Patronne de Paris, femme d’influence et vierge consacrée, Sainte Geneviève a marqué le Ve siècle : cette période qui a vu le déclin de l’influence romaine sur La Gaule et la montée des Mérovingiens. Que connaît-on vraiment de cette Sainte qui n’était pas fille de roi, mais qui a su gagner le cœur des premiers rois francs ?
Geneviève remarquée pour sa grâce divine
Elle est née à Nanterre vers 420, dans une famille vraisemblablement de propriétaires terriens aisés et est décédée en 500, dans la ville de Paris. Selon sa biographie, Vita sanctae Genovefae, écrite vers 520, Geneviève semble avoir été élue par Dieu, dès sa naissance et des miracles l’accompagneront tout au long de sa longue vie.
Elle a été repérée dans la foule par l’évêque Germain D’Auxerre (380-448), un « ancien haut fonctionnaire romain qui a exercé la charge de gouverneur militaire pour tout l’Ouest de la France ». Il se rendait en Grande-Bretagne en compagnie de l’évêque Loup de Troyes (395-479) et faisait halte dans la ville à Nanterre.
Selon l’hagiographie de Sainte Geneviève, éclairé par une lumière divine, Saint Germain discerna cette modeste enfant dans la foule accourue sur ses pas : « Béni soit, dit-il à ses parents, le jour où cette enfant vous fut donnée. Sa naissance a été saluée par les anges, et Dieu la destine à de grandes choses ». Puis, s’adressant à la jeune enfant, il la confirma dans son désir de se donner tout à Dieu : « Ayez confiance, ma fille, lui dit-il, demeurez inébranlable dans votre vocation. Le Seigneur vous donnera force et courage ». L’évêque lui proposa de se consacrer à Dieu et lui remit un pendentif fait d’une pièce de monnaie marquée d’une croix.
Pourquoi a-t-elle été remarquée par cet évêque ? Dans un entretien paru en octobre 2020, dans le magazine Codex, Bruno Dumézil, professeur d’histoire médiévale à l’université Paris-Sorbonne, apporte une réponse à cette question. Il relate que l’auteur de la première biographie de Sainte Geneviève, « nous présente Geneviève comme ayant été élue par Dieu dès sa naissance (…). Il faut relier cette insistance narrative aux conflits théologiques des Ve et VIe siècles, notamment au pélagianisme ». Il apporte un éclairage sur ce conflit en précisant dans son entretien « qu’il y a un débat pour savoir si c’est Dieu qui envoie sa grâce le premier ou bien si c’est l’homme qui, par ses mérites, obtient la grâce divine. Notre auteur est anti-pélagien. Il considère que la grâce est prévenante et développe cette idée à travers la vie de Geneviève. L’hagiographie est alors une littérature de combat ! ».
La « virginité consacrée »
« Au Ve siècle, il n’y a pas encore de monachisme féminin. En revanche, il y a une virginité consacrée pour les jeunes filles, et une viduité consacrée pour les veuves. Ces femmes ne se marient pas, sans pour autant vivre en communauté », précise aussi l’historien dans cet entretien.
Cet état, dû à la non-existence de réelles congrégations religieuses réservées aux femmes, présentait certains avantages pour les femmes de cette époque. « Dès le IVe siècle, on constate que les aristocrates romaines sont tentées par cette vie, pour des raisons spirituelles certainement, mais aussi pour des raisons financières, car elles conservent leurs biens. Elles ont une certaine autonomie et peuvent gérer des fortunes colossales, surtout à l’époque franque », relate Bruno Dumézil.
« Dans le cas de Geneviève, il s’agit d’une vocation précoce et authentique. Ses parents vont mettre du temps à l’accepter. Nous sommes dans une période de crise démographique. Ce choix peut entraîner l’extinction d’une famille », explique-t-il.
Une période charnière de l’histoire de France
Bruno Dumézil permet de bien situer cette période de l’histoire de France qui verra la Gaule passer de romaine à mérovingienne. Elle a vu naître et grandir celle qui allait devenir Sainte Geneviève. Il est surtout intéressant de savoir que cette époque était très peu documentée. Il précise dans l’entretien avec le magazine Codex : « C’est pour cette raison que nous faisons appel aux vies de saints, que les historiens considèrent d’ordinaire comme une sous-littérature. Elles font partie des rares textes narratifs à notre disposition pour cette période et sont souvent rédigées par de grands auteurs ».
L’historien spécialiste de l’époque médiévale permet une autre lecture de cette période. Ainsi, à sa naissance, Sainte Geneviève « vit encore dans l’Empire romain qui se porte relativement bien, même si Rome a été prise par les Wisigoths en 410. Les Gaules forment un territoire morcelé. Le Nord, c’est-à-dire la Belgique actuelle, est contrôlé par les Francs qui travaillent pour l’Empire romain. La Picardie, et sans doute Paris, est placée sous l’autorité d’un général romain mais il a pris son indépendance par rapport à l’empereur. La Bourgogne est aux mains des Burgondes qui obéissent à l’empereur… de Constantinople ! ».
Bruno Dumézil continue en expliquant que : « Tout le Sud est confié aux Wisigoths qui obéissent quand ça leur chante. Pour autant, on vit encore dans un monde théoriquement romain. C’est le cadre mental qui subsistera jusqu’à la fin du VIe siècle. Geneviève doit se sentir Romaine. Lorsqu’elle disparaît, en 500-502, nous sommes dans le royaume franc de Clovis. C’est le début de ce que nous appelons le Moyen Âge. Elle fait le grand écart ».
De même, apprend-on que le prénom de Geneviève viendrait du latin Genovefa, et serait peut-être d’origine germanique. Les prénoms de son père Severus et de sa mère Gerontia ont aussi renforcé cette hypothèse. Ils seraient des Germains installés dans un monde romain qui auraient pris des prénoms latins. Mais l’hypothèse contradictoire qui voudrait que sa famille, d’origine romaine, a adopté des prénoms d’origine germanique prévaut aussi.
Sa famille est aisée, ce qui va permettre à Sainte Geneviève de bénéficier d’une certaine liberté d’action et surtout de fonds nécessaires pour ses actions. Pour autant les temps sont difficiles sur l’ensemble du territoire. Car, « le Ve siècle est particulièrement horrible dans les Gaules. Il y a des guerres sans arrêt. Les populations souffrent du passage des troupes, barbares ou impériales. Comme dans tous les moments où un modèle social se brise, cette situation offre des opportunités aux gens qui n’avaient pas le pouvoir. Un certain nombre de femmes prennent de l’autonomie. C’est le siècle des grandes impératrices. Geneviève s’inscrit dans ce mouvement ».
De Geneviève à Sainte Geneviève
Après sa rencontre avec l’évêque Saint Germain D’Auxerre, Geneviève continue à vivre dans sa famille. Ses parents auront un peu de mal à accepter sa vocation. Mais quelques années plus tard, elle reçoit la « consécration des vierges ». Sa biographie précise qu’à la mort de ses parents, elle ira vivre chez sa marraine à Paris, ville connue sous le nom de Lutèce à cette époque. Elle continue à y mener une vie faite de prières et de pénitences. Il est dit qu’elle ne rompait le jeûne que le dimanche et le jeudi. Sa forte personnalité ne laisse pas les autres indifférents. Ainsi, elle dirige plusieurs groupes de vierges.
Elle s’investit dans de nombreuses actions. Par exemple, elle effectue un pèlerinage sur la tombe de Saint Martin de Tours (316-397), ou Saint Martin le Miséricordieux, à Tours. Elle participe aussi à la construction de la première basilique sur la tombe de Saint Denis, qui a vécu au IIIe siècle et a été le premier évêque de Paris. Bruno Dumézil nous apprend qu’elle se déplace beaucoup. Elle se rend à Tours, Troyes, Orléans …, rencontrant un accueil chaleureux dans ces différentes villes. Ces différentes actions vont asseoir sa réputation au sein de la population, mais aussi lui donner une bonne connaissance stratégique de la région.
L’épisode avec Attila (vers 395-453), le roi des Huns, va sceller son aura de Sainte. Bruno Dumézil nous apprend « qu’on le situe au début des années 450, quand Attila attaque les Gaules. Les Huns sont passés par Metz, ils ont perforé les défenses romaines, vraisemblablement dans la région de Troyes, et s’approchent du bassin parisien. Une question se pose… Faut-il défendre Paris ? Le biographe nous dit qu’à ce moment-là Geneviève organise des veillées de prières avec des femmes et refuse de quitter la ville, contre l’avis de certains hommes, peut-être pas tous ».
Mais Sainte Geneviève a raison et Paris sera épargnée : « Attila et ses hommes ne vont pas attaquer Paris, sans doute parce que cela ne représente aucun intérêt pour eux. C’est une cité de seconde zone. Les Huns se dirigent plutôt vers Orléans. Geneviève n’a jamais vu Attila. Il est passé à cent kilomètres ».
La ville épargnée par le pillage va tout de même souffrir de la famine, provoquée par les guerres incessantes à cette époque. C’est encore Geneviève qui organisera le ravitaillement de la ville, grâce aux bateaux qu’elle enverra à Troyes et qui ramèneront de quoi alimenter la population.
La ville exprimera sa reconnaissance à cette jeune vierge qui a été considérée comme une Sainte par la population qu’elle a su protéger.
Collaboration Eve Saint-Michel
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