Construire un château fort sans matériel moderne et en utilisant les techniques du Moyen Âge demande beaucoup de temps et d’efforts physiques. Cependant, participer au chantier du château de Guédelon est aussi une expérience fabuleuse qui offre une meilleure compréhension du travail et de la vie des gens à l’époque médiévale.
Le projet audacieux du château de Guédelon
Le château de Guédelon se situe près du village de Treigny dans l’Yonne, au nord-ouest de la région Bourgogne. Il est la propriété de Michel Guyot et de Maryline Martin. Ils en sont les principaux actionnaires. Maryline Martin est aussi la directrice générale du chantier médiéval.
Le projet audacieux de sa construction est venu de Michel Guillot, propriétaire du château de Saint-Fargeau, à quelques kilomètres de Guédelon. Quand on lui révéla qu’un château fort s’était élevé jadis au même emplacement que son château actuel, il eut l’idée de reconstruire ce château, mais à la manière ancienne, avec les outils et les techniques du Moyen Âge. Savait-il déjà dans quelle longue aventure fantastique, lui et nombre de personnes allaient s’engager ?
Réunissant un groupe d’architectes, d’historiens et d’archéologues, le projet prit corps peu à peu dans les années 1990. Le projet du château de Guédelon devait s’appuyer sur un scénario fictif basé sur le contexte social réel de l’époque, notamment le rang du seigneur local et le nom du bâtisseur du château. L’édifice devait refléter le style architectural de Philippe Auguste, roi de France de 1180 à 1223, connu pour avoir uniformisé l’architecture militaire des châteaux du royaume de France.
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Au printemps 1997, l’architecte en chef des Monuments historiques, Jacques Moulin, dessine les plans du permis de construire du château qui répondent aux critères de l’architecture philippienne. C’était un château avec un plan quadrangulaire et six tours : une grande tour, une tour de chapelle, deux petites tours d’angle et, à l’entrée, les tours jumelles de la porte principale. Il y eut tout un travail de préparation du chantier. Il fallait trouver un lieu, convaincre les administrations, obtenir les autorisations nécessaires, recruter les premiers artisans…
Jacques Moulin dit à propos de Guédelon : « Le chantier de Guédelon m’a fait profiter d’une expérience irremplaçable dans ma fonction d’architecte en chef. Si je veux des restaurations correctes, j’ai besoin de retrouver un savoir-faire dont même les entreprises spécialisées n’ont pas la même connaissance. Nous sommes confrontés à un paradoxe : faire du vieux avec des méthodes radicalement modernes. »
Le chantier deconstruction commença réellement en 1997 et il est toujours en cours. Florian Renucci, maître d’œuvre du château, explique : « Nous avons imaginé une histoire à ce château et l’avons ancrée dans une réalité historique. Pour nous, le chantier commence en l’an 1229, sous la régence de Blanche de Castille. »
Quand on entre dans le château en construction de Guédelon, on entre dans le Moyen Âge. « La totalité du chantier, on a voulu qu’elle soit le reflet d’une vie quotidienne du XIIIe siècle », nous dit Florian Renucci, dans une vidéo sur lefigaro.fr. Tout reste naturel, doux aux yeux et aux oreilles. Il y a beaucoup d’activités, pourtant ce n’est pas stressant, c’est certainement le véritable et juste rythme des hommes et des femmes depuis des millénaires. On a déjà oublié tout cela, entourés maintenant d’écrans et de bruits stridents. Ici, pas d’électricité, pas d’engins modernes, pas de grues non plus, maisdes grandes poulies, des longues scies, des échafaudages en bois, des chevaux et des charrettes.
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« Guédelon illustre la totalité des problématiques d’aujourd’hui. On produit sans électricité, sans pétrole. Tous les matériaux proviennent de circuits courts. Nos matériaux à Guédelon, c’est du bois, de la pierre, de la terre », affirme Florian Renucci.
La méthode pour construire et comprendre
La gestion quotidienne d’un chantier du XIIIe siècle reste aujourd’hui encore difficile à appréhender. Le projet Guédelon permet de mettre réellement en pratique les outils et les techniques de la construction au XIIIe siècle. Il permet également de trouver des solutions « de terrain », crédibles, pour des problèmes ponctuels.
Une méthode a dû être adoptée pour définir le mieux possible les choix architecturaux. Les architectes ont pu s’appuyer sur des sources iconographiques comme les enluminures et les vitraux et sur les comptes de chantier du XIIIe siècle, qui sont néanmoins peu nombreux et incomplets. Ils ont pu aussi faire des relevés in situ sur les châteaux de référence de cette époque. En outre, ils ont bénéficié de sources scientifiques modernes, telles que des comptes rendus de colloques, des thèses et des rapports de fouilles.
« On a pour devise : construire pour comprendre. Donc, en fait, on se bâtit un cahier des charges de construction, pour ne pas placer une cheminée du XIVe siècle ou faire une fenêtre qui serait du XIIe siècle, pour obéir ainsi à une authenticité, une homogénéité de la construction », indique Florian Renucci.
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Il existe également une source d’informations qui fut au cœur des échanges dès le début de l’aventure et qui est particulièrement bien accueillie sur le chantier : les conseils et observations des visiteurs. Car nombreux sont ceux qui, au cours de leur visite ou à la suite de celle-ci, font part de leurs connaissances sur telle ou telle technique ou sur la présence d’un élément architectural près de chez eux.
Un château construit à proximité des matériaux nécessaires
L’endroit où se construisait un château au Moyen Âge n’était pas décidé par hasard. C’était souvent un point stratégique pour contrôler une voie de passage ou un édifice permettant au seigneur des lieux d’affirmer, à la vue de tous, son pouvoir et son autorité.
Un autre facteur important était la ressource du terrain en matières premières pour la construction. Au Moyen Âge, les transports coûtent3 cher, notamment en raison de nombreux péages et taxes. En outre, réalisés par traction animale sur routes ou sur voies d’eau, ces transports allongeaient considérablement le temps de la construction. Il était primordial de trouver un terrain pouvant fournir l’essentiel des matériaux : une forêt, une carrière de pierre, de la terre, du sable, de l’eau. Le site de Guédelon fut choisi car il répondait à ce critère.
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À Guédelon, la pierre, du grès ferrugineux, est extraite de la carrière située au pied du château. Une autre pierre, le calcaire, est utilisée dans le château pour les ouvrages d’art comme les voûtes, les fenêtres, les ornementations finement ciselées. Cette pierre provient d’une carrière située à quelques kilomètres du château.
Le bois utilisé est du chêne, abondant dans la forêt de Guédelon. Les bûcherons abattent les arbres selon un plan de coupe précis. Chaque arbre abattu a déjà son utilisation et sa place définie dans la construction du château.
Il y a différentes terres sur le terrain de Guédelon. De la terre sableuse qui, après tamisage, sert à réaliser le mortier de construction des murs. De la terre argileuse qui permet aux tuiliers de mouler les tuiles de toit et les carreaux de pavement du château. Enfin, des pigments extraits du sol comme l’ocre et l’hématite sont utilisés pour réaliser les peintures murales du château.
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« Il a fallu recommencer cinq fois la construction du four, qui en est maintenant à sa 33ème cuisson et auquel on doit les milliers de tuiles, qui sont actuellement posées sur le logis de Guédelon, faites à partir de l’argile moulée sur place, à la tuilerie », révèle Florian Renucci.
Les artisans, le savoir-faire et les outils au château de Guédelon
Il y a sur le chantier une vingtaine de métiers différents. Les carriers, tailleurs de pierre, charretiers, maçons constituent une chaîne d’ouvriers transformant, à partir de la carrière, un bloc de grès ferrugineux de plusieurs tonnes en pavage, en murs et en tours sur le château. Les bûcherons, les charpentiers coupent et travaillent le bois pour élaborer les toits, les portes, les fenêtres, les escaliers et les planchers. Les tuiliers et couvreurs allient leurs techniques ancestrales pour mettre, dans les règles de l’art, les bâtiments à l’abri des intempéries. On trouve aussi des forgerons, des cordeliers, des vanniers, etc. Les paysans nourrissent et s’occupent des animaux et cultivent les jardins. Le boulanger et les cuisiniers œuvrent à la restauration de tout ce monde.
Florian Renucci exprime son admiration : « Guédelon, après 25 ans, va livrer aux générations futures à la fois un patrimoine matériel, mais c’est aussi un patrimoine immatériel de gestes. Je pense à la carrière, où le carrier n’est pas quelqu’un qui “tape comme un sourd”, mais qui réfléchit et qui va (..) trouver en s’économisant la meilleure stratégie pour fournir quotidiennement la matière suffisante aux maçons et aux tailleurs de pierre pour qu’ils puissent construire. »
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Les forgerons du château sont à la fois des taillandiers fabriquant des outils et des clous, des ferronniers réalisant des ouvrages d’art en fer, des serruriers et des couteliers, des maréchaux-ferrants entretenant et ferrant les sabots des chevaux et des ânes. Grâce à leur forge chauffée au charbon, tous les outils et objets en métal utilisés sur le chantier sont réparés, entretenus ou refaits. Chaque artisan dispose d’un casier dans l’atelier des forgerons où il dépose les outils ayant besoin d’entretien, et y récupère ceux remis en bon état.
Les vanniers de Guédelon fabriquent des mannes, paniers plats en osier, qui peuvent transporter une trentaine de kilos de mortier. Les artisans doivent réparer, voire refaire, leurs paniers régulièrement, car le mortier de chaux est corrosif.
Quand il n’y a plus d’outils modernes, la traction animale est le meilleur moyen de déplacer des charges. Le château dispose de quatre chevaux de trait. Ils peuvent être attelés à différents véhicules. Le trinqueballe, à quatre roues, tout en longueur, sert à transporter des pièces de charpente ou des arbres abattus. Le tombereau, plus compact, porte dans son caisson basculant les charges lourdes de la maçonnerie : pierres de carrière, mortier ou sable y sont entassés puis déchargés.
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La cage à écureuil servait de grue de chantier au Moyen Âge. C’est une grande roue de bois de 3 mètres de diamètre destinée à monter ou déplacer des matériaux. L’axe de cette roue géante est relié par des cordes à un plateau transporteur. En marchant à l’intérieur de la cage à écureuil, les maçons de Guédelon soulèvent sans effort des charges de 250 kg grâce à un système de cordes et de poulies. Une cage à écureuil à double tambour permet même de faire monter jusqu’à 500 kg de matériaux. Assez simple à démonter, elle a pu être déplacée afin d’être utilisée à divers endroits du chantier, par exemple pour hisser les pierres sur le chemin de ronde.
Au Moyen Âge, pour se protéger du froid et du vent, les fenêtres étaient couramment fermées par des toiles de lin ou de chanvre, ou des parchemins en peau de chèvre. Les plus riches pouvaient se permettre d’y poser des vitres ou des vitraux.
La fenêtre gothique sur la tour de la chapelle est ainsi fermée d’une toile décorée par des peintres. La peinture est fabriquée sur place avec des matériaux totalement naturels, obtenus en broyant des roches ou en lavant puis tamisant des terres ou des sables. Une quinzaine de pigments sont ainsi produits : ocre rouge, jaune ou brune, bleu grisé (à partir de charbon et de chaux), etc.
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Susciter l’émotion, transmettre des connaissances et des valeurs humaines
Guédelon évolue d’année en année. En tant que visiteur, on peut découvrir maintenant une enceinte fortifiée, le logis, la chapelle avec ses peintures murales, les salles de tir, la cuisine et le cellier, le chemin de ronde. En 2024, les charpentiers ont finalisé l’installation d’une passerelle et d’un pont-levis du XIIIe siècle, reliant le village au château-fort, une réalisation unique en France.
Une des prochaines étapes sera la réalisation des deux grandes portes principales du château. « Il faut aussi qu’on soit dans la réflexion de ce que deviendra Guédelon plus tard. La suite du projet, ce sera un bourg castral. Il faut pouvoir le penser avant même d’implanter la première maison », explique Florian Renucci.
Les artisans et autres participants au chantier accueillent le public d’avril à septembre et ont un rôle de transmission auprès des visiteurs. Cela participe grandement à la dynamique et à la force de ce chantier et de cette équipe. Les artisans se rendent disponibles pour raconter leur métier et répondre aux questions. Ils expliquent par exemple comment tracer une voûte, assembler une charpente ou façonner une tuile. Le chantier est riche d’activités et d’interactions. Les artisans ont de nombreuses connaissances, réflexions et anecdotes à partager avec les visiteurs.
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Florian Renucci dit sa perception du rôle influent de ce chantier médiéval : « Guédelon, on accueille les visiteurs, les classes, les scolaires. C’est très important. C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui le " moment démocratique ", où des enfants de tout milieu peuvent ressentir la même émotion par rapport à une forêt de chênes, par rapport à un patrimoine. C’est ça qu’on peut offrir de mieux, peut-être. C’est permettre que la sortie scolaire soit le lieu où une passion peut se déclencher, quel que soit son milieu. Faire jaillir l’émotion, c’est vraiment la mission qui est au cœur du chantier de Guédelon. »
La visite du château de Guédelon est une immersion surprenante et enrichissante dans le monde inconnu du Moyen Âge. La construction du château pourrait être une aide précieuse pour comprendre sans préjugés la vie des gens à cette époque. Si nous pouvions voyager dans le temps, ces artisans, villageois ou seigneurs du XIIIe siècle, certainement auraient-ils beaucoup de connaissances et de valeurs oubliées à nous retransmettre ?
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