La prise de Jérusalem, en 637, par les armées musulmanes, allait rendre difficile le pèlerinage des chrétiens vers le Saint-Sépulcre dans les siècles suivants. L’appel du pape Urbain II en 1095, pour protéger les lieux saints, déclencha l’épopée des croisades.
À partir du VIIe siècle, après le développement de la religion musulmane dans la péninsule arabique et après un siècle de conquête, les Arabes musulmans établirent un empire islamique, divisé en plusieurs califats, s’étendant de l’Asie centrale jusqu’au royaume des Francs, en passant par l’Afrique du Nord et la péninsule ibérique.
Deux courants religieux séparés par la Méditerranée
La progression des musulmans en Occident au VIIIe siècle fut stoppée et peu à peu refoulée par la Reconquista des chrétiens dans la péninsule ibérique et par les armées franques de Charles Martel dans ce qui était encore le royaume des Francs. La mer Méditerranée délimita, à cette époque, deux courants religieux différents : les musulmans au sud et les chrétiens au nord. Les chrétiens étaient eux-mêmes divisés entre l’Église latine et l’Église grecque et orthodoxe, présente dans l’empire romain d’Orient ou empire byzantin.

Les nombreux chrétiens souhaitant faire un pèlerinage à Jérusalem étaient normalement protégés, mais ils furent discriminés par un impôt à payer et des interdictions telles que construire des lieux de culte, porter des symboles chrétiens, monter à cheval ou être armé. Néanmoins, malgré toutes les restrictions, les nouveaux maîtres de Jérusalem, globalement, autorisèrent les pèlerinages vers les lieux saints jusqu’en 1071.
Au Xe siècle en Asie centrale, un chef turkmène, Seldjouk, se convertit à l’islam sunnite. Ses descendants, les Turcs seldjoukides conquirent la Perse chiite. « La situation (des chrétiens) empira avec l’apparition des Turcs. Arabes et persans, les anciens maîtres de l’islam oriental avaient depuis longtemps perdu sous l’influence d’une civilisation raffinée leur combativité première. Les Turcs, au contraire, race militaire par excellence, endurcis par des siècles de nomadisme et de misère dans les âpres solitudes de la Haute Asie, allaient apporter au monde musulman une force neuve ». écrivait l’historien René Grousset dans son livre L’épopée des croisades.Au XIe siècle, les chrétiens en pèlerinage à Jérusalem subirent des restrictions et des persécutions. En outre, les Turcs Seldjoukides s’imposèrent en Anatolie jusqu’aux portes de Constantinople. Les Seldjoukides prirent Jérusalem en 1071, chassant de la ville les musulmans chiites, et ils interdirent les pèlerinages venant d’Occident.
L’empereur byzantin Alexis 1er Comnène entretenait de bonnes relations avec le pape Urbain II, élu en 1088, ce qui par ailleurs mit fin aux dissensions entre chrétiens d’Orient et d’Occident. Les armées d’Alexis 1er résistaient de plus en plus difficilement aux assauts des puissances seldjoukides et des nomades Petchenègues. Alors l’empereur byzantin demanda au pape Urbain II son soutien par le recrutement de chevaliers et de mercenaires pour lui venir en aide. Le pape Urbain II accepta, y voyant aussi l’opportunité d’étendre l’influence de l’Église catholique en Orient et de délivrer les lieux saints chrétiens qui n’étaient plus respectés.

L’appel du pape au concile de Clermont
Le pape convoqua un concile à Clermont (Clermont-Ferrand) en 1095 réunissant de nombreux évêques, à la fin duquel il prononça un discours en présence d’une foule de clercs et de laïcs réunis dans un champ, à l’extérieur de la ville. Le discours d’Urbain II ne fut pas retranscrit, mais quatre clercs, témoins directs du discours, racontèrent l’événement, ce qui permit d’en connaître les principaux thèmes. Il y évoqua la souffrance des chrétiens d’Orient et la destruction vers 1009 du Saint-Sépulcre (tombeau du Christ), reconstruit quelques années plus tard par des chrétiens d’Orient. Il y fit part du besoin de soutien militaire de l’empereur byzantin. Il appela les chrétiens à aller secourir Alexis 1er de Comnène et délivrer les lieux saints, promettant l’indulgence plénière (rémission des péchés) pour les combattants.
Cet appel à la « guerre sainte » marquait dans l’Église médiévale une rupture par rapport au message d’amour et de paix de Jésus. (…) Ce changement trouvait son origine dans la progressive sacralisation de la guerre entreprise par la papauté au sein d’une société guerrière attirée par les jeux violents, que l’Église du reste, cherchait à ritualiser pour en limiter les effets », affirme Jean-Christian Petitfils dans son livre Histoire de la France.
La nouvelle de l’appel du pape Urbain II se répandit rapidement dans le royaume franc. La réponse du peuple chrétien dépassa les espérances. Un prédicateur, Pierre l’Ermite, enthousiasma les foules. Des milliers de personnes se préparaient déjà à partir vers Jérusalem. Cousant des croix de tissu sur leurs habits, on les appela les croisés. « L’impossibilité d’aller se recueillir sur le tombeau du Christ parut insupportable à cette société toute chrétienne, où les pèlerinages étaient une manifestation essentielle de la foi. » écrit Jean-Christian Petitfils.

La croisade populaire, fervente et généreuse mais inorganisée et parasitée par des brigands
Pierre l’Ermite, avec l’aide d’un certain Gautier Sans-Avoir, se mit à la tête d’une croisade des pauvres. « Ce mouvement ne répondait guère aux vues d’Urbain II (…) mais on ne soulève pas l’Europe, on ne bouleverse pas la face du monde sans entraîner de remous... » convenait René Grousset. C’était un groupe inorganisé et sans connaissance réelle du long trajet à parcourir. En avril 1096, quinze à vingt mille pèlerins marchaient vers le lieu saint, pauvres gens qui demandaient, à chaque apparition de ville à l’horizon, si c’était là Jérusalem.
Pierre l’Ermite avait accepté dans sa troupe des vagabonds, voire des gens sans foi et des criminels, espérant la rémission de leurs fautes, mais qui eurent tôt fait de revenir à leurs mauvais instincts. Selon certains historiens, des bandes incontrôlées commirent des pillages en chemin et massacrèrent des Juifs dans les villes rhénanes. La ville de Semlin en territoire hongrois fut saccagée ainsi que la ville de Nish en territoire grec. La réaction des autorités byzantines fut sévère : ils tuèrent plusieurs milliers de ces croisés et encadrèrent le reste de la troupe jusqu’à Constantinople. L’empereur Alexis Comnène leur conseilla de ne pas aller combattre les Turcs avant l’arrivée de la croisade seigneuriale. La fin de cette troupe de croisés fut pitoyable. À cause des méfaits de certains, de l’indiscipline et du non-respect des conseils avisés de l’empereur byzantin, ces malheureux furent surpris et massacrés massivement par les Turcs.

La croisade des seigneurs et chevaliers
Les croisés nobles, barons et chevaliers bien armés et équipés, étaient scindés en quatre unités dirigées par des chefs charismatiques, dont Godefroi de Bouillon d’une force stupéfiante, d’une loyauté proverbiale, et d’une piété exemplaire. Leur plan était d’apporter leur soutien aux contingents grecs d’Alexis 1er, puis de marcher vers les lieux saints. De juin 1097 à juin 1099, les chevaliers croisés combattirent dans les régions entre Constantinople et Jérusalem et de nombreuses villes d’Anatolie et de Syrie furent prises et soumises. Non loin de Jérusalem, Godefroi de Bouillon envoya son cousin Baudoin du Bourg et le chevalier Tancrède de Hauteville avec une centaine de cavaliers en reconnaissance sur Bethléem, la ville native de Jésus. René Grousset raconte : « Après avoir galopé toute la nuit, la petite troupe atteignit Bethléem à l’aube. Quand les chrétiens indigènes reconnurent les Francs, ce fut une explosion de joie. Tous, tant de rite grec que de rite syriaque, sortirent en procession avec leurs croix et leurs évangiles, en entonnant des psaumes triomphants pour accueillir ces libérateurs venus du fond de l’Occident ».
Les croisés arrivèrent le 7 juin 1099 en vue de Jérusalem dont ils firent le siège. Elle fut prise le 15 juillet 1099 au cours d’une effroyable tuerie. Les populations musulmanes et juives de la ville en furent chassées. « Le soir même de ce jour, ils montèrent au Saint-Sépulcre. Ils lavèrent leurs mains et leurs pieds, quittèrent leurs vêtements ensanglantés pour des robes neuves et, pieds nus, se rendirent aux Lieux Saints. La fureur du combat était tombée. Chez ces hommes rudes, après tant d’épreuves et de périls, rien ne subsistait plus qu’une immense émotion religieuse. » relate René Grousset.

Les territoires latins d’Orient
Il fallait consolider maintenant la conquête. Qui deviendrait le chef du nouveau territoire franc de Jérusalem ? Godefroi de Bouillon fut choisi, tout en lui attirant les suffrages, mais il refusa de porter la couronne royale, par égard pour le Christ qui n’avait porté que la couronne d’épines dans cette Jérusalem. Il prit modestement le titre d’Avoué du Saint-Sépulcre. Ce fut son frère qui, plus tard, à sa mort, devint le premier roi du royaume franc de Jérusalem, sous le nom de Baudoin 1er. Les croisés créèrent d’autres territoires chrétiens sur les terres déjà conquises : le comté d’Édesse, le comté de Tripoli et la principauté d’Antioche.
La croisade terminée, de nombreux chevaliers commencèrent à partir de Jérusalem pour d’autres territoires conquis ou pour retourner en Europe. Les armées croisées restant sur place se retrouvèrent dans une situation d’infériorité avec des effectifs réduits. Vingt jours après la conquête de Jérusalem, une puissante armée musulmane égyptienne entra à nouveau en Palestine. Godefroi de Bouillon réussit à faire revenir les chevaliers déjà partis et à regrouper rapidement toute l’armée franque. Par surprise, elle mit en déroute l’armée égyptienne dans la ville d’Ascalon où elle avait fait étape trop longuement. Après cette bataille périlleuse, Godefroi de Bouillon demanda à deux princes qui rentraient en France de lui envoyer rapidement des renforts.
Le pape tenta alors de les renforcer en lançant trois croisades de secours, mais elles furent toutes anéanties en Anatolie. Néanmoins, les territoires latins parvinrent à repousser plusieurs offensives des musulmans fatimides (chiites) du Sud. Ils profitèrent même des divisions et des conflits entre les princes seldjoukides (sunnites) pour étendre et consolider leurs possessions.

Deux ordres religieux militaires en soutien aux croisades
Dans le sillage des croisades, mais en contraste avec la tradition monastique occidentale, des ordres militaires apparurent au début du XIIe siècle. Ces ordres « militaro-religieux » cherchaient à concilier vie de prière et vie guerrière. L’ordre du Temple s’était donné pour mission de protéger les pèlerins sur le chemin de Jérusalem, tandis que l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean avait pour vocation l’accueil et le soin des pèlerins. C’était un nouvel idéal de chevalerie qui fut apprécié par les chrétiens sur place. Ces ordres recrutaient dans l’aristocratie laïque et s’érigeaient en protecteurs du Saint-Sépulcre et des nouveaux territoires latins d’Orient.
« Les deux institutions fournirent au royaume de Jérusalem ce qui lui manquait le plus, une armée permanente dont les prises d’armes féodales ne donnaient pas l’équivalent. Par leur bravoure incomparable, leur esprit de sacrifice et leur connaissance de la guerre musulmane, Hospitaliers et Templiers rendirent d’inappréciables services à la cause franque. Ce ne fut que plus tard que, rendus orgueilleux par leur valeur et par leur richesse, ils eurent tendance, surtout les Templiers, à pratiquer une politique fâcheusement particulariste et firent trop souvent preuve d’indocilité envers la royauté comme envers l’Église », écrit René Grousset. Ils devinrent en quelques décennies une remarquable puissance financière et certains commencèrent à dénoncer leur dévoiement de l’esprit chevaleresque.
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