La notion de rois thaumaturges, (θαυματουργός, thaumatourgós) « faiseurs de miracles » en grec ancien, associant « thaûma » (merveille) et « ergon » (œuvre), a souvent été conférée aux rois de l’histoire de France. Ainsi ces rois de France étaient perçus comme les représentants de Dieu sur terre, et en tant que tels, ils étaient reconnus comme investis de pouvoirs divins.
Les rois thaumaturges : ces rois « faiseurs de miracles »
Ces rois « faiseurs de miracles » et la croyance en ce miracle ont été mis en lumière par l’historien Marc Bloch dans sa thèse Les Rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale, particulièrement en France et en Angleterre, publiée en 1924. Dans cette étude de l’histoire des mentalités, Marc Bloch analyse grâce aux sources d’époque retrouvées, le caractère surnaturel attribué aux rois qu’il situe à partir de la dynastie des Capétiens en France, avec Robert le Pieux, et avec, en Angleterre, Henri II des Plantagenêt, un siècle plus tard.
Ce caractère thaumaturge qui caractérise ces rois concerne donc les rois du XIe jusqu’au XIXe siècle.
Ces rois sont des rois guérisseurs, des rois qui ont le don de soigner et de soigner particulièrement la maladie des écrouelles. Cette maladie s’appelait autrefois l’adénite cervicale chronique. Elle était souvent d’origine tuberculeuse et provoquait des fistules purulentes localisées sur les ganglions lymphatiques du cou. Ces fistules laissaient de vilaines traces, des cicatrices. Mais la maladie n’était normalement pas mortelle : elle déformait l’apparence du malade.
Des rois qui ont le don de soigner la maladie des écrouelles
La plupart des inflammations ganglionnaires étaient d’origine tuberculeuse. Les ganglions les plus facilement attaqués par la tuberculose sont ceux du cou et lorsque des soins ne sont pas portés (de nos jours par des antibiotiques), des suppurations se produisent et atteignent la face, le visage de l’individu contaminé. Cette maladie est donc visible par tous, elle rendait l’apparence de l’individu contaminé particulièrement déplaisante.
Dans différents écrits anciens une confusion réside entre les affections du visage ou des yeux et la maladie des écrouelles. Ces maladies impressionnantes font qu’une personne contaminée s’avère donc être « repoussante ». Cette maladie était selon le témoignage des médecins du Moyen-Âge et des temps modernes véritablement endémique dans de nombreuses régions de l’ancienne Europe.
Le roi était considéré comme un Saint
La royauté était perçue comme merveilleuse et sacrée, le roi était considéré comme un Saint, son caractère divin provenant du sacrement. La dimension divine du roi date des débuts de la monarchie française.
Lors de son accession au pouvoir, Clovis, premier roi des Francs, se convertit au christianisme en se faisant baptiser par l’archevêque Saint-Rémi à Reims. Clovis se fait d’ailleurs oindre avec une huile miraculeuse : l’huile sacrée de la Sainte Ampoule, apportée selon les écrits retrouvés, par une colombe dans le ciel, mélangée avec du Saint chrême.
Ce rite est ensuite repris par tous les rois de France, matérialisant ce lien particulier avec Dieu. En 869 la Sainte Ampoule fut redécouverte dans le tombeau de Saint-Rémi et elle fut alors dès 1027 ajoutée au rituel du sacre, afin de légitimer le pouvoir de droit divin des rois.
Le pouvoir sacré de ces rois guérisseurs tient donc à ce caractère sacré de la royauté, cette royauté christianisée et sacrée lors d’une cérémonie à Reims, où l’onction leur est donnée avec cette huile miraculeuse apportée par l’évêque de Reims. L’onction royale consiste à enduire le front, les épaules et les mains d’une huile sainte issue de « la sainte ampoule de Dieu » celui qui va être couronné.
En France à cette époque, le plus important dans le couronnement était le sacre avec l’onction d’une huile sainte sur le roi et non pas par le couronnement lui-même comme dans la plupart des autres pays. Le premier roi à être sacré est Pépin le Bref, cette alliance avec l’Église catholique assurait sa légitimité. Le premier roi à être couronné et sacré dans la cathédrale de Reims est Louis le Pieux en octobre 816. Le dernier roi à y être sacré est Charles X en mai 1825, ce qui annonce le début puis la fin des rois thaumaturges.
Quel rituel ou comment soigner la maladie ?
Le rituel est extrêmement simple, c’est la réplique d’un usage antique, un geste magique qui était pratiqué par les Saints pour guérir les malades. Les rois reproduisaient l’image sacrée où les Saints avaient triomphé des maladies.
Ce geste magique consiste en un simple toucher, le roi touchait de la main les parties infectées du malade. A cet ancien geste magique il ajoutait un rituel spécifiquement chrétien : le signe de croix sur les patients ou sur leurs plaies.
Les rois suivirent donc l’exemple des Saints depuis l’origine du rituel, dès Robert II en France et dès le XIIIe siècle en Angleterre. Le signe divin accompagnait toutes les actions importantes de la vie et là, le roi manifestait aux yeux de tous qu’il exerçait au nom de Dieu son miraculeux pouvoir.
Les sources anglaises de l’époque du XIIIe siècle formulaient tout simplement que le roi « signe » les malades, cela indique qu’il les touchait.
Dans les anciennes Vies d’Edouard le Confesseur, ce dernier évoque une femme scrofuleuse qui fut avertie par un songe d’aller trouver son roi. Selon les hagiographes, elle apprit par cette révélation qu’elle serait délivrée de son mal « si elle se faisait laver par le roi, avec de l’eau ». On voit, dans la suite du récit, le roi oindre les parties malades du bout de ses doigts humectés d’eau. Là aussi on reconnaît un vieux procédé, legs de la plus lointaine magie : le liquide où un thaumaturge avait trempé ses mains passait pour recevoir de ce contact des propriétés miraculeuses. En général c’est à l’imposition des mains que toutes les descriptions autorisées du rite anglais et français attribuaient le pouvoir de guérir.
Le caractère thaumaturge de l’eau
Dans ce cérémonial pourtant, des deux côtés de la Manche, l’eau tenait une petite place. Après avoir posé leurs doigts sur tant de tumeurs, les rois lavaient leurs mains. Ce geste de propreté n’avait pas à l’origine ce pouvoir thaumaturgique. Puis, pour avoir mouillé une main qui savait guérir, elle semblait, à son tour, devenue un remède.
Un moine de Corbie, Étienne de Conty, qui composa vers le début du règne de Charles VI un petit traité sur la royauté française, décrivit dans cet opuscule le rite des écrouelles. Le roi, dit-il, après avoir touché, se lavait. L’eau qui lui avait servi à cet usage était recueillie par les malades, ils la buvaient, durant 9 jours, à jeun et dévotement, après quoi ils étaient guéris « sans autre médecine ».
« Le roi te touche, Dieu te guérit »
Le cérémonial français à partir du XVIe siècle se déroulait généralement aux grandes dates religieuses et pouvait attirer jusqu’à deux mille malades, dont certains venaient d’au-delà des frontières. Après avoir pris le pain et le vin afin de communier au corps et au sang du Christ, (bien que l’impossibilité de recevoir la communion n’enlève rien à la valeur du sacrement), le roi touchait chaque malade à l’endroit des plaies en traçant un signe de croix et en prononçant la formule suivante « Le roi te touche, Dieu te guérit » puis avait lieu une distribution d’aumônes.
Les rois, par ce cérémonial : une imposition des mains sur le patient, soignaient la maladie des écrouelles. Le peuple et le roi avaient une croyance telle que le miracle pouvait avoir lieu. Il en résulte qu’une croyance forte peut provoquer des miracles.
Une telle manifestation du divin était tout à fait concevable à l’époque, peut-on raisonnablement parler de nos jours « d’erreur collective », comme le sous-entend Marc Bloch dans sa thèse ?
Face à tous ces faits découlait une croyance collective, peut-on sagement la remettre en question ?
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