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Tradition. Comment le riz de Camargue a généré un écosystème exceptionnel entre Rhône et Méditerranée

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Dans le delta du Rhône, les riziculteurs cultivent une soixantaine de variétés différentes de riz de Camargue. Un écosystème, avec une flore et une faune diversifiée, s’est mis en place grâce à l’endiguement du Rhône, à l’irrigation contrôlée et à une rotation de diverses cultures où le riz a un rôle primordial. Ainsi, la culture du riz de Camargue, grâce à l’apport abondant de l’eau douce du Rhône, protège la terre d’une salinisation excessive.

Le delta du Rhône fut d’abord un lieu plutôt inhospitalier. Le Rhône, qui avait sept ou huit embouchures, débordait plusieurs fois de son cours chaque année, ce qui limitait grandement les cultures. Toutefois, des productions agricoles sont attestées au Moyen Âge, dont l’élevage des moutons. Dans une ordonnance de 1593, le roi Henri IV prévoyait la culture du riz et de la canne à sucre en Camargue. 

Trois siècles plus tard, cela devint réalité pour le riz. En 1870 fut décidé l’endiguement des deux bras extérieurs du Rhône pour se protéger des crues dévastatrices. On construisit aussi des digues pour empêcher la mer d’entrer dans les terres. Les plaines de Camargue se remplirent alors de vignes et de cultures de céréales. Mais l’endiguement entraîna une importante salinisation des sols,jusqu’alors lavés par les crues. 

Comment le riz de Camargue a généré un écosystème exceptionnel entre Rhône et Méditerranée
L’eau douce du Grand-Rhône ou du Petit-Rhône est amenée par des canaux jusqu’aux parcelles de culture du riz. (Image : wikimedia / PierreSelim / CC BY-SA 4.0)

Du soleil et de l’eau douce à profusion dans le delta producteur de riz

En Camargue, il y a, en volume d’eau, deux fois plus d’évaporation que de précipitations. Cela est dû aux fortes chaleurs du printemps et de l’été. Il y a aussi deux vents froids, secs et souvent violents, le mistral et la tramontane venant du nord-ouest et du nord qui assèchent l’atmosphère et le sol. Quand l’humidité est très restreinte dans le sol, alors, du sous-sol et d’une nappe phréatique, remonte par capillarité une eau saline, impropre à la plupart des cultures.

Au début des années 1900, beaucoup de paysans partirent de Camargue pour trouver des terres plus hospitalières. La seule plante cultivable qui pouvait régler le problème de la salinisation était le riz. Le riz peut pousser dans des terres un peu salées et il a besoin d’une grande quantité d’eau douce. Toute cette eau douce qui était évacuée régulièrement des champs de riz allait en même temps dessaler la terre. Les quelques paysans camarguais restés là comprirent qu’il fallait faire des rotations de cultures dont une, essentielle, serait le riz.

Robert Bon, conservateur du musée du riz de Camargue en 2013, explique : « Au début du siècle, on l’avait essayé, ce riz, mais on le cultivait mal. Ce n’est pas simple de faire du riz, il faut savoir le repiquer et il faut savoir le semer, à quelle date, etc.…Et ça, on ne savait pas le faire, on a semé le riz des années 1900 aux années 1940 simplement pour apporter de l’eau dans les rizières, et ce riz partait pour l’alimentation du bétail. »

Ceux qui ont permis de vraiment commencer à cultiver le riz de Camargue correctement sont des Vietnamiens immigrés en France, de gré ou de force, pour soutenir l’effort de guerre, dans les années 40. Ils ont apporté leur technicité et leur savoir-faire. Comme le dit encore Robert Bon : « Avec ces Indochinois, on avait le peuple le meilleur pour faire du riz sur la planète. À ce moment-là, on a bien repiqué le riz, on l’a bien cultivé et c’était un des meilleurs du monde ! » Le riz de Camargue a alors pris beaucoup de valeur et nombre de riziculteurs ont fait fortune. Selon Robert Bon, à cette époque, une récolte de riz équivalait à l’achat d’une propriété agricole.

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Des Vietnamiens immigrés en France, dans les années 1940, ont apporté leur technicité et leur savoir-faire dans la culture du riz. (Image : wikimedia / Vu Quoc Phan (source) / Domaine public)

« Des variétés de Camargue, comme le riz rouge ou le riz noir, des riz complets, … ce sont des riz fabuleux. (...) Le riz, c’est une médecine depuis 5 000 ans ! » s’exclame Robert Bon.

Dans les années 1950, la France produisait assez de riz pour approvisionner la quasi-totalité de la demande nationale et exportait même une partie de sa production. Mais au milieu des années 1960, la concurrence du riz d’importation eut pour conséquence de réduire de plus en plus les superficies cultivées. Elles sont passées de 30 000 ha vers 1960 à environ 15 000 ha en 2024, partagées maintenant entre 200 riziculteurs. 

La culture du riz de Camargue 

Les parcelles cultivées en riz se situent principalement à proximité des deux bras endigués du delta, le Grand-Rhône et le Petit-Rhône. 

Le système de rotation de différentes cultures sur une même parcelle est important pour trouver l’équilibre et stabiliser la salinisation des terres et l’envahissement des herbes sauvages. Le système fonctionne généralement ainsi : trois années de culture de riz, qui, avec l’eau du Rhône, dessalent suffisamment le sol, mais conduisent à l’envahissement progressif des herbes sauvages, puis trois années de culture de blé, de colza, de sorgho, de tournesol, de luzerne, etc., en parcelle asséchée, qui vont éliminer les herbes sauvages, permettre l’apport d’engrais ou d’amendements organiques. Au bout de trois ans, la salinité est redevenue excessive et oblige à revenir à la culture du riz. 

Comment le riz de Camargue a généré un écosystème exceptionnel entre Rhône et Méditerranée
Les rotations de cultures en Camargue, où est intégrée la culture de riz, permettent aussi de ressemer des prairies pour l’élevage durant quelques années. (Image : wikimedia / Christian Ferrer / CC BY-SA 4.0)

Ce système de rotation peut être adapté suivant les méthodes de culture, la salinité plus ou moins forte, les préférences et les besoins de l’agriculteur. Cependant, le riz aura toujours une place prépondérante, grâce à son rôle crucial dans la salinité du sol cultivable en Camargue. 

Il y a maintenant le cas de riziculteurs en Camargue, dépendants de grandes entreprises agroalimentaires pour le stockage, la transformation et la commercialisation de leur récolte, qui ne font plus de rotations de culture. Ils doivent faire face alors à l’envahissement d’herbes sauvages, aux maladies et aux parasites. Ainsi, ils se rendent, de plus, dépendants de produits désherbants et phytosanitaires chimiques, très réglementés en Camargue. 

Le riz est semé directement sur la parcelle (le repiquage a été abandonné dans les années 1960). Le climat ne permet qu’une seule culture par an. À la fin de l’hiver, on laboure ou on griffonne les terres à une profondeur maximale de 20 cm. Ensuite, le sol est nivelé au centimètre près, avec une lame sur tracteur, contrôlée par rayon laser. Si nécessaire, le sol peut être fertilisé à cette étape. Le lit de semence est préparé à la herse rotative et au rouleau. Des rigoles sont creusées pour réguler l’irrigation et le drainage des parcelles. La mise en eau des parcelles et les semis de riz commencent fin avril. La gestion de l’eau sur la parcelle a un rôle déterminant dans la réussite de la culture, alternant asséchement et remise en eau selon le climat, la vigueur du riz et les interventions culturales. La récolte est faite de mi-septembre à mi-octobre, à l’aide d’une moissonneuse-batteuse équipée pour les sols humides.

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La riziculture camarguaise se situe à proximité des deux bras endigués du delta, le Grand-Rhône et le Petit-Rhône. (Image : Capture d’’écran / plantes-rizieres-camargue.cirad.fr)

Les riziculteurs ont leur propre station de pompage qui amène l’eau douce d’un des deux bras du Rhône jusqu’aux parcelles de culture de riz ou éventuellement d’autres cultures qui ont besoin d’irrigation. L’eau circule dans des canaux ouverts et dans des tuyaux. L’eau ayant servi à l’irrigation du riz ou d’autres cultures est ensuite drainée vers l’étang du Vaccarès, au milieu du delta.

Une technique atypique et ancestrale pour cultiver le riz de Camargue, encourageante pour l’avenir

Le riziculteur Bernard Pujol, dans le but de remplacer les désherbants chimiques et les engrais, a intégré des canards dans ses rizières. Le rôle des canards est de débarrasser les champs de riz des herbes sauvages qui y poussent. Comme la plante de riz n’est pas très appétente pour eux, les canards vont laisser le riz tranquille et manger toutes les autres plantes dans la rizière.

C’est une méthode qui vient à l’origine de Chine et qui a été réactualisée par un riziculteur du Japon. Bernard, dans un documentaire de France Télévisions (Silence, ça pousse) se dit le précurseur de cette méthode en Europe et semble en être très heureux. Baptiste et Michèle, autres riziculteurs de Camargue, ont suivi les pas de Bernard et sont eux aussi enchantés des résultats : « On est éleveurs (de riz) depuis quatre générations, mais on apprend tout le temps et c’est vrai que c’est une belle leçon », dit Baptiste.

Comment le riz de Camargue a généré un écosystème exceptionnel entre Rhône et Méditerranée
Bernard Pujol a remplacé, dans ses rizières, les désherbants et engrais chimiques par des canards, ce qui lui apporte beaucoup d’avantages et de bonheur. (Image : Capture d’’écran / YouTube)

La configuration des rizières intégrant cette méthode est différente des rizières habituelles en Camargue où le riz est semé à la volée, en surface et dans l’eau. Bernard Pujol sème le riz sur une terre asséchée et en lignes écartées entre elles de 25 cm. Cette configuration du semis permet une circulation facile des canards, sans dégâts sur le riz, durant tout le cycle de la culture.

Bernard partage une découverte étonnante : « La présence des canards dans la rizière provoque un effet de stress chez les mauvaises herbes, qui ont un comportement sociologique à minima : elles se mettent à épier tout de suite et se rétractent. Au contraire, (…) il y a une espèce de synergie qui se crée entre l’élevage des canards au sein de la rizière et les plants de riz. (…) Force est de constater que la même rizière sans canards n’aurait pas tout à fait le même comportement. » Les plantes savent-elles communiquer entre elles ? Auraient-elles des émotions de peur ou de joie ?

Les canards qu’utilise Bernard sont grégaires et se déplacent en troupeau. Il met environ cent canards dans un hectare de rizières. Ses canards sont en fait des canes. Il s’approvisionne en canes chez un producteur de foie gras. Pour faire du foie gras, on utilise seulement les mâles et les femelles sont habituellement détruites à la naissance. Bernard sauve donc la vie de ces canes à leur naissance, leur permet une vie agréable, se donne un nouveau débouché économique, ainsi qu’au producteur de foie gras. Peut-on espérer mieux ?

L’élimination des plantes sauvages se produit aussi par le piétinement des canards. Ce sont des oiseaux palmés et relativement lourds qui provoquent un glacement du sol, limitant ainsi la pousse des herbes, mais sans déstructurer le sol. Quand le riz sera récolté, Bernard assèchera la rizière en quelques jours et pourra à nouveau cultiver le sol et ressemer une prairie.

Comment le riz de Camargue a généré un écosystème exceptionnel entre Rhône et Méditerranée
Baptiste et Michèle sont eux aussi enchantés d’avoir des canards dans leurs rizières : « On est éleveurs (de riz) depuis quatre générations, mais on apprend tout le temps et c’est vrai que c’est une belle leçon ». (Image : Capture d’’écran / YouTube)

Cette technique permet de cultiver le riz d’une manière performante. Les rendements sont assez proches de ceux de la riziculture avec produits chimiques et engrais : de 4 à 5 tonnes de riz à l’hectare avec cette méthode, et 6 tonnes en riziculture conventionnelle. L’impact économique de cette méthode ou d’autres méthodes en agroécologie est nettement plus intéressant qu’en agriculture utilisant des produits de synthèse. Et surtout, « … les gens ont envie de se bien nourrir !» affirme Bernard.

Selon Bernard Pujol, cela laisse préfigurer que l’agriculture de demain pourra aussi tenir compte de l’environnement et s’émancipera peu à peu de l’utilisation de produits chimiques. « Là, c’est laisser entrevoir au consommateur et au citoyen qu’il y a des efforts qui sont faits, que les agriculteurs se remettent en question. Ils sont en train de mettre en place, tout doucement, une nouvelle agriculture, celle-là respectueuse du vivant, vraiment. » explique Bernard, très confiant.

L’Indication géographique protégée, le label du riz de Camargue

L’IGP Riz de Camargue a été créée en 1995, par le Syndicat des riziculteurs de France et filière. Le Parc naturel régional de Camargue soutient cette initiative. Le label IGP est le garant d’une terre agricole qui restera productive. La stérilisation des sols par les remontées salines est évitée grâce à la production de riz.

Un organisme, le Centre français du riz, intervient dans les choix variétaux qui doivent correspondre aux exigences des producteurs, mais aussi des transformateurs. Il définit aussi un itinéraire cultural pour optimiser les techniques de production du riz en Camargue, et que doivent suivre les agriculteurs qui se sont engagés dans la démarche IGP. L’organisme a aussi un programme de création variétale, avec différents formats de grains, différentes longueurs, différentes largeurs, des riz colorés, des riz parfumés, etc.

Comment le riz de Camargue a généré un écosystème exceptionnel entre Rhône et Méditerranée
« Des variétés de Camargue, comme le riz rouge ou le riz noir, des riz complets, ... ce sont des riz fabuleux. » (Image : wikimedia / Véronique PAGNIER / CC BY-SA 3.0)

Cinq variétés principales cultivées en Camargue occupent 75 % des surfaces en riz. Il n’y a pas de culture OGM en Camargue, et 20 % des surfaces sont cultivées en agriculture biologique. Il y a un cahier des charges pour la tenue des cultures et la traçabilité au sein de la filière qui permet à l’IGP Riz de Camargue de garantir une qualité du produit au consommateur. Anne Vadon, du Parc naturel régional de Camargue, indique : « Consommer du riz français avec le label IGP Riz de Camargue aujourd’hui, c’est quelque part un moyen de soutenir une production qui a un impact positif sur son terroir ».

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