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Histoire. Naissance au Moyen Âge, entre joie et fatalité

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La naissance d’un enfant a, de tout temps, été source d’émerveillement et de joie pour les parents. Au Moyen Âge en France, le nouveau-né était considéré comme un don du Dieu créateur. 

Le Moyen Âge est une longue période de l’histoire européenne qui s’étend du Ve au XVe siècle. C’était une période empreinte d’un profond sentiment religieux. En France, malgré l’apparition de certaines hérésies, l’autorité de l’Église catholique était majoritairement reconnue par les gens de l’époque. Les enfants étaient accueillis avec bienveillance sur cette terre fertile. 

Des regards différents sur la grossesse et le fœtus

Aux yeux des parents vivant au Moyen Âge, le bébé en développement pendant la grossesse, était un être conscient. Il pouvait éprouver des sentiments, jouer dans le ventre de sa mère, avoir peur, pleurer ou s’ennuyer. Il n’était pas non plus à l’abri de la maladie. Selon le moine bénédictin Guibert de Nogent (1055-1125), le fœtus parfois ne voulait pas naître et remontait haut dans le ventre de sa mère, c’était ainsi qu’il expliquait sa propre naissance difficile.

Les médecins considéraient le fœtus comme un enfant. Constantin l’Africain, médecin et moine du XIe siècle, affirmait qu’il méritait ce nom dès qu’il prenait forme humaine et qu’une âme lui était infusée. Aristote, suivi sur ce point par l’Église médiévale, estimait cette apparition de l’âme dans le corps à 40 jours pour un garçon et 90 jours pour une fille. Dans l’֤Évangile de Luc, il est dit que Jean-Baptiste tressaille dans le ventre d’Elisabeth au moment de croiser Marie, enceinte de Jésus.

Le point de vue des juristes était encore différent : ils ne donnaient le nom d’enfant qu’après la naissance. Avant de naître, ils l’appelaient « fruit » ou « ventre enceint » de la mère et lui reconnaissaient cependant certaines capacités. Peut-être le fœtus avait-il une conscience, mais pour les juristes, il avait avant tout des droits. Par exemple, il était considéré comme un héritier, un père pouvait doter sa fille à naître ou réserver à son fils à venir une partie de son héritage, en vertu de l’adage juridique selon lequel « celui qui est encore à naître ne doit pas être lésé ».

Naissance au Moyen Âge, entre joie et fatalité
L’enfant était considéré comme un don du Dieu créateur. (Image : wikimedia / Céline Rabaud, CC BY-SA 4.0)

Les familles nombreuses  

Les familles nombreuses étaient fréquentes au Moyen Âge, surtout dans les campagnes. On peut facilement penser que, pour des familles rurales travaillant dur pour gagner leur pain, accueillir un enfant de plus dans une famille déjà grande était une charge supplémentaire difficile à assumer. Cependant, les plus grands enfants pouvaient aider leurs parents à bien des tâches. De plus, le pays était peu peuplé à l’époque, il y avait du travail pour tous, une forte demande de main-d’œuvre dans la plupart des métiers, dans l’armée et dans de nombreux monastères. Ce qui pouvait amener vraiment des soucis, c’était plutôt les maladies ou les épidémies, les accidents ou le manque de temps pour donner une bonne éducation. 

Les ménages royaux donnaient aussi l’exemple : Saint Louis (1214-1270) eut dix frères et sœurs et eut, avec sa femme Marguerite de Provence, onze enfants. Saint Thomas d’Aquin, moine dominicain (1225-1274), affirmait : « Tout foyer n’est point parfait où il n’y a pullulement d’enfants ». L’époque était ainsi, les enfants étaient les bienvenus. L’histoire du Moyen Âge serait difficile à comprendre si on n’y intégrait pas la foi du peuple chrétien en Dieu et en la création de Dieu. Le rapide repeuplement après les guerres, les nombreuses fondations de villes du XIIe et XIIIe siècles, ces événements seraient inexplicables sans cette importante fécondité. La population était en forte expansion.

La naissance avec l’aide et le soutien de femmes expérimentées

Généralement, la femme accouchait dans sa maison. Dans les familles relativement aisées, on préparait la pièce pour la naissance. Des pièces de tissu étaient tendues pour donner un peu de chaleur et de confort et offrir un peu d’intimité à la parturiente. La layette de l’enfant était préparée à l’avance. Certains disposaient des médailles représentant la Vierge. La mère de la jeune parturiente était le plus souvent présente aux côtés de la matrone ou sage-femme. Quelques voisines ou amies pouvaient être là aussi, ayant le rôle d’encourager et de soutenir la jeune mère.

Quand le moment était venu, on allumait un feu dans la cheminée, un lange était mis à chauffer. Un cuvier était rempli d’eau pour baigner l’enfant. L’accouchement était une affaire de femmes, les hommes et les enfants en étaient exclus. Le père pouvait néanmoins se rendre utile dans diverses tâches secondaires, répondant aux besoins des assistantes entourant sa femme en couche. Certaines assistantes se relayaient, après la délivrance, pour prendre soin de bien faire manger la mère. Elle pouvait être entretenue ainsi jusqu’à ses relevailles. 

« De nombreuses représentations montrent des femmes accouchant assises ou accroupies. La position allongée ne fut recommandée par les médecins qu’à partir du XVIIe siècle, sous prétexte de faciliter le travail. Quand on craint que l’enfant ne soit trop gros, la parturiente peut "faire gésine", c’est-à-dire prendre un bain pour faciliter l’accouchement ». Extrait de l’article Dans la chambre de l’accouchée de Céline Ménager, dans la revue Questes. Si l’accouchement s’avérait difficile, on pouvait user d’onguents, de plantes telles que laurier, armoise, coloquintes. Les massages faisaient partie des compétences des sages-femmes. Une tâche discrète mais importante des assistantes était de mémoriser et de témoigner sur les faits et gestes de la matrone, si l’accouchement avait une issue fatale. 

Naissance au Moyen Âge, entre joie et fatalité
La bonne disposition d’esprit de la mère était une condition importante pour une naissance heureuse. (Image : wikimedia / Internet Archive Book Images, No restrictions / Nat Freitas via flckr.fr)

Quand l’enfant naissait, la sage-femme ou l’assistante la plus expérimentée le prenait en charge. Elle coupait le cordon, lui donnait le bain, puis il était langé. Les assistantes refaisaient le lit de la mère, la changeaient et lui servaient une bonne collation, souvent accompagnée de vin pour lui redonner des forces. Le bébé était souvent emmailloté de façon très étroite, les bras allongés et coiffé d’un petit bonnet. Dans le Sud-Ouest, on lui massait le crâne.

Des méthodes pour les naissances difficiles au Moyen Âge

Un accouchement était heureux quand la femme sentait de la douleur dans le bas du corps et quand sa respiration était bonne. Sa bonne disposition d’esprit était une condition importante pour une naissance heureuse. On s’attendait plutôt à un accouchement difficile quand la femme était très angoissée, quand elle était très jeune ou quand la température de la chambre était trop élevée ou trop basse. 

Voici deux extraits d’un Mémoire de fin d’études : Un accouchement médiéval par Anke Talina van der Weij : « La méthode, utilisée par Soranus, (..) qui aurait probablement pu sauver la vie de beaucoup de femmes et d’enfants, était une technique de retourner à l’intérieur les enfants et les extraire prudemment par les pieds. Il s’agit ici d’enfants qui n’étaient pas installés assez profondément dans le bassin ou qui étaient en traverse dans la matrice. » Soranus était un médecin gréco-romain du IIe siècle ap. J.-C.

« Pour des raisons de honte, on ne parlait pas de la meilleure position pendant l’expulsion de l’enfant dans les textes médicaux, mais les représentations iconographiques montrent que la plupart des femmes choisissaient une position assise ou accroupie. » 

Hippocrate et Soranus étaient de fervents partisans de l’usage des chaises. La chaise obstétricale s’inclinait en arrière plus qu’une chaise normale et elle avait une ouverture au fond, de sorte que la femme pouvait rester assise pendant l’expulsion de l’enfant et du placenta. Mais pour favoriser le bien-être physique et aussi mental de la mère, la sage-femme laissait la mère choisir elle-même la position la plus agréable. 

Naissance au Moyen Âge, entre joie et fatalité
La sage-femme ou ventrière était la personne de confiance pour accoucher en sécurité. (Image : wikimedia / Auguste Toussaint Lecler / Domaine public)

La sage-femme était la personne de confiance, favorisant une naissance heureuse

La sage-femme était une femme expérimentée et connaissait l’anatomie féminine. Elle était couramment appelée « ventrière » au Moyen Âge. On a trouvé des indices de cette profession dans la période antique où elle était déjà pratiquée. Il est probable que chaque civilisation humaine ait eu des femmes spécialisées dans l’accompagnement des femmes enceintes et de leur accouchement, car c’était toujours un évènement important, pour la famille d’abord, mais aussi finalement pour la vie de la communauté entière.

La ventrière ne percevait souvent pas de rémunération, mais elle était entretenue, nourrie et recevait des cadeaux. Pendant la grossesse, elle guidait la femme par ses conseils sur le régime alimentaire ou sur des vêtements adaptés à son état. La plupart d’entre elles connaissaient l’utilisation des plantes, la confection de pommades et la pratique des massages. À la fin du Moyen Âge, la profession fut souvent réglementée en ville et certaines sages-femmes furent rétribuées par les municipalités à partir du XIIIe siècle. 

La sage-femme était souvent amenée à connaître l’intégrité des femmes et l’intimité des familles. Elle pouvait être sollicitée dans des affaires judiciaires, par exemple pour prouver l’âge ou la filiation d’une personne ou dans les cas de vol d’enfant et d’infanticide. Elle intervenait parfois auprès de la justice ecclésiastique pour annuler un mariage ou pour une enquête de moralité, comme ce fut le cas avec Jeanne d’Arc. Aux XIIIe et XIVe siècles, les médecins recommandaient volontiers l’intervention de la sage-femme lors de l’accouchement. Mais au XVe siècle, alors même que l’entrée dans le métier s’officialisait, la sage-femme commença à être perçue comme une concurrente du médecin. 

Baptême du nouveau-né et bénédiction de la mère 

Le baptême de l’enfant était très important et cette cérémonie prenait place généralement dans les trois jours suivant la naissance. La mortalité infantile étant élevée en ce temps-là, la famille catholique craignait que l’enfant meure avant qu’il fût fait chrétien. C’était considéré comme péché mortel. En outre, existait la croyance des enfants morts sans baptême errant dans les limbes ou revenant hanter leurs parents.

Les familles se dépêchaient de réunir parrains et marraines. C’étaient des personnes que l’on voulait honorer ou dont les mérites étaient reconnus. Ils devenaient ainsi les témoins et la mémoire des événements importants (et en premier lieu, la naissance et le baptême) dans la vie de l’enfant. L’enfant était baptisé dans l’église paroissiale, même si les parents avaient, dû à leur rang, une chapelle privative. Ainsi, Saint Louis, fait chrétien dans l’église de Poissy, signait parfois Louis de Poissy, car c’est là, disait-il, que, devenu fils de Dieu, il avait reçu la plus grande de toutes ses dignités. Le ou les prénoms étaient généralement choisis par ses parrains et marraines. Lorsqu’il s’agissait du fils d’un seigneur, il y avait parfois délibération entre les hauts personnages présents, sur invitation des parrains. 

Naissance au Moyen Âge, entre joie et fatalité
L’immersion fut remplacée peu à peu par l’infusion qui consistait à verser l’eau sur le front du nouveau-né. (Image : wikimedia / Basilica of St. Sernin, CC BY-SA 4.0)

Le bébé, déshabillé, était plongé un court instant dans la cuve baptismale. Soigneusement essuyé, il était emmailloté dans des langes secs. Entre les XIIe et XVe siècles, l’immersion disparut peu à peu devant le rite de l’infusion qui consistait à verser l’eau sur le front de l’enfant. On se borna, au lieu de le dévêtir, à lui ôter son petit bonnet. Le nouveau petit chrétien était alors ramené à sa mère, anxieuse et joyeuse, qui l’embrassait souvent pour la première fois.

La joie de la famille était partagée avec les voisins et voisines, on festoyait. Une naissance princière était célébrée par tous les sujets. Sitôt l’enfant né, des messagers étaient envoyés dans tout le pays, les cloches sonnaient, des prisonniers étaient libérés en échange de prières pour le sang royal, le peuple dansait dans les rues et autour de feux de joie.

La jeune mère, après son complet rétablissement, généralement après deux à trois semaines, se rendait à l’église paroissiale où le curé la recevait et prononçait sur elle les prières dites de « relevailles », commémorant la purification et les actions de grâce de la Vierge, quand elle présenta son enfant Jésus au Temple. Cette cérémonie de bénédiction permettait à la jeune femme de réintégrer la vie paroissiale.

Le plus souvent, l’allaitement naturel de la mère allait de soi

La plupart des mères allaitaient naturellement elles-mêmes leurs bébés. Elles se résignaient difficilement à confier leur bébé à une nourrice, si elles y étaient obligées à cause du manque de lait, de graves maladies ou d’autres circonstances. Peut-être savaient-elles, intuitivement ou par l’observation, que l’enfant profitait mieux du lait de sa mère qui était parfaitement adapté à son développement ? Cela semblait donner moins de scrupules à beaucoup de dames de famille aisée, attirées par l’éclat de la vie en société, laissant facilement à d’autres le soin de nourrir leurs enfants, et même de les élever.

La vie urbaine se développa remarquablement à la fin du Moyen Âge, amenant, pour des gens sans fortune, des conditions de vie difficiles et la spécialisation des tâches. De jeunes mères se trouvèrent forcées, pour garder leur emploi ou pour sauver un bébé fragile, de le confier à une nourrice. « Les nourrices à domicile se recrutaient à Paris et dans les grandes villes par bureaux de placement tenus par des religieuses qui offraient asile aux pauvres filles jusqu’à ce qu’elles eussent trouvé un emploi. Plus tard et concurremment, des recommanderesses firent métier de les placer. Les nourrices mercenaires avaient des exigences qui ne se sont guère modifiées au cours des siècles : se reposer, boire et manger à volonté ». Extrait du livre La vie au Moyen Âge de Geneviève d’Haucourt, édition Que sais-je ?

Naissance au Moyen Âge, entre joie et fatalité
La cérémonie des relevailles permettait à la jeune femme de réintégrer la vie paroissiale. (Image : wikimedia / Bycro, CC BY-SA 4.0)

Une naissance est, en même temps qu’une joie, l’occasion de nouvelles charges. Pour les rendre plus légères, parents et amis apportaient des cadeaux, donnaient la layette (le linge et les vêtements du nouveau-né). Les coutumes s’adoucissaient en faveur de la jeune maman, par esprit de charité et de solidarité. Par exemple, à Thann, petite ville de l’Alsace, tous les possesseurs de jardins devaient une redevance en poules et en œufs au seigneur du lieu, mais en étaient exemptés les pères de famille dont la femme avait accouché dans les deux mois avant la date des redevances. 

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