L’histoire des « Justes parmi les nations » débute avec l’épisode qui se déroule du 16 au 17 juillet 1942, connu sous le nom de la rafle du « Vel d’Hiv », ou rafle du vélodrome d’hiver. Il verra l’arrestation de milliers de Juifs parisiens et la détention pendant plusieurs jours de plusieurs milliers d’entre eux, au vélodrome d’hiver de Paris, dans des conditions défiant toute humanité. Cette rafle et ses conséquences funestes, s’est déroulée il y a 82 ans.
Cet épisode aura pour conséquence la prise de conscience de nombreux Français qui, au risque de leur vie, vont permettre le sauvetage de milliers de Juifs, souvent des enfants, de l’extermination. Ils se verront décerner le titre de « Justes parmi les nations », par l’État hébreu.
Le village de Chavagnes-en-Paillers
Chavagnes-en-Paillers est une petite commune française de Vendée, en Pays de Loire. Dans un rayon de 30 à 40 km se situent les villes de La Roche-sur-Yon, Nantes et Cholet. Bien qu’elle semble avoir des origines gallo-romaines, c’est une paroisse qui va se constituer autour d’un prieuré et donner vie à ce lieu en Vendée. Chavagnes qui est placée sous la souveraineté du seigneur de Montaigu verra s’édifier plusieurs fiefs, entre le XIe et le XIIe siècle, avec une garnison dans la forteresse de Benaston.
La guerre de Cent Ans, les guerres de religion porteront atteinte à cette région de Vendée. Après quelques siècles d’accalmie, c’est la Révolution française et les Guerres de Vendée qui sonnent aux portes de Chavagnes-en-Paillers, lui coûtant près d’un cinquième de sa population.
En 1801, le père Louis-Marie Baudouin s’installe en tant que curé de cette petite ville. Il sera très actif dans la reconstruction de la ville et fondera la communauté des Ursulines de Jésus, avec l’aide de la Mère Saint-Benoît et contribuera à la mise en place de la congrégation des Fils de Marie Immaculée, donnant ainsi à Chavagnes-en-Paillers sa nature de « sainte ville ».
La Première Guerre mondiale marque fortement cette commune qui enregistre près de 137 morts pour la France sur son Monument aux morts. Mais c’est surtout la Seconde Guerre mondiale qui verra briller les valeurs d’humanité et d’abnégation de la population dont plusieurs Justes parmi les nations figurent au Mémorial de Yad Vashem et sur le Mur des Justes à Paris. Ils y paraissent pour avoir sauvé et protégé près de 30 enfants juifs, sous l’Occupation allemande.
Les Justes parmi les nations de Chavagnes
L’histoire des Justes parmi les nations de cette petite ville de Vendée aurait pu tomber dans l’oubli, dans ce lieu paisible où vivent près de de 3 000 habitants
Un article France soir du 2 novembre 1999, a relaté une partie de cette histoire pleine d’humanité. Né après la guerre, l’ancien Maire de Chavagnes en Paillers, Mr Claude Coutaud, n’en avait jamais eu connaissance, jusqu’à ce qu’il reçoive un appel téléphonique de Ginette Bornstein-Gosley, qui lui raconte toute son histoire.
Enfant de 4 ans avec sa sœur, et comme beaucoup d’autres enfants menacés de déportation, quarante à soixante enfants juifs ont été recueillis dans différentes familles de Chavagnes entre 1941 à 1944. Le Maire de l’époque, Mr Gilbert de Guerry, avait fait appel à des familles. Ces enfants de 2 à 11 ans venaient de la région parisienne. Leurs parents, des voisins ou des organismes relais, les mettaient dans les trains. Ils arrivaient par petits groupes de frères et sœurs de nuit, à la gare de Montaigu et de la Roche-sur-Yon. Ils étaient ensuite conduits dans des charrettes par le docteur Foucault, aidé de Suzanne Mathieu, 19 ans. Suzanne passeuse d’enfants prenait beaucoup de risques, en faisait des allers - retours à Paris.
Une fois dans les familles d’accueil, situées dans différents endroits de Vendée, notamment à Chavagnes-en-Paillers, l’étoile était enlevée sur les petits manteaux des enfants. Chaque famille leur précisait de ne jamais dévoiler qu’ils étaient juifs, mais de préciser que leurs parents étaient catholiques. Ils devaient déclarer que leur père était prisonnier de guerre, que leur mère travaillait à Paris et qu’ils étaient envoyés à la campagne pour avoir une bonne nourriture et profiter du bon air.
Ainsi chaque enfant pensait qu’il était seul dans le village. Ginette Bornstein, ainsi que sa sœur pensaient qu’elles n’étaient que toutes les deux. Elles ont suivi leur scolarité, ainsi que l’enseignement religieux catholique, pour mieux se fondre aux autres enfants. On leur faisait très vite apprendre par cœur le Notre Père et le Salue Marie. Elles sont restées deux ans à Chavagnes.
Une cinquantaine d’années ont passé, Ginette Bornstein-Gosley et Odette Meyer, devenues universitaires aux États-Unis, ont pris conscience de l’importance de leur histoire. Ginette Bornstein-Gosley, a retrouvé avec stupéfaction d’anciens registres d’écoles où 32 enfants étaient inscrits sous leur véritable identité. La quête de Ginette Bornstein-Gosley sera difficile. Certains avaient changé de nom, d’autres étaient partis à l’étranger et quelques-uns ne voulaient plus se souvenir.
Ils seront une quinzaine à revenir des quatre coins de France, du Canada, des États-Unis après ces longues années de silence, pour témoigner leur reconnaissance à la commune qui leur a servi de refuge. Une plaque commémorative sera dévoilée en l’honneur de Chavagnes et de ses villageois, sous le regard ému d’Armande Chauvet 96 ans ayant accueilli la petite Suzanne Fogiel et ses trois frères.
Marie-Élise Roger 86 ans, dont la maison est située à deux pas du séminaire où se trouvait la kommandantur nazie, avait recueilli le petit David Fuchs, ainsi que d’autres enfants de l’assistance publique. David Fuchs, enfant caché disait en : « Alors qu’un sombre nuage de haine envahissait l’Europe, des lueurs de lumière et d’amour apparaissaient dans des lieux les plus humbles comme Chavagnes-en-Paillers. Alors que disparaissaient nos familles naturelles dans la fumée des trains précédant celle des fours crématoires, d’autres familles ici à Chavagnes-en-Paillers nous ouvraient grand leurs bras et leurs cœurs ».
Marie-Élise Roger et Armande Chauvet resteront les deux seules représentantes des familles d’accueil et recevront la médaille des Justes. La générosité de cœur, en donnant beaucoup d’affection à ces enfants, et cette solidarité sensible resteront pour toujours le souvenir, comme l’a raconté Mme Roger « je n’ai rien fait d’exceptionnel, j’ai seulement accueilli un petit bonhomme qui venait de perdre ses parents, envoyés en déportation. L’étoile jaune dans sa poche je l’ai aimé et je lui ai donné à manger. Si je n’avais pas fait ça, cela n’aurait pas été normal. »
Parmi les personnes qui ont permis de mettre en place ce réseau, on compte : Hélène de Suzannet (1901-1961). Membre de la résistance, elle a aidé les associations juives et facilité le convoi d’enfants vers les familles de Chavagnes. Elle a fait partie des 33 femmes politiques françaises élues députées et siégeant à la Première Assemblée Constituante, en 1945.
Témoignage de Suzanne Mathieu-Guimbretière
Sur le site AJPN, Anonymes, Justes et Persécutés durant la période Nazie dans les communes de France, Suzanne Mathieu relate son histoire.
« En 1936 j’ai 16 ans. Mon père est mort en 1937, ma mère enseigne. Mon frère est parti en Afrique. Nous vivons à Paris avec ma grand-mère. Difficultés de la vie quotidienne, rationnement, tickets… Je passe mon bac en 1941. Je m’inscris à la Sorbonne.
Le 11 novembre 1940, ma mère m’a empêchée de rejoindre les étudiants à l’Arc de Triomphe, mais j’ai déposé avec elle une gerbe de fleurs tricolores à la station Clémenceau.
J’entends par chance l’appel du général de Gaulle le 18 juin à la radio.
Après mon bac, on me demande si je peux être surveillante au lycée collège Sévigné qui n’est pas très loin du Luxembourg. Je vais devoir en outre corriger des copies pour un professeur de français. On donne 50 centimes par copie corrigée… Dans le jardin du Luxembourg, une camarade me propose de convoyer des Juifs. Il faut être aryenne, libre, pouvoir voyager… J’accepte.
C’est après la rafle du Vel d’Hiv. Je suis furieuse de voir que ma meilleure amie est obligée de porter une étoile jaune.
Ma Maman et moi, nous allons nous présenter au bureau de la rue de la Bienfaisance. Il appartient à l’UGIF.
À l’époque, on arrête des Juifs dans tous les quartiers de Paris, et il faut placer d’urgence à la campagne les enfants qui en réchappent pour essayer de les sauver. Nous sommes 5 ou 6 " assistantes sociales ". Je m’occupe de la Vendée, de la Loire-Inférieure et du Loiret et ma mère s’occupe de l’Eure-et-Loire, de l’Eure et de l’Yonne.
Pendant le week-end, nous prenons en charge des enfants à la gare pour les convoyer à la campagne et les loger dans des familles contre rémunération. Il nous faut aller voir les familles d’accueil, et surtout nous renseigner sur les notables, c’est-à-dire le maire, le docteur, le curé… Leur rôle est capital. Il faut qu’ils soient consentants.
Entre 1942 et 1944 je " place " une trentaine d’enfants. Suzanne a 2 ans et demi : c’est la plus petite que je n’ai jamais convoyée. Elle est adorable. Elle a trois frères. J’attends les enfants à la gare d’Austerlitz. Ils arrivent avec de petits baluchons : leurs parents ont disparu ou ils ont intérêt à ne pas se montrer. Suzanne est avec son frère Bernard qui a 4 ans de plus qu’elle, la première fois qu’elle me voit elle jette un regard effrayé. Elle n’a plus de cheveux, parce qu’elle a plein de poux, elle sort d’un pensionnat où elle a été mise parce que ses parents ont été raflés assez tôt. Dans son groupe d’enfants, il y a son frère, et 4 ou 5 autres enfants.
Je décide toute seule comme une sotte, mais je crois que c’est une très bonne idée, d’aller voir le Chef du Cabinet du Préfet de Vendée : je lui dis " vous savez qu’il y a des enfants qui sont malheureux en ce moment et qu’il faut absolument cacher… ". Il me regarde et me dit " oui Mademoiselle, vous voulez dire des enfants dont les parents ont été arrêtés ? ". Je dis " oui, c’est ça : Est-ce que vous pouvez m’assurer qu’en Vendée, puisque la Vendée dépend de vous - il ne se passera rien, ni en Loire-Inférieure… ".
Il ne s’est rien passé de grave : j’ai eu cette chance inouïe, je n’ai eu aucun enfant arrêté, c’est vraiment une chance merveilleuse.
À Chavagnes-en-Paillers je sais à l’avance que telle ou telle famille prend tel enfant : je me suis d’abord entendue avec le docteur Foucault, qui est le docteur de Chavagnes et qui s’occupe très bien des enfants. Un jour je place dans une ferme deux jeunes garçons qui ont une quinzaine d’années : Je reçois un télégramme disant : " Vous pouvez envoyer les deux bœufs ! ". Les " deux bœufs " sont amenés la semaine suivante et tout se passe bien pour eux.
Un jour, on vient nous arrêter, maman et moi, pour nous conduire au commissariat du 5ème arrondissement. On nous fait monter dans le bureau du commissaire qui nous interroge : il nous dit que nous pouvons très bien nous retrouver le soir même à Drancy.
Ma mère lui indique qu’elle connaît M. Prouton qui est le chef de la brigade anti-terroriste, dont j’ai la fille comme élève ! Le commissaire va dans la pièce à côté, il revient et nous dit que M. Prouton nous attend pour déjeuner dans un café… Je crois que c’est peut-être là qu’on a eu le plus peur.
Le jour du débarquement je suis dans une chambre d’hôtel à Montargis pour m’occuper des enfants : toutes les cloches sonnent à 6 heures du matin… Nous sommes très joyeux de penser que c’est fini, que ça va finir. Je regrette de ne pas avoir sauvé plus d’enfants juifs.
J’ai retrouvé les enfants de Chavagnes le 25 juin 2000 ».
Outre la distinction de Juste parmi les nations, Suzanne Mathieu-Guimbretière, s’est aussi vu décerner les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur le 16 février 2008. Ils lui ont été épinglés par Michel Gosley, le mari de Ginette Bornstein-Gosley.
Il fallait une seule personne pour dénoncer une famille juive, mais une très importante chaîne de solidarité pour en sauver une seule. Le silence était la règle de la réussite de ces réseaux.
Il a fallu que s’écoule un demi-siècle pour que la conspiration du silence soit brisée. Ginette Bornstein- Gosley a pensé qu’il était important de retrouver la jeune fille blonde qui leur avait sauvé la vie. Les enfants ont pu la retrouver pour leur plus grand bonheur en confiant leurs bribes de souvenirs à Jean-Luc Gunst, réalisateur de leur film Les enfants du secret.
Lorsqu’en 2002, Suzanne Guimbretière a reçu la médaille des Justes parmi les Nations à la mairie de Paris, une vingtaine de ces enfants et leur famille l’ont rejointe sur l’estrade pour des moments d’intense émotion. « Suzy de mon enfance, c’est grâce à vous que je n’ai pas été enlevé », lui glissera l’un d’entre eux à l’oreille, une belle preuve d’amour et de reconnaissance pour celle qui, modestement, affirme n’avoir fait que son devoir. Est-il précisé sur le site de l’AJPN.
La devise de la ville est Habitare Fratres In Unum, que l’on peut traduire par « demeurer ensemble dans l’unité », notion qui a été portée très haut dans les valeurs humaines déjà très marquées par la nature de « sainte ville » de Chavagnes. L’histoire des Justes parmi les nations de Chavagnes-en-Paillers reflète le dévouement naturel des familles souvent très modestes qui ont accueilli ces enfants mais elle témoigne surtout de l’authenticité des Chavagnais.
La conscience de ces hommes et de ces femmes, reconnus Justes parmi les nations, ou restés anonymes, ont permis de révéler l’humanité et l’abnégation qui à tout moment peuvent se révéler chez l’être humain, même dans les circonstances les plus difficiles.
Propos recueillis grâce à l’aimable collaboration de trois habitants de Chavagnes-en-Paillers : Monsieur Meunier, Monsieur Gilbert et Monsieur de Guerry de Beauregard.
Collaboration Eve Saint-Michel
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