Redonner toute sa valeur à la laine et aux métiers et activités qui en dépendent est la vocation des journées de la laine, dans un village d’Occitanie. Ces rencontres conviviales, à l’approche de l’hiver, mettent en lumière les qualités de cette matière bienfaisante et naturelle, du mouton jusqu’aux articles d’une grande variété, écrus ou colorés, en passant par les nombreuses étapes de transformation de la laine.
L’association Atoutlaine est l’organisatrice des Journées de la Laine, chaque premier week-end de décembre, et cette année à Daumazan sur Arize, en Ariège. Ces rencontres ont pour objectif de présenter au public la filière de la laine dans son intégralité, du mouton offrant sa laine au pull-over ou à l’isolation d’un toit, et d’y échanger sur les savoir-faire et pratiques existants.
Cantilana, les articles en feutre de laine et l’enthousiasme d’Hélène
Hélène est feutrière en Haute-Garonne. Elle récolte la laine chez ses voisins éleveurs de moutons, puis elle la porte à laver et carder à la filature. Le lavage, le séchage et le cardage de la laine sont des étapes demandant beaucoup d’eau et du matériel spécifique. Hélène fait des chaussons, des oreillers, des semelles en feutre, quelques tapisseries murales et des vêtements (vestes et manteaux) dont elle n’a pas renouvelé le stock cette année.
Hélène prépare chez elle la laine pour le feutrage, puis elle l’emporte à Montbrun où elle peut louer un atelier collectif, « l’Atelier du bocage », avec une machine à feutrer. Cette machine permet de faire de grandes nappes de feutre, cela économise beaucoup de la force physique qu’il faudrait pour feutrer cette laine à la main. Hélène, ensuite, termine le travail chez elle, car il faut encore faire des retouches manuelles pour parfaire le travail.
Feutrer la laine, c’est relier les fibres de laine entre elles, pour former une sorte de nappe non tissée. Il y a principalement deux méthodes. Le feutrage à l’eau se fait avec de l’eau chaude et du savon. Les fibres de laine ont des petites écailles, un peu comme des pommes de pin. Le savon et la chaleur de l’eau ouvrent les écailles, et en frottant la laine, les écailles vont s’imbriquer ensemble, se refermer et ne plus s’ouvrir, agglomérant et resserrant les fibres de laine entre elles.
Dans l’atelier de Montbrun, il y a cette machine à feutrer qui fait le travail mécaniquement. Hélène prépare une grande surface de laine de 3 mètres par 1,20 mètre sur une feuille plastique. Elle enroule le tout sur un rouleau en métal qui est disposé dans la machine pour être frotté par deux autres rouleaux. Hélène versera régulièrement de l’eau chaude et savonneuse dessus, changera son sens de rotation aussi. C’est un long processus. La rotation, le frottement et la pression de ces trois rouleaux, avec l’ajout régulier d’eau savonneuse, vont permettre le feutrage de la laine.
Cette machine à Montbrun a une particularité : le « rouleau » du dessous est de section carrée et donc il tape sur le feutre au lieu d’avoir un frottement continu. C’est pour reproduire une technique observée en Turquie, notamment, où les gens feutraient la laine en tapant du pied sur le rouleau de laine qui allait et venait entre deux rangées de personnes face à face.
La deuxième méthode, le feutrage à sec, se fait à l’aide d’aiguilles spéciales, munies de petits harpons, mais c’était traditionnellement plutôt pour les petits objets. Cependant, il existe aussi des machines industrielles pour la production de feutre aiguilleté.
Les différentes laines n’ont pas toutes la même capacité à feutrer. La laine de la race locale de mouton, la tarasconnaise, ne se feutre pas si facilement. Pour remédier à cela, Hélène fait des mélanges de différentes laines. Par exemple, pour les semelles en feutre, elle mélange 50 % de laine de mouton Ouessant, qui feutre très fort, avec 50 % de laine tarasconnaise. Pour du feutre blanc, elle mélange 30 % de laine Mérinos à 70 % de laine tarasconnaise.
Oisio, l’élevage des vers à soie de Céline, la renaissance d’une tradition millénaire
Céline s’est lancée récemment dans l’élevage du ver à soie, pour travailler une soie de sa propre production. Elle a appris la technique d’élevage au Japon pendant dix mois. Céline ne sait encore combien elle pourra produire de soie par an. La soie est une fibre naturelle sécrétée par certains papillons, par les araignées et même par des coquillages. Ce qu’on appelle communément soie provient du papillon de nuit « Bombyx mori » et a été découvert il y a plus de 4 500 ans en Chine.
De l’œuf au papillon de nuit, en passant par la chenille qui s’enroule dans son cocon de soie pour se transformer, c’est une longue histoire.
Céline produit de la soie domestique, donc provenant du « Bombyx mori » sélectionné et domestiqué par l’homme. Il est nourri, sous abri, avec des branches de mûrier blanc, trois fois par jour. Céline produit aussi de la soie sauvage, provenant d’autres espèces de vers à soie qui se nourrissent par eux-mêmes sur les arbres. Ceux-là sont élevés en semi-liberté.
Pour récolter la soie des cocons, une des méthodes consiste à dévider les cocons. La fibre d’un cocon peut atteindre une longueur d’1,5 km. Cela produit de la soie grège extrêmement fine et continue, qui est ensuite assemblée et retordue pour réaliser un fil de soie résistant et de l’épaisseur désirée.
D’autres méthodes travaillent sur des cocons ouverts et abandonnés par les papillons. La soie peut alors être cardée et filée comme de la laine.
Céline est très confiante dans son élevage de vers à soie et, malgré qu’il n’y ait pour le moment que des passionnés qui s’y intéressent, elle met beaucoup d’espoir dans cette activité et espère pouvoir en vivre, car c’est une production textile renommée et bien valorisée.
Lana Circus, tapis tissés en laine et semelles colorées, l’inspiration de Marie-Agnès
Marie-Agnès a été bergère pendant une trentaine d’années dans le Lot. Elle n’a plus de troupeau maintenant, ce qui lui donne la disponibilité nécessaire pour tisser. Le tissage est une opération un peu longue. La préparation et la vente sur les marchés, comme ici à Daumazan ou encore à Felletin, un marché réputé de la laine dans la Creuse, demandent aussi de la disponibilité.
Les brebis de race limousine, race locale dans la région où habite Marie-Agnès, ont des toisons blanches qui prennent bien la teinture. Cette laine est de qualité plutôt rustique, mais en sélectionnant bien la période de tonte, les éleveurs et troupeaux qui lui fournissent la laine, et en la triant rigoureusement, Marie-Agnès est arrivée, au fil des années, à un bon résultat dans sa qualité de laine à tisser.
Marie-Agnès teint elle-même sa laine quand elle est en écheveaux, car elle est plus facile à manipuler et la couleur se répartit mieux. Elle fait la cueillette saisonnière de ses plantes tinctoriales.
Auparavant, elle utilisait déjà ces plantes pour teindre le feutre. C’était une grande découverte et une grande passion pour elle, il y a 20-25 ans. Et puis elle a commencé, comme d’autres feutrières, à avoir mal au dos. Le tissage n’est pas de tout repos non plus, mais ce sont d’autres mouvements, d’autres gestes.
Marie-Agnès est surtout intéressée par la confection de tapis. Le fil de chaîne de ses tapis est en coton ou en lin, rarement en laine avec, dans ce cas, un fil de laine très résistant. Marie-Agnès file au rouet son fil de trame à partir de ses toisons cardées et elle fait des associations de fils de différentes couleurs pour obtenir des pelotes de laine aux belles nuances de couleurs. Ces cordonnets colorés doivent être assez épais et résistants pour faire des tapis.
Sur le stand, il y a un grand tapis en feutre coloré. Marie-Agnès explique qu’il est destiné à faire des semelles. Il y a plusieurs années, elle était une pionnière dans la confection de semelles en feutre et cela se vendait bien. D’abord, elle avait commencé par faire des chapeaux comme beaucoup de feutrières. Mais la vente n’était pas terrible. Comme le dit Marie-Agnès : « On est attiré par les chapeaux, mais je vois très peu de monde avec des chapeaux sur la tête ! Donc, il y a une vingtaine d’années, par dérision, j’ai pris des chapeaux et, en les découpant, j’ai commencé à faire des semelles, la semelle, c’est dans la chaussure, ça ne se voit pas, c’était un peu de la dérision. Eh bien… les gens étaient super contents, ouah ! On va avoir chaud ! des semelles de feutre ! ça faisait appel à l’ancien temps, ça plaisait. »
À la suite de ce succès, Marie-Agnès a fait exprès des tapis feutrés et teintés pour faire des semelles très colorées, ce qui paraît assez étrange à mettre dans des chaussures. Mais cela s’est tellement bien vendu, que, dans les années suivantes, d’autres ont commencé à faire des semelles. Maintenant, tout le monde en fait.
Marie-Agnès continue à en faire de la même manière, en découpant les semelles une à une aux ciseaux, dans ses grands tapis de feutre aux couleurs de teintures végétales variées. D’autres feutriers les font à partir de grandes plaques de feutre assez dures, de couleur unie et découpées en série au laser. Marie-Agnès arrête le processus de feutrage quand le feutre est encore moelleux. Il y a de la douceur et de belles couleurs végétales dans ses semelles en feutre.
Tissage, vêtements, coussins, tout en simplicité chez Mickaël
Mickaël, après avoir tenté l’aventure dans différentes activités agricoles, a entrepris de faire des vêtements localement dans des matières naturelles. C’est en échouant à trouver des vêtements produits en France avec des matières locales que Mickaël a eu l’idée de commencer à en confectionner lui-même.
Mickaël s’est spécialisé dans le tissage et il demande les services d’une couturière pour coudre les vêtements. Quand il vend un vêtement ou un autre article cousu, il met la moitié du gain de côté pour racheter de la laine et payer la couturière.
Sur le stand de Mickaël, ce sont les nuances de blanc et de noir, couleurs naturelles de la laine, qui dominent. Cependant, il y a aussi quelques petits tapis aux diverses nuances de couleur ocre. Les teintures sont à base de plantes : lichen, bouleau, brou de noix, garance.
Mickaël mène une vie un peu différente des autres, de manière très simple, très économe. Il espère, au fond, que le marché puisse s’ouvrir plus, pour en tirer un revenu suffisant, et que les gens reviennent aux vêtements produits localement, de manière traditionnelle et naturelle.
La Caussenarde, des éleveurs de moutons du Lot se regroupent, au stand de Pierre
Pierre est un éleveur à la retraite maintenant, mais il continue à s’occuper de la valorisation de la laine des brebis de race caussenarde, au sein d’un groupement d’éleveurs du Lot. C’est une laine aux caractéristiques bien particulières, très intéressante pour le rembourrage. Elle a du gonflant et du ressort, elle est idéale pour faire des matelas, des couettes, des oreillers, des coussins. Pierre fait remarquer que « dans les années 70, elle était très recherchée, les Japonais achetaient de la laine sur les Causses du Lot pour faire des futons. Et les Anglais en achetaient aussi pour faire du tweed et des chemises ». Le tweed est un tissu typiquement anglais, très résistant au froid et à l’humidité.
C’est une laine rustique, qui ne serait pas assez douce pour être portée sur la peau, mais elle peut faire un bon fil à tricoter. Dans l’association d’éleveurs, la Caussenarde, dont fait partie Pierre, la laine des différents troupeaux est mise en commun. Une fois la laine triée, elle appartient dès lors à l’association. Cette laine est transformée chez un matelassier de l’Aveyron. Ensuite, la plus-value qui est faite sur les articles et produits issus de cette transformation sert à rémunérer les éleveurs.
L’association La Caussenarde est présente sur différents marchés annuels de la laine dans la région depuis 25 ans maintenant. C’est souvent Pierre qui tient le stand, car il est à la retraite, mais il y a aussi des bénévoles de l’association, qui ne sont pas éleveurs mais qui sont passionnés par la laine, qui viennent prêter main forte parfois. Ce sont essentiellement des articles de literie qui sont faits avec cette laine. La literie absorbe un gros volume de laine, d’où son intérêt, mais avec une plus-value assez faible sur les articles produits.
En faisant un bon tri, une petite partie de la laine des toisons est assez fine pour faire du fil à tricoter et des tissus (des draps de laine) pour la confection de plaids, réalisés à Mazamet dans le Tarn. Cette laine plus fine représente environ 10 à 15 % de la laine travaillée dans l’association, mais elle est beaucoup mieux valorisée.
Malgré toute cette belle motivation pour revaloriser la laine, la rémunération des éleveurs concernant ce produit issu de leur élevage reste faible. Cela permet juste de payer le chantier de tonte : c’est-à-dire l’attrapeur des moutons, le tondeur et le trieur de laine. La mondialisation, là aussi, a fait des ravages. Mais Pierre reste confiant et souligne que c’était le premier but de l’association : pouvoir payer le chantier de tonte des moutons, que la laine ne soit plus une charge pour les éleveurs. À partir de là, la laine peut commencer à reprendre de la valeur pour les éleveurs, qui y font plus attention, la traitent mieux et ne la laissent plus s’accumuler dans les granges comme un déchet.
Quand Pierre s’est installé en 1982, la laine payait le chantier de tonte et fournissait même un petit revenu. Avant la dernière guerre mondiale, la laine était la production et le revenu principal de l’éleveur de moutons. C’était avant l’arrivée du tissu synthétique.
Nomad, sacs en feutre et autres matières, les pièces uniques de Stéphanie
Stéphanie crée des sacs atypiques en s’inspirant du « sauvage ». Elle crée elle-même ses modèles qui sont des pièces uniques. Ce qui intéresse avant tout Stéphanie, c’est la création : « faire parler les mémoires oubliées », dit-elle de façon poétique. La couture, qu’elle fait principalement à la machine, est secondaire pour elle.
C’est l’association de différentes matières et textures qui donne des pièces vraiment originales. Stéphanie tente constamment de trouver une harmonie dans les formes et les couleurs. Elle travaille avec de la laine du Massif central, qu’une amie lui fournit. Il y a d’autres matières, dans la réalisation de ses sacs, qu’elle récupère ailleurs : des peaux, certains lainages, des objets en métal, des boutons, des bouts de bois, des cordes… des choses glanées ici et là.
Stéphanie aime les objets. Elle aime qu’ils continuent à vivre d’une autre façon. Elle aime recycler, non pas en fondant tout, mais en gardant la forme initiale et en l’intégrant dans un ensemble équilibré.
Tous ces éleveurs et artisans admirables, malgré des temps économiquement difficiles, restent toujours passionnés et fidèles à la laine. Ils sont confiants dans la pérennité et la pertinence de leurs métiers ancestraux au service de nos besoins vitaux ou de notre bien-être.
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