnaires.
Le royaume de Bourgogne a été rattaché au royaume de Neustrie en 613, laissant au seul maire de Neustrie et d’Austrasie la gestion du Palais. Conscient du problème occasionné par la puissance que peuvent prendre les maires, le roi Dagobert arrivé en 632 comme seul héritier des trois royaumes des Francs décide de se séparer de son maire du Palais sentant le danger occasionné par leur pouvoir.
À sa mort, ses trois fils lui succèdent. On redivise alors le royaume en trois, mais ces fils victimes soit de maladie, soit de complots ont une courte espérance de vie. La fonction de maire du Palais prend un pouvoir considérable : il devient maire à vie. Puis de façon héréditaire, se met à gérer de plus en plus de choses dont les armées. Les maires successifs détiennent des pouvoirs au détriment des rois, ils nomment les évêques, les comtes, les ducs, ils iront même jusqu’à choisir les rois.
Les maires s’affrontent jusqu’à ce que Pépin de Herstal, maire du palais d’Austrasie s’impose en réunifiant le Nord du royaume Franc. Puis Charles Martel, son fils devient à son tour maire du Palais. Dès lors la famille des Pippinides, ou Pépinides, succéda aux Mérovingiens. Bruno Dumézil écrit qu’avant « l’essor fulgurant de Charles Martel, l’autorité des rois mérovingiens reste réelle ».
Charles Martel y affronta les armées omeyyades du gouverneur d’Al-Andalus, l’émir Abd el-Rahman. Il tua leur chef Abd el-Rahman et repoussa les Sarrasins, ce qui le rendit célèbre et puissant.
En 751, déposition du dernier roi mérovingien, Childéric III et couronnement de Pépin le Bref, fils de Charles Martel. Lorsque Pépin le Bref se sentit prêt pour se faire élire roi des Francs, Childéric III fut déposé, tonsuré et exilé au monastère de Sithiu (Saint-Bertin), près de Saint-Omer, où il mourut.
L’époque mérovingienne se situe donc entre deux événements historiques, elle commence avec l’avènement de Clovis en 482 et se termine avec celui de Pépin le Bref en 751. Cette période est considérée comme une période de transition à la frontière de l’Antique et du Médiéval. Pour l’historien Bruno Dumézil elle prépare le Moyen Age.
Il souligne que les derniers rois mérovingiens, qualifiés par leurs successeurs, de « rois fainéants » se sont montrés dignes de la confiance de leur peuple. Les Carolingiens, afin de se donner bonne conscience de les avoir destitués, préférèrent les discréditer. Bruno Dumézil explique qu’à partir de 650, lorsque les sources sont mieux conservées, ont été trouvé de nombreux actes signifiants que le palais rend la justice, protège l’église, que les fiscs, les terres publiques, sont administrés avec régularité et précision et que la puissance des palais est bien moindre que ce que l’on a longtemps imaginé. Il en cite pour preuve le roi mérovingien Childebert III (691-711) qui se permet de condamner son maire du palais pour malversation financière. Il était surnommé Childebert le juste et n’a visiblement pas fait néant !
Il qualifie également la culture franque de brillante avec son hagiographie épiscopale et monastique et précisera que la puissance mérovingienne était ostensiblement connue à l’étranger et que « tout le sud de l’Angleterre vit notamment dans l’aura de la brillante civilisation franque ».
Peut-on toujours parler de rois fainéants ? Ne peut-on pas poser le problème des sources et de leur interprétation ?
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