Jeanne d’Arc subit, durant les cinq premiers mois de l’année 1431, de longs interrogatoires aux questions insidieuses pour la faire condamner comme hérétique. Elle fit preuve d’une grande lucidité, d’une droiture et d’une détermination extraordinaires.
Article inspiré du livre de Jules Michelet : Jeanne d’Arc
Capturée à Compiègne en mai 1430 et détenue d’abord par les Bourguignons, qui la cédèrent aux Anglais à l’automne suivant, Jeanne d’Arc resta au total pendant un an emprisonnée dans des conditions pénibles. Le cardinal de Winchester voulait un procès et une condamnation à mort de Jeanne d’Arc pour changer la situation de l’occupation anglaise en France, devenue désastreuse. Le but était de déshonorer Charles VII en prouvant qu’il avait été mené au sacre par une sorcière ou une hérétique, et ainsi de mettre en valeur le prochain sacre du jeune roi anglais Henri VI, à Paris.
Un procès inique pour faire condamner Jeanne d’Arc
Le cardinal de Winchester vint s’établir à Rouen pour superviser de près le procès. L’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, fut sollicité comme juge ecclésiastique et le 9 janvier 1431, celui-ci ouvrit la procédure à Rouen. Il demanda à un moine inquisiteur de participer aux interrogatoires. Les preuves et accusations contre Jeanne d’Arc étaient plus qu’insuffisantes, et les conseillers présents rechignèrent à entamer la procédure de jugement. Le procès, d’abord appelé « procès de magie », devint alors « procès d’hérésie », ce qui laissait plus de liberté dans le choix ou éventuellement l’absence de preuves.
Depuis le château de Bouvreuil où elle était emprisonnée, Jeanne d’Arc fut amenée devant ses juges le 21 février. L’évêque Pierre Cauchon la pria de dire la vérité. Jeanne consentit à parler sur tout ce qui ne touchait pas à ses visions. On l’amena aussi à jurer de répondre « sur ce qui toucherait la foi ».
Le lendemain, on lui demanda, entre autres, de dire le Pater et l’Ave, peut-être avec l’idée que si elle ne pouvait les dire, on pourrait plus aisément l’accuser d’être vouée au diable. Elle répondit adroitement : « Je les dirai volontiers si monseigneur de Beauvais veut m’ouïr en confession » donnant ainsi sa confiance au juge et en faisant le témoin de son innocence. Il ne saisit pas la perche tendue et refusa.
Jeanne parlait parfois de manière sublime : « Vous dites que vous êtes mon juge, avisez bien à ce que vous ferez, car vraiment je suis envoyée de Dieu, vous vous mettez en grand danger. » Probablement irrités, les juges lui demandèrent alors : « Jehanne, croyez-vous être en état de grâce ». Question pernicieuse : dire non, c’était s’avouer indigne d’être instrument de Dieu, dire oui, c’était être présomptueux et le plus loin qui soit de Dieu. Elle répondit modestement : « Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre. Si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir. »
Lors de la cinquième séance, l’évêque revint à la charge et l’attaqua sur les apparitions, sur un signe qui serait apparu au Dauphin, sur Sainte Catherine et Saint Michel. On lui demanda, entre autres, si Saint Michel était nu quand il lui apparaissait. Ne relevant pas la désolante insinuation, elle répondit avec pureté : « Pensez-vous donc que Notre-Seigneur n’ait pas de quoi le vêtir ? »
D’autres questions sournoises tentaient de lui faire avouer une accointance avec le diable : « Les gens d’armes ne se faisaient-ils pas des étendards à la ressemblance du vôtre ? (…) N’avez-vous pas dit que ces étendards leur porteraient bonheur ? - Non, je disais seulement : entrez hardiment parmi les Anglais, et j’y entrais moi-même. »
On demanda encore à Jeanne : « Quelle était la pensée des gens qui vous baisaient les pieds, les mains et les vêtements ? - Les pauvres gens venaient volontiers à moi parce que je ne leur faisais point de déplaisir, je les soutenais et défendais, selon mon pouvoir. »
Les juges trouvèrent un premier motif d’accusation
Tout homme ne pouvait qu’être touché par des paroles aussi nobles et bienveillantes. Alors, l’évêque Cauchon devint plus prudent et interrogea Jeanne d’Arc avec seulement quelques hommes sûrs et à huis clos. Désormais, les enquêteurs insistaient seulement sur quelques points dictés par Cauchon. Les questions insidieuses continuèrent à alimenter les interrogatoires pour tenter de faire tomber Jeanne d’Arc.
On lui demanda si les voix lui avaient ordonné cette sortie de Compiègne où elle fut capturée. Elle répondit : « Les saintes m’avaient bien dit que je serais prise avant la Saint-Jean, qu’il fallait qu’il fût ainsi fait, que je ne devais pas m’étonner, mais prendre tout en gré, et que Dieu m’aiderait… Puisqu’il a plu à Dieu ainsi, c’est pour le mieux que j’ai été prise. »
« - Pourquoi avez-vous sauté de la tour de Beaurevoir ? - J’entendais dire que les pauvres gens de Compiègne seraient tués tous, jusqu’aux enfants de sept ans, et je savais d’ailleurs que j’étais vendue aux Anglais, j’aurais mieux aimé mourir que d’être entre les mains des Anglais. »
« - Sainte Catherine et Sainte Marguerite haïssent-elles les Anglais ? - Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime, et haïssent ce qu’il hait. - Dieu hait-il les Anglais ? - De l’amour ou haine que Dieu a pour les Anglais et ce qu’il fait de leurs âmes, je n’en sais rien, mais je sais bien qu’ils seront mis hors de France, sauf ceux qui y périront. »
« - Jehanne, savez-vous par révélation si vous échapperez ? - Cela ne touche point votre procès. Voulez-vous que je parle contre moi ? - Les voix ne vous en ont rien dit ? - Ce n’est point votre procès, je m’en rapporte à Notre-Seigneur, qui en fera son plaisir… ». Elle reprit après un silence : « Par ma foi, je ne sais ni l’heure, ni le jour. Le plaisir de Dieu soit fait. - Vos voix ne vous ont donc rien dit en général ? - Eh bien ! oui, elles m’ont dit que je serai délivrée, que je sois gaie et hardie… »
Jeanne d’Arc ajouta un autre jour : « … et elles me disent encore : prends tout en gré, ne te soucie de ton martyre, tu en viendras enfin au royaume de Paradis. - Et depuis qu’elles ont dit cela vous vous tenez sûre d’être sauvée et de ne point aller en enfer ? - Oui, je crois aussi fermement ce qu’elles m’ont dit que si j’étais sauvée déjà. - Cette réponse est de bien grand poids. - Oui, c’est pour moi un grand trésor. - Ainsi vous croyez que vous ne pouvez plus faire de péché mortel ? - Je n’en sais rien, je m’en rapporte de tout à Notre-Seigneur. »
Analysant toutes les réponses de Jeanne d’Arc à leurs questions, les juges savaient en leur conscience qu’ils ne pouvaient pas la faire passer pour sorcière et suppôt du diable, mais ils avaient trouvé un motif d’accusation admissible à cette époque-là. Jeanne d’Arc pouvait être accusée de suivre une voie mystique qui égalait ou même surpassait, pour elle, les enseignements et l’autorité de l’Église. Son inspiration et ses révélations venaient de sa soumission à son Dieu intérieur, sans prendre l’avis de l’autorité ecclésiastique.
Controverse sur l’autorité de Dieu et l’autorité de l’Église
Après ces interrogatoires, on lui demanda si elle voulait s’en remettre à la détermination de l’Église. Elle répondit : « J’aime l’Église et je la voudrais soutenir de tout mon pouvoir. Quant aux bonnes œuvres que j’ai faites, je dois m’en rapporter au Roi du ciel qui m’a envoyée. »
La question fut répétée et, sans se contredire, elle ajouta : « C’est tout un, de Notre-Seigneur et de l’Église. »
Un véritable enjeu était posé, qui pouvait aider à comprendre et à pardonner. Mais ce n’était pas le but de ce procès perverti, car ce qu’il était demandé à ces juges et gens d’Église, c’était détruire la réputation et le rayonnement de Jeanne d’Arc, et la condamner à mort.
Pour ces gens d’Église, qui étaient juges au bénéfice des Anglais et contre Jeanne d’Arc, soulagés d’apercevoir enfin une possible issue à ce procès, il fallait distinguer entre l’Église « triomphante », Dieu, les saints, les âmes sauvées, et l’Église « militante », le pape, les cardinaux, le clergé, les bons chrétiens, qui ne peut se disperser. « Ne voulez-vous donc pas vous soumettre à l’Église militante ? - Je suis venue au roi de France de par Dieu, de par la Vierge Marie, les saints et l’Église victorieuse de là-haut, à cette Église, je me soumets, moi, mes œuvres, ce que j’ai fait ou à faire. - Et à l’Église militante ? - Je ne répondrai maintenant rien autre chose. »
Jeanne portait l’Église triomphante, ces saintes et ces anges, dans son cœur. Même si elle voulait soutenir l’Église militante dont le rôle, pour elle, était clair dans ce monde, elle voyait, dans le milieu où elle se trouvait à ce moment-là, toute la perversion et la corruption d’hommes qui se réclamaient de cette Église. Cette Église terrible et implacable, quand elle était dans la personne de l’évêque Cauchon, n’avait-elle même plus à rendre compte de ce procès à une juridiction supérieure ?
C’est alors qu’un légiste de Rouen et deux moines ne purent, en leur conscience, laisser ignorer à l’accusée qu’elle pouvait faire appel auprès de la juridiction du pape. Dans un sincère esprit de justice, ils allèrent à la prison et se firent ouvrir les portes pour conseiller Jeanne. Elle fit alors appel au pape et au concile. Cauchon était furieux, et les trois hommes pris en « flagrant délit » d’honnêteté furent en danger de mort. Ils disparurent et avec eux disparut la dernière manifestation du droit dans le procès de Jeanne d’Arc.
Un deuxième motif d’accusation
Aux juges, rien ne semblait plus grave concernant Jeanne d’Arc, ou du moins le laissaient-ils croire, que d’avoir pris un habit d’homme et de ne plus vouloir le quitter. Ils lui rappelèrent que, selon les canons, ceux qui changent l’habit convenant à leur sexe sont abominables devant Dieu. Elle leur avoua qu’elle ne savait pas quand elle pourrait le quitter. « - Mais si l’on vous prive d’entendre la messe ? - Eh bien, Notre-Seigneur peut bien me la faire entendre sans vous. - Voudrez-vous prendre l’habit de femme, pour recevoir votre Sauveur à Pâques ? - Non, je ne puis quitter cet habit, pour recevoir mon Sauveur, je ne fais nulle différence de cet habit ou d’un autre. »
Jeanne d’Arc rougissait de devoir s’expliquer. Elle n’osait dire qu’elle était en continuel danger dans sa prison. Trois soldats couchaient dans sa chambre. Enchaînée à une poutre, elle était presque à leur merci. De plus, le cardinal Winchester, l’évêque Cauchon et l’inquisiteur avaient chacun une clef de la tour et venaient observer Jeanne.
Son habit d’homme, de soldat ou de chevalier, protégeait Jeanne du désir des hommes, car aucun n’aurait osé mettre une main concupiscente sur un habit d’homme. À cette époque tous croyaient à Dieu, ou pour le moins se méfiaient du diable et de l’enfer.
Jeanne eut d’autres nombreuses épreuves dans sa prison, telles que la maladie, les menaces et les insultes. Elle sut résister et garder sa droiture, accompagnée et renforcée par ses voix divines.
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