Un Musée, une passion : rencontre avec Florentin Gobier, Directeur du Musée de la Nacre et de la Tabletterie
Comme le soulignait judicieusement Paul Valéry : « La mémoire est l’avenir du passé » ... Et c’est sans doute pour cela qu’il subsiste des êtres passionnés par leur métier, attachés au patrimoine, puisant dans l’histoire du passé, mais se tournant également vers le futur pour continuer à transmettre des savoir-faire, les faire connaître, les faire revivre, les partager afin d’inspirer les plus jeunes générations. Nous avons rencontré l’un d’entre eux : monsieur Florentin Gobier.

Méru, capitale mondiale de la nacre
Monsieur Florentin Gobier est donc un passionné qui a fait des études de patrimoine et d’histoire de l’art à l’école du Louvre. Il est au départ plutôt spécialisé dans les objets d’art. Il a notamment effectué un stage à Dieppe, ville dont certaines collections sont très orientées dans le domaine de l’ivoire, ce qui avait beaucoup intéressé M. Gobier, à l’époque. Puis, dans ses travaux de recherches, il s’interroge sur la question de l’origine des dorures du mobilier français au XVIIe siècle, pour enfin se préparer au concours de la fonction publique. C’est ainsi qu’à la suite de ce parcours, il arrive en 2017 pour diriger le fabuleux Musée de la Nacre avec l’idée d’impulser une réflexion sur le fait que ce soit un musée pensé par le XXe siècle, pour le XXIe siècle...Des questions émergent donc, telles que : Qu’a-t-on encore à dire ? Qu’est-ce qui a changé ? La recherche a évolué, que nous apporte-t-elle de plus ? En effet, il y a 25 ans, il y avait peu de sources, de documentation...On ne savait pas trop pourquoi la tabletterie s’était installée ici à Méru, dans le Sud de l’Oise...
Aujourd’hui, M. Gobier nous confirme qu’en fait, dès l’origine de l’état civil, sont mentionnées, ici à Méru, des personnes qui étaient tabletiers de profession. Ces tabletiers fabriquaient déjà certains objets, très spécifiques, comme des damiers, des plateaux de jeux ainsi que des échiquiers, notamment dans le domaine du bois, de l’os, de l’ivoire ou de la corne... Ensuite, des écailles de tortues, de la nacre, des matériaux plus précieux et plus exotiques sont arrivés, comme l’ébène également, et comme un savoir-faire traditionnel existait déjà ici, à Méru, les tabletiers sont naturellement restés ici. De façon sûre, la tabletterie est présente depuis le XVIe siècle à Méru.
De plus, Méru se situe à environ 60 km de Paris, le trajet se fait très bien à l’époque. Méru est ainsi devenue l’antichambre de production de nombreuses familles qui se sont dédiées à ces métiers de la tabletterie et cela a perduré jusqu’à nos jours. C’est ainsi que l’usine Fessart/Dégremont, montée par Alexandre Fessart en 1859, dans laquelle est né le Musée de la Nacre et de la Tabletterie, est devenue l’une des plus importantes de la région en termes de bâtiments.

Les missions du Musée de la Nacre et de la Tabletterie
Monsieur Florentin Gobier nous explique que le Musée a reçu une appellation spécifique : c’est un « Musée de France ». Il en existe actuellement un peu plus de 1 200 en France, et à ce titre, toutes leurs actions sont encadrées par la loi avec le contrôle scientifique et technique de l’État et du ministère de la Culture notamment.
Plusieurs missions incombent donc au Musée de la Nacre…
- Une mission scientifique : c’est-à-dire, de recherches et d’études concernant ses collections.
- Une mission de restauration de ses collections lorsque cela est nécessaire.
- Une mission de conservation préventive, soit favoriser de bonnes conditions de conservation pour que les objets perdurent dans le temps.
- Une mission de valorisation de ses collections.
- Une mission de services publics qui est destinée à accueillir tous les publics, des plus jeunes aux plus âgés, avec des niveaux de propositions pour les scolaires, les groupes ou même les familles.
- Une mission de programmation culturelle incluant des expositions, destinées à faire découvrir la richesse de ce patrimoine.
- Une mission de conservation du patrimoine immatériel, à savoir, « les savoir-faire traditionnels de l’époque ».
Force est de constater que ce musée possède une réelle spécificité par rapport à beaucoup d’autres musées, car il propose également une conservation des savoir-faire à travers les différents ateliers qui continuent à produire, à créer, à restaurer des objets pour sa propre boutique. C’est un musée réellement « vivant » !

Une matière luxueuse : la nacre
Florentin Gobier nous explique que la nacre se trouve dans des coquillages, certains... mais pas tous. Elle recouvre l’intérieur de la coquille, chez les gastéropodes ou des coquillages bivalves comme l’huître perlière, par exemple. Les coquilles sont travaillées, on enlève les parties calcaires, ensuite elles sont débitées en petites plaquettes ou jetons pour créer des objets.
Chaque coquillage possède des reflets particuliers qui lui sont propres :
- La nacre blanche vient de l’huître perlière blanche. Elle est sans doute la plus recherchée, d’une blancheur exceptionnelle aux reflets extrêmement brillants.
- La nacre noire de Tahiti permet de jouer avec ses différentes couches de couleurs, de la plus claire à la plus foncée.
- L’haliotide ou encore appelée Pawa est issue des mers chaudes comme le Golfe du Mexique, au Japon ou la Nouvelle-Zélande, elle possède des côtés bleus/verts, elle est très haute en couleurs.
- Le Burgau est un escargot qui aura des teintes plutôt rosées ou vertes, ses reflets seront plus laiteux.
- Le Troca Nacrier moins coûteux arrive de Nouvelle-Calédonie ou d’Indonésie.
La Convention CITES ou Convention de Washinghton (3 mars 1973)
M. Gobier nous apprend qu’une convention a été ratifiée au niveau du commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. En effet, il existe un classement de ces espèces selon leur degré de menace et d’extinction. Par exemple, concernant l’ivoire, l’éléphant est protégé, les tortues de mer également sont menacées, donc il n’y a plus de possibilités de prélever ni l’ivoire ni les écailles de tortues à l’état naturel pour réaliser des objets. Cependant, il existe des matériaux de synthèse pour les remplacer, mais ils ne sont pas travaillés de la même manière.
Concernant la nacre, étant donné qu’il n’y a pas une demande très importante, la gestion des coquillages reste bonne. Dans le domaine de l’ivoire, c’est différent du fait de l’existence d’un vrai marché parallèle de braconnage, ce qui n’est pas du tout le cas de la nacre, ce qui permet de continuer à travailler de manière tout à fait raisonnable pour M. Gobier.
Ainsi, pour certains matériaux, des substituts ont été trouvés.

Le corozo, substitut végétal de l’ivoire animal
Le corozo s’appelle aussi « tagua », c’est une sorte de grosse noix, une graine provenant d’un palmier que l’on trouve au cœur de la forêt amazonienne, en Équateur, au Pérou, en Colombie ou en Bolivie. Cet ivoire végétal est léger, d’une grande solidité et facile à travailler. Celui-ci a commencé à être exploité par les Allemands au cours du XIXe siècle et se rapproche énormément de la couleur de l’ivoire. C’est pour cela que le corozo est appelé aussi « ivoire végétal », puisque c’est une matière naturelle. Le corozo est très souvent utilisé pour fabriquer des boutons, d’ailleurs.
De plus en plus de personnes, parmi le public, sont intéressées par cette idée de « durabilité » et souhaitent privilégier les matériaux naturels, des matériaux durables donc, et non plus des matières de synthèse ou en plastique qu’emploie et crée la chimie. L’idée de pouvoir réparer au musée les objets cassés, des objets produits par le musée, semble s’imposer : il n’existe plus cette idée d’industrie comme par le passé, au XIXe et XXe siècle.

Les qualités des artisans du Musée de la Nacre et de la Tabletterie
Pour Florentin Gobier, les tabletiers du musée sont doués d’une patience infinie, ils font preuve d’une grande minutie, car leurs gestes sont précis et fins. De plus, la matière restant naturelle, sur deux pièces semblables, les tabletiers peuvent obtenir des effets différents. Les manières de travailler le matériau peuvent être très différentes aussi. En effet, parfois creuser la matière peut être assez facile et puis d’autres fois, plus difficile, surtout lorsque les artisans tombent sur un nœud et que cela casse. Florentin Gobier estime que cela peut être très frustrant, humainement parlant. Ainsi, les tabletiers du Musée de la Nacre doivent savoir maîtriser les gestes, les techniques, mais également se maîtriser eux-mêmes, donc faire preuve d’une grande humilité...

Partager et transmettre directement au public
Florentin Gobier souhaite rendre encore plus visible le travail des tabletiers afin que le public puisse avoir encore plus d’interactions avec eux. Il envisage donc de proposer des lieux de « pratique » des savoir-faire traditionnels où le public pourra aussi tester ces objets, ces matériaux, pour s’essayer à la tabletterie et se rendre mieux compte de la difficulté du travail et des compétences précises que cela demande.

Un transfert de collections hors normes : les acquisitions de sauvetage du Musée de l’Éventail, l’Atelier Hoguet, à Paris
La Communauté de Communes des Sablons a souhaité acquérir et sauver tout le patrimoine du Musée de l’Éventail de Paris, dont les collections uniques étaient menacées de dispersion. Le projet qui devra s’achever courant 2028, envisage de remonter à l’identique tout le Musée de l’Éventail ici même, à Méru, au Musée de la Nacre et de la Tabletterie, ce qui comprend tous les matériaux présents sur site, c’est-à-dire, les dentelles, les plumes, les papiers gouachés, les feuilles peintes datant de fin XVIIIe siècle, les tissus entre autres, ainsi que tout le mobilier classé historique (luminaires, meubles, cheminée, chevalets, vitraux...), les fonds de boutique, les fonds d’atelier, les fonds d’outillages, les fonds d’archives, les fonds de photos, de monogrammes, de documents commémoratifs, les fonds de bijoux fantaisies, les gabarits, les prototypes, les dessins, les fonds de maroquinerie, jusqu’aux mallettes des représentants commerciaux ainsi que le gros coffre-fort en bois de la boutique. C’est donc un déménagement hors-normes, d’un lieu classé monument historique, depuis le 2 boulevard de Strasbourg à Paris Xe, jusqu’ici dans le Sud de l’Oise, un très beau projet de sauvegarde du patrimoine français.

Pour la petite histoire, concernant la boutique-atelier occupée depuis 1862 dans cet immeuble haussmannien, il faut savoir que M. Lepault-Deberghe, qui était alors à l’époque imprimeur sur éventail, fusionne avec La Maison Kees, une maison d’éventaillistes. Ensuite, les fonds historiques des maisons Kees et Lepault-Deberghe seront rachetés par Hervé Hoguet, père d’Anne Hoguet qui est elle-même, Maître d’Art Éventailliste de talent. Plus de 20 000 objets seront ainsi déplacés, auxquels s’ajouteront plus de 3 000 éventails qui seront ainsi sauvés également. Tout ce patrimoine sera valorisé lors des 25 ans du Musée de la Nacre.
Si vous aussi, chers amis lecteurs, vous êtes amoureux du patrimoine, amoureux des beaux objets, amoureux des éventails, sachez qu’il existe une association appelée : « Les Amis du Musée de l’Éventail Hervé Hoguet » fondée en 2016, à laquelle vous pouvez bien sûr adhérer.
Voici le lien : 👉 Cliquer ici : « Les Amis du Musée de l’Éventail Hervé Hoguet »

Des collections de typologies variées au Musée de la Nacre
Lorsque vous circulerez au Musée de la Nacre, vous découvrirez une myriade d’objets de tabletterie :
- Les accessoires du costume et du vestiaire (éventails, épingles à chapeaux, parapluies, poudriers, ombrelles, cannes, lunettes, boucles de ceinture, jumelles de théâtre, etc.).
- Les objets concernant l’art de la table : les ménagères de couverts, par exemple.
- Les nécessaires d’hygiène (brosses, peignes, brosses à dents, gratte-langue...), de manucure.
- Les nécessaires de couture et de broderie, les aiguilles à tricoter, les aiguilles à chas...
- Les nécessaires d’écriture (coupe-papier, règle, plume, cachet, petits carnets de bal etc.).
- Les incrustations pour les instruments de musique, archets, etc.
- Du mobilier : horloge, coffre, écritoire...
- Des boutons...
- Des jeux ... (dés, dominos, jeu de billard...).
- Des outils de sciences pour les médecins etc.
- Des boîtes en tous genres.
Le monde de la tabletterie est un monde nouveau qui s’offre à vous, chers amis lecteurs. Si vous souhaitez en savoir encore plus, venez découvrir les artisans du Musée de la Nacre dans la seconde partie de ce reportage, qui vous livreront leurs secrets et évoqueront leur passion pour ce monde méconnu de la tabletterie.

Dans cette seconde partie, les artisans partageront avec vous des moments précieux, lorsqu’ils ont eu, par exemple, l’honneur de restaurer des objets prestigieux en nacre, comme la Tour de Nankin du Musée des Beaux-Arts de Rennes, ainsi que l’ensemble monumental de Monsieur Aimé Troisœufs.
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